Jeudi 21 novembre 2024

Sécurité

Disparitions forcées et cas de torture en hausse depuis avril 2021

16/11/2021 5
Disparitions forcées et cas de torture en hausse depuis avril 2021
Des agents de la police, de l’armée et du SNR indexés.

L’initiative burundaise des droits de l’Homme peint un tableau plutôt alarmant dans son rapport sorti jeudi 4 novembre. Elle fait le constat d’une recrudescence des exactions commises depuis avril 2021.

A peine sortie des polémiques suscitées par le dernier rapport de la commission Diène, nous voilà plongé dans celui de cette ONG internationale spécialiste du pays et de la région des Grands-Lacs. Un rapport tout aussi implacable.

Le rapport de 29 pages intitulé « Derrière les grilles, recrudescences des cas de torture et de disparition » évoque une fréquence alarmante depuis avril 2021 de cas tortures et des disparitions forcées.

Cette recrudescence d’exactions coïncide avec le début d’une série d’attaques armées et d’embuscades perpétrées dans plusieurs provinces du pays entre avril et septembre 2021.

Après des mois d’accalmie apparente qui ont suivi l’investiture du président Evariste Ndayishimiye, une véritable chasse à l’homme a été lancée pour traquer les auteurs de ces attaques selon le rapport.

« Une série de personnes d’origines différentes ont été enlevées par la police, par des militaires ou par des individus soupçonnés d’être des agents du SNR dans différentes parties du pays. Parmi eux se trouvent plusieurs membres du CNL et des anciennes forces armées burundaises, désignées sous le nom d’ex-FAB, ainsi que des individus non connus pour leurs activités politiques, » peut-on encore lire.

L’ONG parle de plus d’une vingtaine de disparitions forcées depuis juillet 2021. Dans la plupart des cas, il y a peu de preuves que les autorités ont activement enquêté.

L’un des cas les plus médiatisés est celui d’Élie Ngomirakiza. Le représentant du CNL de la commune de Mutimbuzi, dans la province de Bujumbura a été enlevé le 9 juillet. Il n’a pas été revu depuis. Plusieurs sources ont indiqué que des militaires du 112ème bataillon, dirigé par le lieutenant-colonel Aaron Ndayishimiye, étaient responsables de son enlèvement. Ngomirakiza aurait été tué et enterré dans la forêt de la Rukoko où, selon une source proche de Ndayishimiye, d’autres opposants ont été enterrés. L’armée a ouvert une enquête sur les violations des droits humains commises par lieutenant-colonel et sur son rôle présumé dans l’enlèvement de Ngomirakiza, détaille le rapport.

Un autre cas de disparition est celui d’Emmanuel Ndayishimiye. Au lendemain des attentats de Mwaro en avril 2021, la police a arrêté plusieurs représentants locaux du CNL dans la province. L’un d’eux était Emmanuel Ndayishimiye, un membre actif du CNL, qui travaillait dans un salon de coiffure à Kibumbu, dans la commune de Kayokwe, province de Mwaro.

Le 10 juillet 2021, un policier entre dans sa boutique et lui demande sa carte d’identité. Il vérifié la carte, la lui rend et s’en va. Inquiet, Ndayishimiye décide de fermer sa boutique pour rentrer à la maison. Un véhicule aux vitres teintées et sans plaque d’immatriculation, conduit par un membre local des Imbonerakure s’arrête. Trois hommes en sortent. Deux en uniforme de police et un en civil. Ils forcent Ndayishimiye à monter dans le véhicule et repartent. Ndayishimiye n’a pas été revu depuis.

« Un portrait de la cruauté »

La figure « emblématique » d’une autorité, auteure des violences contre des opposants au régime en place brossé dans le rapport de l’IDHB est Moise Arakaza. Il est commissaire de police de la commune de Mugamba, province de Bururi, jusqu’au 25 août 2021.

À son arrivée à Mugamba en janvier 2021, il commence à arrêter et à torturer des personnes qui, selon lui, soutenaient l’opposition armée. « Il a forcé certains d’entre elles à se tenir sur les mains, la tête en bas, leur a frotté le nez avec des piments forts broyés et les a battus avec le côté plat d’une machette. Il a menacé de décapiter certains détenus et de mettre du piment dans les organes génitaux d’une femme», indiquent les chercheurs. Ils déplorent qu’il n’ait pas été inquiété par ses supérieurs ni la justice.

La brutalité systématique d’Arakaza a attiré l’attention des médias. Les auteurs du rapport indiquent qu’au lieu d’enquêter sur ses actes et d’exiger qu’il rende des comptes, les autorités gouvernementales ont choisi une approche moins conflictuelle. Souvent utilisée par le CNDD-FDD : ils l’ont redéployé, le transférant dans la province de Bujumbura, un autre bastion de l’opposition.

Des Burundais mis sur écoute

Le document réserve tout un chapitre au service national de renseignement. On apprend que la torture est une pratique bien ancrée au SNR depuis de nombreuses années. Objectif : extorquer des aveux ou des informations sur d’autres suspects. Le rapport note que plus récemment, des détenus arrêtés dans différentes régions du pays et accusés de collaboration avec l’opposition armée ont été envoyés au siège du SNR à Bujumbura. Ils y seront torturés. « Certains ont également été torturés par le SNR dans des centres de détention non officiels à Bujumbura ou au niveau provincial, notamment dans les bureaux ou résidences du SNR à Gitega, Mwaro, Rutana et Makamba. ».

Plusieurs personnes détenues par le SNR ont depuis été transférées à la prison de Mpimba ou dans d’autres prisons. D’autres ont été libérées. Certaines n’ont pas réapparu, ce qui fait craindre qu’elles aient été tuées.

L’Agence de Régulation et de Contrôle des Télécommunications (ARCT) est également pointée du doigt. Le SNR l’utilise pour surveiller les communications. « La technologie de l’ARCT permet aux opérateurs de voir la date, la durée des appels et la localisation de ceux qui communiquent sur tous les réseaux téléphoniques au Burundi. L’ARCT a également la capacité d’écouter en temps réel un nombre limité d’appels,» indique le rapport.

Une source citée raconte que le SNR a surveillé les téléphones de certains individus qu’il soupçonnait de collaborer avec des groupes armés. « Ils ont ensuite été portés disparus. D’autres ont été interpellés simplement parce qu’ils avaient été en contact avec des membres de leur famille ou des amis en exil, ou à cause d’informations inexactes fournies par des opposants politiques ».

Les experts à l’origine du rapport disent avoir soumis leurs conclusions et questions par écrit à plusieurs autorités gouvernementales burundaises avant publication, en vue d’intégrer leurs réponses. « Le seul responsable qui a répondu était le procureur par intérim de Bururi, qui a accusé réception de la lettre de l’IDHB et a renvoyé l’IDHB au porte-parole du ministère de la Justice, » déplorent-ils.

L’ONG dit avoir tenté d’enquêter sur les auteurs des attaques armées, au cours desquelles des dizaines de personnes ont été tuées. Elle dit n’avoir pas été en mesure de déterminer l’identité ni le mobile des assaillants.

En tout cas, l’IDBH tire la sonnette d’alarme. Selon l’initiative, le silence international et l’apparente indifférence à la détérioration de la situation des droits humains risquent de donner à Gitega l’impression que les diplomates et les acteurs internationaux ne sont pas conscients ni inquiets de l’augmentation des violations. « Ne prenez pas pour argent comptant les nobles promesses du gouvernement en
matière de droits humains alors qu’il continue de torturer et de faire disparaître des opposants présumés,» exhorte l’initiative. Elle demande également plus d’action de la part des autorités burundaises.

Sur Twitter, l’ancien responsable de la communication à la présidence de la République s’est fendu d’un tweet taillant en pièce le rapport et ces chercheurs. « De Human Rights Watch à l’IDHB, ces prétendus chercheurs s’acharnent contre le Burundi et ses institutions en colportant des mensonges sur commande. Ils produisent des rapports biaisés, mensongers et politiquement motivés. Des fake news sans effet,» a réagi l’ambassadeur Willy Nyamitwe. Selon lui, durant ce qu’il qualifie d’insurrection de 2015, Mme Carina Tertsakian et M. Lane Hartill étaient soupçonnés de collaborer avec les ‘insurgés’. « Les témoignages qui figurent dans ce rapport sont mensongers et fabriqués de toutes pièces comme dans le passé. Même modus operandi » a-t-il martelé.


>>Réactions

Albert Shingiro : « Brouhaha, un ramassis de mensonges»

« Il est important de mutualiser nos efforts pour éradiquer les forces négatives pullulant dans la sous-région »

Le ministre des Affaires étrangères indique que le gouvernement burundais, ‘responsable et laborieux’, ne perd plus son temps précieux sur ce qu’il qualifie de brouhaha et rapports creux et fallacieux. « Nous sommes sur la voie du développement socio-économique. Notre seul ennemi actuellement est la pauvreté et nous sommes au front pour gagner cette guerre sous le leadership du président Ndayishimiye. Le reste s’appelle « distraction », souligne Albert Shingiro. Pour lui, ce rapport est un non-événement, un ramassis de mensonges. Son initiateur se trompe d’époque et sûrement qu’il parle d’un autre pays et non le Burundi.

Agathon Rwasa : « Il est plus là pour servir les intérêts du Cndd-Fdd »

Le président du principal parti de l’opposition se dit d’accord avec le rapport de l’IDHB. Pour Agathon Rwasa, le Cndd-Fdd a opté pour ce modus operandi, depuis feu Nkurunziza : abus des droits de l’Homme, malversations économiques etc. Ceux qui croient à de belles promesses de changement du président Ndayishimiye doivent se faire une raison : il est plus là pour servir les intérêts du Cndd-Fdd que celui de la population. « Il a occupé plusieurs postes sous Nkurunziza. Il a été secrétaire général du parti au pouvoir et n’a rien fait pour infuser un quelconque changement. Ce n’est pas maintenant qu’il va commencer», a ironisé Rwasa. Pour preuve, selon lui : « Malgré ces belles paroles, nous assistons à des disparitions forcées, à des arrestations arbitraires de nos membres par des Imbonerakure qui sont visiblement au-dessus de la loi parce qu’ils bénéficient d’un silence complice de la police et de la justice. »

Quid de l’initiative pour les droits humains au Burundi ?

L’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB) est un projet indépendant, qui vise à documenter l’évolution de la situation des droits humains au Burundi. L’IDHB cherche à révéler les causes des violations des droits humains, en vue d’établir une base de données précise et fiable qui aidera à rendre justice aux Burundais et à rétablir le respect des droits humains.Les publications de l’IDHB analysent également le contexte politique et social dans lequel ces violations se produisent, afin de fournir une compréhension plus approfondie et plus nuancée des tendances des droits humains au Burundi.

L’IDHB n’a aucune affiliation politique. Ses enquêtes portent sur les violations des droits humains commises par le gouvernement burundais, ainsi que sur les abus perpétrés par des groupes d’opposition armés.

Carina Tertsakian, Lane Hartill et Thijs Van Laer dirigent l’IDHB, i sont les principaux chercheurs. Ils travaillent sur les questions des droits humains au Burundi et dans la région des Grands Lacs en Afrique depuis de nombreuses années. Les rapports de l’IDHB sont le produit de leur collaboration avec un large éventail de personnes, à l’intérieur et à l’extérieur du Burundi.

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Bellum

    Ce rapport accablant prouve mon humble analyse sur l’avenir de cette nation abandonnée de Dieu. Nous sommes partis pour 45 ans de tunnel sans fin. Tenez :15 ans du Guide Suprême Eternel, 15 ans de Neva et 15 ans du suivant. 45 ans c’est exactement 2 générations perdues. La seule sortie de crise possible aurait dû être les élections libres, transparentes et justes de 2020. Nous ne sommes pas remis de l’assassinat du Prince Rwagasore en 1961, nous ne nous remettrons jamais du hold-up électoral de 2020. Les élections démocratiques sont souvent le seul moyen pacifique de sortie de crise. Pendant la campagne électorale de 2020, une vidéo a fait le tour des réseaux. On y voyait des enfants pauvres comme seuls les Burundais peuvent l’être plaisanter que « puisque nous sommes affamés nous voterons R ». Tout est dit. Nous allons connaître encore 30 ans perdus. Dans 30 ans nous serons 24 millions et les problèmes actuels de faillite économique, sociale et sanitaire auront eu aussi été multipliés par 2. Nshimirimana se tromper de bataille. Le problème national ce n’est pas la société civile honnie qui ne demandait que la bonne gouvernance. Le vrai problème c’est un pays en faillite politique et morale pour encore 30 ans.

  2. Nshimirimana

    Je crois que je ne suis pas le seul à lire avec attention votre article mais avec des lunettes différentes. Ceci pour être plus explicite. La censure de votre part va s’en suivre mais au moins vous aurez lu le fond de ma pensée.
    Du titre: Des agents de la police, de l’armée et du SNR indexés. il y a un oubli parmi les institutions incriminées: le peuple, probable coupable pour avoir enfanté ces éléments incriminés et pour être plus explicite, le titre aurait été « Le peule burundais, des agents de la police, de l’armé et du SNR indexés. » Cela peut paraitre provocateur mais c’est le lot quotidien depuis 2015 et voir avant mais dans tous les cas, depuis les premières tentatives de déstabilisation du Burundi par organisation de la société civile interposée. A Iwacu, on aime publier les opinions mais pas celles qui dérangent dont nos tentatives de revisiter l’historique de la crise, ses acteurs et les actes…Peine perdue! Y-a-t-il plus connaisseur que les autres des enjeux qui se jouent au pays? Certainement oui. En revanche, les étrangers ne les maitrisent pas mieux que les propres citoyens.
    Du fond: celui qui nierait qu’il n’y a pas de violation des droits de l’homme au Burundi serait un menteur. Le problème est que le Burundi, aux yeux de certains de ces experts et connaisseurs du Burundi dont Carina Tertsakian, Lane Hartill et Thijs Van Laer de cet IDHB semblent vouloir faire du Burundi un monopole dans la violation des droits de l’homme. J’ai essayé de consulter les publications de ces sieurs et dames et je ne trouve nul part un acharnement aussi virulent que celui sur le Burundi. Mais pourquoi? L’histoire le dira mais ce qui est certain, ils reproduisent textuellement le contenu des publications des organisations dites de la société civile et qui dit société civile à la Burundaise dit forcement – et cela blesse- une opposition politique (nocive) qui ne dit pas son nom. Nocive parce que l’opposition politique doit être une alternative au pouvoir. Or, lorsque l’on traine systématiquement dans la boue son pays, que l’on demande systématiquement à ce qu’il soit asphyxié sur tout, cela questionne les intentions des acteurs…
    Sous d’autres cieux et pas très loin du Burundi, un tel article aurait valu à ses auteurs quelques années de prison.Les exemples ne manquent pas. Pour dire tout de même qu’il y a lieu de porter un autre regard sur ce qui se fait au Burundi!

    • Jereve

      Nous sommes d’accord sur un point: nier qu’il n’y a pas de violation des droits de l’homme au Burundi serait un mensonge. Alors pourquoi vous en prenez-vous à ceux qui osent pointer le doigt sur ces violations? Ignorez-vous que ceux qui sont au pays sont obligés de rester muets ou raconter des mensonges pour ne pas s’attirer des ennuies? Mettons-nous d’accord sur un point: ces violations doivent cesser! Pour que le Burundi retrouve son beau costume d’état de droit. Ne vous trompez pas de cible en tirant sur les messagers, visez plutôt les délinquants.

    • Jules

      Vous meme,vous reconnaissez qu’au Burundi il ya des violations des droits de l’homme commises par le gouvernement burundais.

      Mais,au lieu de s’insurger contre la situation inacceptable ,gravissime et chaotique dans laquelle s’est embourbé le gouvernement burundais.

      Vous dénigrez et vilipendez les défenseurs des droits humains qui révèlent et rapportent ces exactions gouvernementales.

      Mais, monsieur Nshimirimana, depuis quand dénoncer, dénigrer les exactions et violations du gouvernement de son pays,équivaut à trainer dans la boue son pays???

      Et depuis quand soutenir et défendre les exactions du gouvernement de son pays ,c’est faire preuve de patriotisme????

      Et vous pensez qu’en faisant cela ,c’est vous Monsieur Nshimirimana qui défendez, rendez service à la population burundaise.

      Décidément,on aura tout lu sous le ciel burundais!!!!

    • roger crettol

      Voyons, monsieur Nshimirimana,
      JerryCan trouve que c’est beaucoup – toute une tartine pour dénigrer le travail de l’IDHB et des autres ONG burundaises qui travaillent sur les violations des droits de la personne humaine.

      « celui qui nierait qu’il n’y a pas de violation des droits de l’homme au Burundi serait un menteur. » Soit. Mais alors, qui a le droit d’en parler, et en public ?

      Ou bien, la honte doit-elle primer et tout discours sur ce thème scabreux doit-il être banni de l’espace public ?

      JerryCan est perplexe, et reconnaissant à IWACU d’oser ce discours dans ses publications.

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