Vendredi 15 novembre 2024

Politique

Discours à la Nation : Boulets rouges sur Kigali

Discours à la Nation : Boulets rouges sur Kigali
Evariste Ndayishimiye : « Malheureusement, toutes ces initiatives viennent de tomber à l’eau à cause du Rwanda »

Lors de son discours à la Nation du 31 décembre 2023, le président Evariste Ndayishimiye a formellement accusé le Rwanda de soutenir le mouvement rebelle Red-Tabara. Il l’a accusé d’avoir perpétré une attaque où 19 civils et un policier ont été tués selon le bilan officiel. Il est aussi revenu sur la « Vision Burundi pays émergent en 2040, pays développé en 2060 ». D’aucuns déplorent le fait qu’il n’a fait aucune allusion aux problèmes du moment.

Par Pascal Ntakirutimana et Fabrice Manirakiza

D’emblée, le président de la République déplore l’attaque perpétrée, à Vugizo, dans la nuit du 23 décembre 2023, zone Gatumba, commune Mutimbuzi, province Bujumbura où 19 civils et un policier ont été tués. « Nous terminons cette année étant dans un état d’affliction, car le Burundi vient encore une fois de perdre ses enfants à travers des massacres perpétrés par des assaillants du Mouvement Red-Tabara. » Dans la foulée, les accusations contre le Rwanda tombent. D’après le chef de l’Etat, ce mouvement rebelle a son siège au Rwanda.

« Dans le but d’éradiquer ce mouvement terroriste, des tractations entre le Burundi et le Rwanda étaient déjà en cours pour remettre ces assaillants à la justice burundaise. Mais nous venons de constater que ce dialogue était de la poudre aux yeux. Le Rwanda a plutôt continué à financer ce mouvement terroriste. » Nul ne peut ignorer, poursuit le président Ndayishimiye, qu’après avoir commis des crimes en 2015, ce mouvement s’est réfugié au Rwanda où il a bénéficié des formations terroristes. « Rappelez-vous que ces terroristes ont commis les premiers massacres à Ruhagarika en province de Cibitoke où ils ont massacré des familles et voilà qu’ils viennent de s’attaquer à la population de Gatumba. »

Selon lui, Gitega n’a ménagé aucun effort pour que ces brouilles cessent. « La communauté internationale en est témoin, car elle nous a félicités quand nous avons volontairement décidé de réouvrir nos frontières afin de permettre à nos populations de renouer leurs relations. Malheureusement, toutes ces initiatives viennent de tomber à l’eau à cause du Rwanda. »

Gitega est décidé à en découdre avec le mouvement rebelle

Le président de la République promet de prendre toutes les mesures possibles afin de préserver la sécurité de la population. « Nous demandons à la population burundaise de rester vigilante, car la base de ce mouvement terroriste est choyée chez notre voisin, le Rwanda. Nous lançons un appel encore une fois au gouvernement rwandais de revenir à la raison et de comprendre que quand la maison du voisin brûle sache que la menace plane sur la tienne. Il n’y a aucun profit pour le Rwanda quand les Burundais et les Rwandais se regardent en chiens de faïence. »

Et d’annoncer que Gitega compte saisir la communauté internationale afin que cette dernière convainque le Rwanda d’extrader les chefs de ce « mouvement terroriste » pour qu’ils soient traduits devant la justice burundaise faute de quoi le Rwanda serait en train de créer des relations d’inimitiés entre les populations de ces deux pays alors qu’elles sont extérieures à ce conflit.

Sur son compte X (Twitter), le mouvement Red-Tabara revendique l’attaque du « poste-frontière de Vugizo en zone Gatumba dans la nuit de vendredi 22 décembre 2023. » Toutefois, il nie avoir tué des civils. Et d’ajouter : « Red-Tabara n’est soutenu par aucun pays, il n’a que le soutien du peuple burundais dont il porte la voix des revendications. »

Au niveau du développement économique, le président Evariste Ndayishimiye a estimé que dans 37 ans seulement le Burundi aura atteint son développement. Pour y arriver, le chef de l’Etat a annoncé une série de réalisations que le gouvernement s’engage à faire. Il y a entre autres le renforcement de la sécurité, le renforcement de la bonne gouvernance par l’entremise de la lutte contre les discriminations, la corruption et les malversations économiques ainsi que ceux qui détournent les deniers publics.

Le gouvernement compte également multiplier les écoles et les centres d’enseignement des métiers, initier des formations professionnelles et techniques de l’école secondaire jusqu’à l’Université pour produire des lauréats capables de mettre en œuvre la Vision du Burundi 2040-2060.

Le gouvernement du Burundi envisage, pour cette année, d’organiser un forum sur l’environnement, libérer tous les prisonniers accusés de délits mineurs afin qu’ils puissent aider dans la production.

Des propos qui ont du mal à passer

Le constat, pour nombre d’observateurs, est que le chef de l’Etat n’a rien dit sur la situation socio-économique de l’heure : carence de devises, manque de carburant, pénurie des produits pétroliers, cessation des activités des entreprises publiques comme la Sosumo, Onatour, la flambée des prix des denrées alimentaires …

Toutefois, lors de l’émission publique animée en province Cankuzo le vendredi 29 décembre, le président Evariste Ndayishimiye a demandé à la population burundaise de suivre son modèle de vie en constituant des stocks de produits vivriers.

Il a déclaré : « Ceux qui se plaignent que les produits (vivriers) sont chers, produisez-les vous-même ! Me suis-je jamais plaint devant vous du prix exorbitant des pommes de terre et du haricot alors que j’en dispose chez moi ? Me suis-je jamais plaint devant vous du prix exorbitant du maïs alors que j’en possède chez moi ? Moi, je puise dans mon stock. J’ai plus d’une tonne de millet, plusieurs tonnes d’arachides, j’ai environ cinq tonnes de maïs que je mous, j’ai du riz en stock, j’ai du haricot en stock, comment alors puis-je savoir que tous ces produits sont chers ? Comment devrais-je en être conscient ? Pourquoi vous n’en faites pas autant ? »

Des propos qui ont suscité un tollé et l’indignation dans les ménages. « Comment est-ce qu’un président de la République peut-il prononcer de telles paroles devant tout un peuple qui meurt de faim ? », s’interrogent certains observateurs de la politique burundaise.


Réactions

 

Révérien Ndikuriyo : « C’est contre-productif de cacher les gens pendant cette petite période pour hypothéquer tout un siècle de bon voisinage »

Après les accusations du président Evariste Ndayishimiye que Kigali soutient le Mouvement Red-Tabara, le secrétaire général du CNDD-FDD est revenu sur ce discours avec une touche personnelle. Quand la crise de 2015 a éclaté avec le coup d’Etat manqué du 13 mai, a-t-il rappelé, tous les putschistes sont partis au Rwanda et ont été accueillis par ce pays. « C’est une petite liste de gens avec à la tête Godefroid Niyombare qu’il faut nous remettre pour qu’ils soient jugés et emprisonnés ».

Par le passé, relate-t-il, il y a toujours eu des escarmouches entre le Rwanda et le Burundi, mais aujourd’hui il faut que ce pays comprenne que ses protégés sont en train de prendre de l’âge, d’ici 30 ans, ils vont tomber dans les oubliettes. « C’est contre-productif de cacher les gens pendant cette petite période pour hypothéquer tout un siècle de bon voisinage », a soutenu Révérien Ndikuriyo.

Il affirme qu’il a rencontré à maintes reprises certains officiels rwandais et qu’il leur a fait savoir qu’il faut des pourparlers afin qu’ils acceptent de remettre ces gens au gouvernement burundais.

« Vous avez chassé l’armée du président Habyarimana et ils sont partis avec tout l’argent et des armes dont des blindés qui ont par après servi à fabriquer des braseros suite à l’usure et jusqu’aujourd’hui, ils n’ont pas réussi à revenir, il faut vous mettre à l’évidence que ces putschistes burundais ne reviendront pas », a-t-il conclu. Le secrétaire général du CNDD-FDD demande que ces responsables du mouvement insurrectionnel de 2015 soient remis au Burundi.

Avec différentes entrevues avec des officiels rwandais à Dodoma ou en Afrique du Sud récemment, confie-t-il, nous croyions qu’ils allaient être envoyés, mais ils ont changé.

Et de faire un petit rappel : « Nous avons passé plus de 10 ans au maquis et nous n’avons pas réussi à prendre ne fût-ce qu’une province, ce sera pareil. Mais de grâce que ces rebelles cessent de s’en prendre aux civils ».

 

Kefa Nibizi : « Cette vision risque d’être un refuge pour ne pas s’attaquer aux questions de l’heure. »

 


« Nous avons été un peu surpris que tout le discours soit fondé sur la Vison 2040-2060 sans aucune allusion aux problèmes de l’heure notamment au manque criant de devises, du carburant, à la suspension des activités de certaines entreprises comme la Sosumo, Onatour, les entreprises qui risquent de fermées comme l’Onatel, … », relève le président du parti Codebu, « Iragi rya Ndadaye ». D’après lui, on devrait entendre des promesses directes et concrètes pour d’autres denrées qui manquent comme notamment le sucre, le ciment Buceco, … « En un mot, nous n’avons entendu aucune solution, aucune promesse pour résoudre les problèmes du moment. »

Concernant la Vision 2040-2060, M. Nibizi rappelle que le Burundi a déjà connu plusieurs plans de développement (Vision 2020-2025, Plan national de développement (PND), …). « Cette vision risque d’être un moyen de refuge pour ne pas s’attaquer aux questions de l’heure.»

M. Nibizi ajoute que le président Ndayishimiye n’a pas fait allusion à ce qui est de l’espace politique, respect des droits humains, notamment la liberté d’opinion et d’expression. « 2024 est une année de la préparation des élections de 2025. Cela nous laisse perplexes, car on se demande si on envisage des élections inclusives ou cela n’est plus une préoccupation. »

Quant à la résurgence des tensions entre le Burundi et le Rwanda, le président du parti Codebu trouve qu’on arrive à un degré plus grave de mauvaises relations entre les deux pays. « Le parti Codebu recommande aux deux parties de privilégier la voie du dialogue et de se parler sans faux-fuyant en touchant les vraies questions. Cette situation n’est bénéfique ni pour le Burundi ni pour le Rwanda. »

Kefa Nibizi salue néanmoins la promesse du président de la République de libérer tous les prisonniers détenus arbitrairement n’ayant pas des motifs valables pour être dans les prisons, mais aussi des prisonniers poursuivis pour des crimes mineurs. « Certes, ce n’est pas la première fois que cette promesse est donnée et nous espérons que cette fois-ci qu’elle sera tenue et qu’on va désengorger les prisons. »

Concernant les propos du chef de l’Etat lors de l’émission publique, Kefa Nibizi pense que le porte-parole du président de la République devait bien clarifier ce qu’il a voulu dire. « Je pense qu’un chef de l’Etat ne peut pas demander à un citoyen lambda de se comparer à lui en ce qui est des moyens de substance. »

Il souligne que les Burundais lui accordent, à travers le budget de l’Etat, des moyens colossaux pour vivre à savoir l’intendance, le salaire et les moyens de déplacement qui lui permettent d’aller encadrer ses champs sans oublier que sa position lui permet d’avoir facilement accès à des terres arables et aux intrants agricoles.

La finalité de tous ces moyens qui lui sont accordés, poursuit M. Nibizi, est qu’il n’ait pas de soucis quotidiens afin qu’il s’imprègne de la situation réelle de la vie de la population et imagine des solutions pour redresser le niveau de vie de ses administrés. « Nous pensons que le chef de l’Etat devrait plutôt analyser profondément les causes réelles de la cherté de la vie qui peuvent être internes ou externes. »

Pour M. Nibizi, il serait impensable que le président de la République ne soit pas au courant de la cherté de la vie que vit la population. « Cela risquerait de créer une situation de perte de confiance de la population en son président. Et cela produirait des faits indésirables dans la continuité des affaires de l’Etat. »

 

Aloys Baricako : « Un discours qui ne répond pas aux attentes de la population »

D’après le président du Parti RANAC, le discours du chef de l’Etat à la nation est un discours qui n’a pas répondu aux attentes de la population. Il fait savoir qu’un discours qui répond aux attentes de la population doit contenir un rapport annuel des activités du gouvernement, du chef de l’Etat et de toutes les institutions publiques parce que c’est le moment de faire un bilan. Dans ce bilan, poursuit-il, il faut indiquer à quel pourcentage les prévisions de l’année dernière ont été atteintes et satisfaisantes. Et si cela n’a pas été le cas, il prévoit, dans ce même discours, les moyens qu’il va mettre en place pour finalement atteindre la satisfaction.

Selon ce politique, le programme sur lequel il a été élu devrait être subdivisé de telle manière qu’à chaque fin d’année on puisse évaluer les réalisations ou les actions gouvernementales au prorata du programme politique pour lequel il a été élu. « C’est un discours qui ne présente pas de chiffres. Or, c’est à partir de ces chiffres qu’il est possible de se rendre compte de là où nous quittons, là où nous sommes et là où nous allons.», charge M.Baricako.

Dans ce discours à la nation, fait-il comprendre, il fallait que le chef de l’Etat promette au Burundais, d’une façon bien précise, ce qu’il va faire durant cette année 2024.

A propos des relations entre le Burundi et le Rwanda, le président du RANAC indique que malgré les massacres qui ont été perpétrés à Gatumba, le discours du président est trop dur. « Il fallait mettre sur les rails le côté diplomatique. Ce n’est pas trop tard, il y a toujours moyen de relancer un appel.», estime-t-il.

Concernant le discours de Cankuzo, M.Baricako pense que le chef de l’Etat l’a dit pour encourager la population à travailler. Cependant, poursuit-il, il a oublié une chose : « Nous avons certes une population agricole, mais qui n’a pas suffisamment des moyens pour produire. Si elle pouvait produire suffisamment, il n’y aurait pas ce problème de la flambée des produits alimentaires.»

Si le président ne remarque pas qu’il y a flambée des prix sur le marché, pourquoi a-t-il demandé que le budget de son intendance soit majoré, se demande ce politique burundais. « Avant l’année passée, le budget de l’intendance était de 300 millions, mais pour l’année qui vient de terminer, ce budget était de 350 millions ». Le président du RANAC estime que c’est paradoxal. « On ne peut pas augmenter le budget de l’intendance sans qu’on se rende compte que les prix sont devenus exorbitants sur le marché ».

 

Olivier Nkurunziza : « Il faut concrétiser les discours …»

Le président du parti UPRONA estime qu’à l’heure où nous sommes, les relations entre le Burundi et le Rwanda se sont normalisées. « Depuis 2015, il y avait fermeture des frontières entre le Burundi et le Rwanda, mais après et suite à des dialogues entre les hautes autorités de ces deux pays, les frontières ont été réouvertes et la circulation est normale.»

Malgré les discours du président Ndayishimiye suite à l’attaque de Gatumba M. Nkurunziza insiste que le Burundi et le Rwanda sont des pays frères. Il demande que les deux pays ne se précipitent pas à fermer les portes de dialogue. « En dépit de ces malentendus, il faut que la voie de la diplomatie reste un mot d’ordre ».

Le président de l’UPRONA conseille en effet au gouvernement du Burundi de tout faire pour que le pays ne retombe pas dans la même situation que celle d’après 2015. « Eviter surtout de ne pas se précipiter à fermer les frontières. Le Burundi tout comme le Rwanda a l’intérêt à ce que leurs populations continuent à échanger leurs biens ».

Concernant le discours de Cankuzo, le président du parti UPRONA estime que cela serait étonnant qu’un chef d’Etat ne soit pas informé des prix parce que les prix sont décidés souvent par les organes étatiques qui sont sous sa responsabilité. « On ne peut pas prendre des décisions à son insu ».

Peut-être, estime-t-il que le président a voulu dire qu’il n’achète pas des produits alimentaires parce qu’il est cultivateur, mais tous les Burundais ne peuvent pas être des cultivateurs.

Pour Olivier Nkurunziza, il faut dire les choses comme elles sont : la vie est très chère au Burundi. « C’est difficile aujourd’hui de joindre les deux bouts du mois. Si le président de la République n’est pas informé, nous lui informons que la vie est très chère. Les prix sur le marché du riz, de haricots, de pommes de terre, etc., sont à une montée exponentielle que le gouvernement doit tout faire pour freiner cette montée des prix sinon la vie sera intenable dans les jours à venir.»

D’après lui, la première responsabilité revient à l’Etat. Il doit créer et garantir des conditions qui permettent à chaque Burundais de vivre de façon digne. « On n’a pas besoin de ce que le président produise, mais de ce que les Burundais consomment pour vivre mieux dans leur pays.»

 

Patrick Nkurunziza : « Plus d’actions que de discours

Le président du parti Sahwanya Frodebu indique qu’au-delà du discours, son parti attend des autorités burundaises à ce que le Burundi soit une société juste et équitable matérialisée par un Etat de droit, un Etat démocratique.

De cette manière, avance-t-il, le Burundi ne fera plus l’objet d’attaques criminelles qui emportent la vie des citoyens innocents, particulièrement les jeunes et les femmes ; les relations entre le Burundi et le Rwanda seront renormalisées ; le Burundi pourra devenir un pays émergent en 2040, un pays développé en 2060. « Le Frodebu attend du Chef de l’Etat beaucoup plus des stratégies et des actions que des discours pour faire face a tous ces défis.»

Pour Patrick Nkurunziza, le Chef de l’Etat a effectivement accusé le Rwanda d’abriter et de soutenir le mouvement Red-Tabara qui revendique publiquement et officiellement ces attaques criminelles. Le parti FRODEBU estime que le Chef de l’Etat dispose certainement des sources d’informations fiables.

Néanmoins, déclare-t-il le FRODEBU n’a pas à commenter une telle situation, mais proposent plutôt aux Gouvernements de ces pays de tout mettre en œuvre pour résoudre ce problème par la voie diplomatique, et ce, pour l’intérêt supérieur des peuples burundais et rwandais.

Concernant le discours du chef de l’Etat où il déclare qu’il n’est pas conscient des flambées des prix des produits alimentaires, le président du FRODEBU indique que son parti a été surpris par le fait que le Chef de l’Etat ne semble pas être au courant des difficultés économiques et financières qui accablent la grande majorité de la population burundaise.

Le FRODEBU a été également surpris, poursuit-il par la recommandation du Chef de l’Etat aux citoyens de se comparer à lui pour faire face aux problèmes de pauvreté, de misère et de chômage. « Le Chef de l’Etat semble ignorer que la population ne dispose pas les mêmes moyens que lui », charge le président du parti de Ndadaye.

 

Faustin Ndikumana : « Il faut se défaire de la politique de l’autruche »

D’après le représentant de la Parcem, tous les discours du chef de l’Etat adressés à la nation sont des discours politiques. Or, dans tout discours politique, le chef de l’Etat doit s’appuyer sur les réussites. « Il doit faire remonter l’espoir que même si les choses n’ont pas marché telle année, il y aura probablement des réussites.»

Pour Faustin Ndikumana, l’essentiel est qu’actuellement tout le monde voit les défis auxquels le Burundi est confronté : pauvreté extrême, manque des devises, inflation, problème de gouvernance, la corruption, dysfonctionnement institutionnel avec des conséquences évidentes au niveau social, conditions de vie précaires, le nombre de vulnérables qui augmente de plus en plus, la jeunesse qui continue de perdre l’espoir, etc.

Selon cet activiste de la société civile, des engagements d’affronter ces défis à partir de 2024 devraient être pris en vue de trouver des solutions idoines. « Il faut éviter de continuer à faire la politique de l’autruche ou bien de déplacer le problème, de chercher des raisons ailleurs. Il faut reconnaître les défis qui sont là et qui sont internes pour que quand même le pays puisse avancer », renchérit M. Ndikumana.

Pour le discours de Cankuzo sur la cherté de la vie, M. Ndikumana croit que le président de la République a voulu donner l’exemple de la gestion des stocks. « Le président a voulu inciter les gens à bien se comporter pendant cette période de crise économique, en invitant les gens à mieux gérer à constituer des stocks s’ils le peuvent, à bien gérer ou même à investir dans l’agriculture pour pouvoir constituer des stocks à la maison ».

Toutefois, Faustin Ndikumana considère que le président de la République n’est pas un citoyen ordinaire. Au niveau même des moyens, c’est quelqu’un qui peut mobiliser beaucoup de moyens pour faire un investissement quelconque que tous les citoyens burundais ne peuvent. « Avoir les mêmes moyens que le président de la République pour investir dans l’agriculture serait difficile », fait-il savoir.

 

Hamza Venant Burikukiye : « Les seules barrières à la Vision 2040-2060 restent le sabotage économique et la paresse »

« A travers le discours du chef de l’Etat à la Nation, le message est non seulement tranquillisant, mais aussi ça rassure et plein d’espoir », indique Hamza Venant Burikukiye, représentant de l’Association Capes+. Réagissant sur les propos du président de la République lors de l’émission publique animée en province Cankuzo, M. Burikukiye trouve que l’appel à la population de travailler pour produire beaucoup afin de constituer des stocks comme lui reste un bon exemple d’un leader. « C’est une question de l’offre et de la demande. Plus la production augmente, la demande est satisfaite et par conséquent les prix diminuent, car il n’y a plus la rareté des produits. »

Quant à la Vision 2040-2060, Hamza Venant Burikukiye assure que les seules barrières qui pourraient faire obstacle à la réalisation de cette vision restent le sabotage économique et la paresse.

 

Gabriel Rufyiri : « La principale clé du succès est la bonne gouvernance à tous les niveaux »


« Une vision est un rêve et ce dernier doit être traduit dans un document. La Vision 2040-2060 a été votée au niveau du Conseil des ministres, c’est un engagement de l’Etat. Maintenant il nous faut des stratégies sectorielles sur chaque volet. Ensuite, vient une étape de l’opérationnalisation des documents stratégiques », souligne le président de l’Olucome.

D’après Gabriel Rufyiri, cette étape de l’opérationnalisation nécessite deux choses importantes : d’abord les experts. « Chez nous, on ne donne pas la valeur aux experts dans les différents domaines. »

Un autre élément important, selon le président de l’Olucome, ce sont les moyens tant matériels que financiers. « Pour moi, un discours est bon, mais il faut nous montrer exactement quelle méthodologie en place, d’où viendront les moyens et quelle est la stratégie mise en place avec un plan bien structuré avec aussi des indicateurs d’évaluation sur une période donnée. Si tout n’est pas disponible, un discours reste un discours. »

Il y a eu beaucoup de réformes dans ce pays qui ont échoué, indique-t-il, parce qu’il y avait des problèmes suite d’abord au manque d’experts, des moyens financiers et de l’évaluation.

Selon Gabriel Rufyiri, la mauvaise gouvernance est la principale cause de ce que nous vivons aujourd’hui. « Le problème, nous avons devant nous des militants du parti. Quand on ne différencie pas les postes techniques et les postes techniques, ça devient problématique. Tout est mélangé chez nous. »

Toutefois, Gabriel Rufyiri garde espoir. « La principale clé du succès est la bonne gouvernance à tous les niveaux c’est-à-dire la gouvernance politique, économique, sociale … Sans cela, tout ce que nous faisons est nul est sans effet. »

 

André Nikwigize : « L’avenir du Burundi sera déterminé par les mesures que le Chef de l’Etat prendra en 2024 »

L’économiste réagit essentiellement sur les propos prononcés par le chef de l’Etat à Cankuzo. D’après lui, les déclarations du chef de l’Etat ont choqué plus d’un. Elles s’ajoutent à de nombreuses autres, poursuit André Nikwigize, où le président Ndayishimiye affirmait qu’il n’est pas responsable du manque de devises pour l’importation ou de la pénurie de carburant ou bien que la population ne fait que se lamenter qu’elle a faim, qu’elle est pauvre, que les enfants souffrent de malnutrition, que les enfants manquent de bancs ou de matériel scolaires, que les hôpitaux sont devenus des mouroirs, et d’autres, une population qui se lamente alors qu’elle a tout pour bien vivre.

« C’est une attitude qui dénote, soit d’une mauvaise connaissance des fonctions d’un chef de l’Etat ou d’une mauvaise gouvernance de la part du chef de l’Etat et de son équipe. » Selon André Nikwigize, la fonction du chef de l’Etat est de représenter toute la Nation, dans sa diversité, sociale, ethnique, du genre et régionale. Il est le garant de la sécurité et du bien-être de la population dont il a la charge. « Il doit être en mesure de faire face aux graves crises susceptibles de survenir à tout moment. Son rôle est de lutter contre la pauvreté, combattre la corruption, améliorer les systèmes éducatifs trop faibles, garantir des systèmes de santé adéquats, ou garantir la paix et la stabilité pour tous, … La liste est longue. »

D’après l’économiste, la situation économique actuelle est explosive et nécessité un sursaut d’engagement patriotique. « Non seulement du chef de l’Etat, mais de tous les Burundais, où qu’ils se trouvent. Comment rester insensible lorsque plus de 75% de la population sont dans l’extrême pauvreté et ont faim, et que lorsque cette population crie vers le garant de leur sécurité humaine, ce dernier leur rétorque que cette question de la faim et de manque de vivres ne le concerne pas, et qu’il a tout ce qu’il faut pour tenir encore pendant plusieurs mois ou années. »

Et de se poser une question : « Que fait le Gouvernement lorsque le pays est asphyxié par le manque de devises et de carburant, parce que le pays n’exporte pratiquement rien pour avoir des devises et qu’il attende que les occidentaux lui viennent en aide ; lorsque la corruption se généralise dans le pays jusqu’à ce qu’il soit classé l’un des pays les plus corrompus du monde ; lorsque les entreprises publiques (SOSUMO, ONATEL, REGIDESO, OTB,….) tombent l’une après l’autre comme un château de cartes laissant les populations bénéficiaires de leurs services démunis ? … »

D’après M. Nikwigize, la Vision 2040-2060 que le chef de l’Etat promet au peuple burundais ne sera possible que s’il s’engage, d’abord, à améliorer la gouvernance économique et financière d’aujourd’hui. « Sinon, ce sont des promesses sans lendemain. Le gouffre est profond. L’avenir du Burundi sera déterminé par les mesures que le Chef de l’Etat prendra en 2024, et non, par les promesses d’un lendemain meilleur. »


Trois questions à Pascal Niyonizigiye

Pascal Niyonizigiye :« Mettre sur pied une commission d’enquête »

Le spécialiste des relations internationales et professeur d’Université fait le point sur le processus de normalisation des relations entre le Burundi et le Rwanda.

Lors du discours du Nouvel an, le président Evariste Ndayishimiye a encore accusé le Rwanda de soutenir le mouvement Red-Tabara. Votre observation.

C’est très dommage que les relations entre le Burundi et le Rwanda qui étaient presque rétablies depuis l’arrivée au pouvoir du président Evariste Ndayishimiye soient devenues encore une fois tendues. Suite au forfait qui a été fait à Gatumba, le chef de l’Etat dit que ceux qui ont été tués à Gatumba ont été éliminés par les rebelles du mouvement Red-Tabara qui est soutenu par le Rwanda.

Cela devient un grand problème à partir du moment où on se disait que la situation était avancée vers le rétablissement de bonnes relations entre les deux pays.

Depuis 2015, il y a toujours des accusations pendantes. Le Burundi peut toujours accuser le Rwanda et ce dernier peut toujours nier les accusations.

Que faire alors ?

La meilleure façon d’y mettre fin c’est de clarifier la situation et exposer la vraie situation. A chaud on ne peut pas organiser des négociations. Dans un premier temps, il faut élucider le crime et désigner l’auteur du forfait, un travail technique.

La meilleure façon de faire pression sur l’auteur de ce forfait, avant même la poursuite du dialogue, c’est d’organiser une enquête internationale sérieuse. « Mettre sur pied une commission internationale neutre, dans le cadre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) par exemple, pour montrer à l’humanité qui est l’auteur de ce forfait et qui soutient réellement cet auteur.»

Ces deux pays devraient chercher à résoudre ce problème le plus rapidement possible, car le coût de l’instabilité au niveau social, politique et économique a été déjà énorme. « Nous avons connu beaucoup de problèmes consécutifs aux différentes crises que nous avons vécues depuis pratiquement les années 1990 ».

Et si la situation perdure ?

Si la situation génère, cela risque d’aggraver la situation de telle sorte que toute la région soit affectée. « Regardez par exemple, nous sommes à côté du Congo qui a des problèmes avec le Rwanda. Le renouveau des brouilles diplomatiques entre le Burundi et le Rwanda risque d’envenimer la situation dans la région des Grands Lacs. »

Forum des lecteurs d'Iwacu

8 réactions
  1. Jereve

    D’abord une question: est-ce que les anciens putschistes, dont Niyombare en tête, sont entre temps devenus des rebelles faisant partie du red-tabara? Est-ce que ce sont les putschistes qui ont commis des atrocités à Gatumba? Si oui, le Burundi est dans son droit de réclamer à la fois l’extradition et des red-tabara et des putschistes. Si non il faut faire la différence, et précisément en ce qui concerne les massacres de Gatumba, éviter des amalgames de mettre tout le monde dans un même panier. Cela peut fausser les enquêtes.
    Et une opinion: j’ai sous les yeux une belle brochure très bien illustrée de belles couleurs chatoyantes et belles photos… On voit très bien que c’est un travail de pros. Le document est intitulé « Vision Burundi 2025 ». D’ici peu nous sommes déjà en 2025, et ma foi les choses n’ont pas beaucoup évolué. A nous maintenant de voir si nous faisons des progrès vers les visions ou si nous faisons du sur place ou carrément l’inverse.

  2. Riraniga

    La vision 2040/2060 sont des utopies.
    Au rythme où on va.
    Nous serons plus pauvres et plus corrompus en 2040.
    Aucune solution visible à nos problèmes existensiels.

    • Wavuga

      Tu es vraiment optimiste!
      Il est un peu risqué de parier sur l’avenir.

      • Stan Siyomana

        @Wavuga
        Comme nos dirigeants burundais ne cessent de nous dire combien ils sont profondement religieux, l’on pourrait comparer les indicateurs economiques TOUS NEGATIFS aux mots hebreux MENE, MENE, TEKEL, PERSIN apparus sur le mur du palais du roi Belschatsar.
        « Le roi Belschatsar donna un grand festin à ses grands au nombre de mille, et il but du vin en leur présence. 2Belschatsar, quand il eut goûté au vin, fit apporter les vases d’or et d’argent que son père Nebucadnetsar avait enlevés du temple de Jérusalem, afin que le roi et ses grands, ses femmes et ses concubines, s’en servissent pour boire. 3Alors on apporta les vases d’or qui avaient été enlevés du temple, de la maison de Dieu à Jérusalem; et le roi et ses grands, ses femmes et ses concubines, s’en servirent pour boire. 4Ils burent du vin, et ils louèrent les dieux d’or, d’argent, d’airain, de fer, de bois et de pierre.
        5En ce moment, apparurent les doigts d’une main d’homme, et ils écrivirent, en face du chandelier, sur la chaux de la muraille du palais royal. Le roi vit cette extrémité de main qui écrivait…
        25Voici l’écriture qui a été tracée: Compté, compté, pesé, et divisé. 26Et voici l’explication de ces mots. Compté: Dieu a compté ton règne, et y a mis fin. 27Pesé: Tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé léger. 28Divisé: Ton royaume sera divisé, et donné aux Mèdes et aux Perses.
        29Aussitôt Belschatsar donna des ordres, et l’on revêtit Daniel de pourpre, on lui mit au cou un collier d’or, et on publia qu’il aurait la troisième place dans le gouvernement du royaume… »
        https://saintebible.com/lsg/daniel/5.htm
        https://www.biblegateway.com/passage/?search=daniel%205&version=NIV

      • Les relations Rwanda- Burundi. umwana bati kubita uwo wanka agakubita uwo basangira. On parle de « Faux Jumeaux »pour qualifier les deux pays. Une attaque des rebelles ( avec mort d,enfants!) vient de la RDCongo et le Rwanda est accuse. Comme si Gatumba en etait frontaliere. Logiquement c,est la RDC qui aurait du etre accusee en premier puisque les rebelles en seraient venus de l,autre cote de la Rusizi. Mais helas, c,est l,autre pays qui a ete pointe du doigt comme si le forfeit etait venu de la Kibira. N,est ce pas peut etre une facon detournee pour camoufler/ justifier d’autres situations, notamment la presence des FNDB aux cotes des FARDC/ Wazalendo/ Fdlr au Nord Kivu….et eventuellement les problemes rencontres la bas? Les contacts diplomatiques et les mecanismes regionaux devraient servir de levier pour apaiser les tensions.

        • Langax2

          @John:Tu as raison,l’attaque des red-Tabara est localisée à Gatumba,frontalier avec la RDC.Les accusations de Neva sur le Rwanda est une façon de justifier à l’opinion burundaise l’appui des FDB aux FARDC dans la lutte contre les rebelles du M23.La même chose la soit -disante presence des rebelles red-Tabara au sein du M23.

    • Rugandiye

      @Riraniga

      La vision 2040/2060 n’est pas une utopie. En 2040, bon nombre de membres du parti au pouvoir qui profitent des avantages liés à leurs fonctions seront passés de l’état d’immergés à celui d’émergés.

      • Stan Siyomana

        @Rugandiye
        Pour realiser une vision ca prend des dizaines d’annees.
        Supposons que le Burundi existe encore quand ces dirigeants vont quitter le pouvoir, disons en 2030 ou 2035. Meme si a ce moment-la on a de bons dirigeants, il faudra recommencer a zero et dire par exemple VISION BURUNDI PAYS EMERGENT EN 2060 ET PAYS DEVELOPPE EN 2080.

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