Le livre du chercheur belge continue de susciter un grand intérêt auprès de la communauté burundaise. Après des riches débats à l’université libre de Bruxelles et Louvain-La-Neuve, un groupe de Burundais d’Ottawa organise un débat le 6 novembre prochain. Prime Nyamoya, un des initiateurs de cette conférence a lu l’ouvrage et partage ses premières impressions. Le débat s’annonce intéressant.
Vendredi 13 octobre 1961, date fatidique chargée d’un lourd destin funeste pour le Burundi. Louis Rwagasore est abattu à la terrasse du Restaurant Tanganyika à Bujumbura. Cet assassinat est une terrible fracture dans l’histoire moderne du Burundi. Désormais, il y’a l’avant et l’après-Rwagasore. Ceux et celles de ma génération se rappellent, chacun à sa manière, comment ce coup de tonnerre a été ressenti.
En septembre 1961, j’entre en cinquième Latine au Collège Notre Dame de Gitega et la nouvelle nous a été communiquée le lendemain à notre réveil. Nous sommes allés vers la cathédrale de Mushasha où la dépouille mortelle avait été acheminée la nuit pour être exposée avant les cérémonies funéraires. De loin, près du catafalque, je vois le profil longiligne de mon père dans son costume noir, prendre un mouchoir blanc de sa poche pour essuyer son visage. La douleur du père est restée inoubliable dans la mémoire préadolescent que j’étais…
Ce livre passionnant résume à lui seul les tragédies que la nation burundaise a endurées depuis lors. Je vais séparer de manière arbitraire, la première partie comprenant les cinq premiers chapitres qui font un survol de l’histoire du Burundi jusqu’à la veille de l’indépendance. La deuxième partie concerne cette période charnière du chapitre cinq à l’indépendance, semée d’innombrables embûches dressées par la Tutelle belge. Une véritable course d’obstacles dont Rwagasore sort largement vainqueur. La victoire de l’Uprona ne peut s’expliquer autrement que par la déroute de ses adversaires abasourdis devant la défaite retentissante et humiliante pour la Tutelle qui avait tout mis en œuvre pour l’éliminer de la compétition.
Le chapitre cinq analyse en profondeur la genèse de l’assassinat : « Il faut tuer Rwagasore ». Terrible phrase de Roberto Regnier, résident du Burundi et numéro deux après Jean-Paul Harroy, devant une pléiade de fonctionnaires de la Tutelle au cours de la première réunion du 21 septembre 1961 à Kitega. Ludo de Witte traite en détail les archives du « Foreign Office », notamment le témoignage de l’ambassadeur britannique au Burundi avec résidence à Dar es-Salaam. L’implication de la Tutelle dans l’assassinat est prouvée de manière irréfutable. Après cette déclaration de Regnier, Jean Ntidendereza sera vite mis au parfum par sa secrétaire qui confirmera ultérieurement cette déclaration lors du procès. Après plusieurs tentatives d’assassinat, celle du 13 octobre s’avéra hélas, fatidique : « Les Grecs furent le bras, mais la Belgique fut le cerveau », nota le journaliste Pierre Davister.
Ce qui n’empêcha pas Georges Carlier, l’envoyé spécial du ministre Paul-Henri Spaak, de souligner qu’aucun Belge n’était « impliqué ni de près ni de loin dans le meurtre. » Le grand souci des autorités belges, – Carlier/Harroy, et ensuite Henniquiau/ Davignon-, fut de tenir les hauts-fonctionnaires belges de Kitega hors du champ de l’enquête. Et dans le premier jugement en première instance par des magistrats belges, seul Jean Kageorgis, qualifié de tueur à gages, fut le seul condamné à mort. Ce n’est que plus tard, lors des procès burundais, lorsque l’exécution sembla inévitable, que Ntidendereza mettra finalement en cause le rôle de Kitega.
Le roi ne voulait même pas une couronne de fleurs pour Rwagasore
Le chapitre 7 intitulé : « le Roi Baudouin passe à l’action » analyse les motivations du souverain belge pour harceler avec acharnement le ministre Spaak en vue de sauver les condamnés et surtout son désir de les exfiltrer en Belgique (p. 295). Jean Ntidendereza écrit au futur ambassadeur au Burundi, Edouard Henniquiau : « Notre famille, pendant deux générations, a témoigné un attachement sincère à la Belgique et l’a servie loyalement…. » En Belgique les milieux conservateurs,- l’élite démocrate- chrétienne, les milieux politiques, économiques et financiers proches des intérêts coloniaux, ainsi que le cercle du roi -, mettaient une pression pour appuyer le point de vue du palais de Laeken que « la Belgique ne peut pas abandonner les condamnés ». L’ancien résident du Burundi Robert Scheyven, ami intime de la famille Baranyanka met de son côté une forte pression pour soutenir la position du roi Baudouin.Mais Spaak refuse de signer le recours en grâce de Kageorgis.
En octobre 1960 pourtant, le roi Baudouin n’avait pourtant pas hésité à approuver, implicitement et sans l’accord du gouvernement belge, un complot en vue d’assassiner Lumumba (p.278). Les archives consultées par De Witte montrent que le roi menait personnellement les choses de la même manière dans le territoire sous Tutelle. Le chercheur note que le roi était dominé par les éléments d’extrême droite, dont les conseillers de son père Léopold III et son épouse espagnole Fabiola. Tout ce monde était fondamentalement dichotomique et sans nuance aux prétentions ultramontaines dans sa vision : pour ou contre l’Occident chrétien. Lors des obsèques de Rwagasore, dans un ultime acte de mesquinerie, le roi refuse de livrer une couronne de fleurs tant sa révulsion envers le leader burundais était viscérale. Pour une fois, le Résident Général refusa d’obtempérer à ses instructions, sans doute par pudeur.
Le 30 juin 1962, à la veille de l’indépendance, Jean Kageorgis est fusillé en proclamant : » Je ne suis pas le seul coupable dans cette affaire ». Enfin, le chapitre 8 est consacré au procès burundais malgré les menaces de Spaak de couper l’aide financière au Burundi. Sans grand succès tant la pression politique interne était si intense que rien ne pouvait arrêter la reprise du procès par un jury burundais. Bien que les avocats de la défense insistèrent sur la responsabilité de la Belgique, le Jury du Tribunal de première instance condamna les cinq complices de Kageorgis à la peine capitale. Ils sont pendus le 15 janvier 1963 au stade de Gitega.
Dans une de ses correspondances, Etienne Davignon confirme l’attitude de Bruxelles face à ce drame : occulter le rôle de la Belgique dans l’assassinat de Rwagasore et rejeter systématiquement toute forme d’aveu de culpabilité (p.337). Et dans un dernier sursaut, le roi Baudouin remuera ciel et terre en vue de sauver les conspirateurs. Sans succès.
Le six novembre à Ottawa, nous aurons la chance d’échanger sur ce livre de Ludo très précieux. Il jette une lumière crue sur des pans obscurs de notre histoire. C’est un livre que chaque burundais devrait avoir chez lui. Nos enfants ont besoin de connaître notre histoire. Il faut saluer ce travail méticuleux d’une grande érudition et d’une grande honnêteté intellectuelle qui permettra aussi bien aux Belges et aux Burundais de se réconcilier avec le passé colonial et de tourner enfin la page.
Les Editions Iwacu remercient les membres de la communauté qui se mobilisent pour la diffusion de ce livre.
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1. Le Burundi ne se remettra jamais de la disparition du prince Louis Rwagasore. C’est comme des enfants qui perdent leur mère adorée en bas âge. La blessure est indélébile et le traumatisme se transmet de génération en génération. La Tanzanie est ce qu’elle est (un pays de paix et de fraternité malgré ses 200 tribus et 2 grandes religions) parce qu’elle a eu un leader exceptionnel considéré comme un saint par les catholiques tanzaniens et en voie de béatification par le Vatican. Tout comme la Zambie grâce à un autre personnage exceptionnel: Kaunda.
2. D’autres pays ne connaissent que la malédiction comme le Burundi. Le Rwanda ne s’est jamais remis de « l’assassinat? » du puissant Roi Mutara III à l’hôtel Paguidas de Bujumbura en 1959. La Centrafrique ne se remettra jamais non plus de la mort (assassinat ? dans un crash d’avion) de l’Abbé Barthélémy Boganda extraordinaire prêtre qui voulait les Etats-Unis d’Afrique d’où le nom qu’il donna à son pays. La Centrafrique est désormais synonyme de malheur comme le Burundi. Le Congo ne s’est jamais remis de l’assassinat de Lumumba. La Guinée-Bissau est désormais un État narcotrafiquant jusqu’au sommet de l’armée et fait de violences interminables du fait de l’assassinat du héros Amilcar Cabral. Le Mozambique ne s’est jamais remis de l’assassinat de son leader charismatique Edouardo Mondlane. Comme le Soudan du Sud qui n’est jamais remis de la mort accidentel (crash d’hélicoptère) de John Garang, à la veille de l’indépendance. Le pays est désormais une photocopie du Burundi. Une guerre civile 2 ans après l’indépendance entre les Ndinka et les Nuer. Ils ont battu le record burundais qui lui a commencé la guerre civile en 1965, 3 ans après l’indépendance.
3. Il semble que certains pays sont frappés de malédictions ad vitam aeternam. 60 ans après l’indépendance, nous semblons tourner en rond sans jamais pouvoir prendre un nouveau départ pour des horizons meilleurs. Nous ratons tout ce que nous entreprendrons et toujours dans un bain de sang des innocents. Nous avons raté l’indépendance avec l’assassinat de Rwagasore et les génocides qui ont suivi, raté la démocratisation avec l’assassinat de Ndadaye, raté la restauration de la démocratie par la violation des accords d’Arusha et les massacres des jeunes en 2015 et avons raté la rectification en 2020 par le hold-up électoral . La malédiction nous poursuit de génération en génération. Quel exorcise pourra-t-il nous libérer de cet état de faillite permanente ?
Enfin, le chapitre 8 est consacré au procès burundais malgré les menaces de Spaak de couper l’aide financière au Burundi. Sans grand succès tant la pression politique interne était si intense que rien ne pouvait arrêter la reprise du procès par un jury burundais. Bien que les avocats de la défense insistèrent sur la responsabilité de la Belgique, le Jury du Tribunal de première instance condamna les cinq complices de Kageorgis à la peine capitale. Ils sont pendus le 15 janvier 1963 au stade de Gitega.
Deux commentaires par rapport a ce passage. Le premier: le maintien sous tutelle et l’utilisation de l’aide au développement comme outil de chantage des pouvoirs (néo)coloniaux pour orienter les trajectoires des sociétés africaines post coloniales date déjà de la période des indépendances. Le deuxième: avec la condamnation a mort du tueur a gages Jean Kageorgis et des supposes commanditaires burundais de l’assassinat de Rwagasore (les fils Baranyanka), la Belgique aura fini par obtenir du nouveau pouvoir politique burundais uproniste, le procès des lampistes qu’il appelait de tous ses vœux, aucune responsabilité belge n’étant pointée du doigt par le »jury burundais ». Effet collatéral du seul chantage a l’aide au développement dont je parlais tout a l’heure? Sans doute mais pas seulement. A l’Uprona de nous éclairer sur le reste.
Mais une question lancinante.
Qu avait on promis aux fils de Baranyanka?
Qu’espéraient ils en échange après l’assassinat de Rwagadore ?
Gusubiramwo amatora?
I really don’t understand
Kibinakanwa,
Gusubiramwo amatora (refaire les élections)certainement pas! Pour les Belges il s’agissait de faire comme s’elles n’avaient jamais eu lieu (scénario qui connaîtra une répétition sanglante 32 ans plus tard le 21 octobre 1993) Dans le cadre des luttes de pouvoir entre les familles princières, il était plutôt question de créer une situation de confusion qui allait aboutir a donner l’indépendance et le pouvoir politique dans le jeune Etat burundais a ceux qui les demandaient le moins. Malheureusement, lesdites familles princières ne se sont jamais rendues compte qu’un troisième acteur tapi dans l’ombre (et que je m’abstiens de nommer) attendait le moment propice pour mettre les uns et les autres d’accord, c’est-a-dire sur la touche
Quand on pense au processus de béatification qu’avait voulu lancer la reine Fabiola au lendemain de la mort de son mari le roi Beaudouin en 1993, on reste sans voix!