Dialoguer ou négocier ? Dialoguer et Négocier ? Dialoguer sans Négocier ? Combien de temps va encore durer ce jeu de ping pong que nous joue la classe politique burundaise ? Dans ce jeu, deux mots anodins servent de balle renvoyée d’un bout à l’autre de la table représentant l’échiquier politique burundais. Attention le vertige ! Ce jeu serait amusant s’il ne débouchait pas sur une perspective dramatique. La classe politique burundaise prépare-t-elle la guerre ou la paix ?
En réalité, la classe politique burundaise se noie dans un verre d’eau. Elle sait pertinemment que le conflit burundais doit être résolu par tous les moyens combinés, par le dialogue, la négociation, le respect mutuel et au besoin par l’arbitrage et la justice. De toute évidence, il existe des éléments du conflit actuel qui peuvent être résolus par le dialogue et d’autres par la négociation. Opposer les deux termes, les considérer comme irréconciliables et incompatibles c’est faire preuve de mauvaise foi. C’est rejeter la résolution du conflit par des moyens pacifiques et démocratiques.
Cependant, un espoir pour sortir de la crise et de la crispation existe depuis peu. Il est salutaire, en effet, que l’ADC-Ikibiri ait abattu les cartes, la première, sur la table. Le plan que cette coalition propose constitue un élément qui peut contribuer à nouer le dialogue entre les protagonistes et à cesser le jeu absurde de cache-cache qui se sert de deux mots nobles comme d’un masque d’hypocrisie.
Néanmoins, pour que ce plan de négociations puisse constituer l’amorce de la résolution du conflit politique burundais et pour qu’il soit considéré par les pouvoirs publics comme une avancée positive, il est impératif que l’ADC-Ikibiri fasse d’autres avancées significatives sur deux points capitaux au moins. En effet, l’opposition doit reconnaître formellement la légitimité des institutions élues au cours du processus électoral de 2010. Ce point n’est pas négociable. Du reste, proposer un plan de négociation entre deux parties a un sens implicite. La partie qui prend l’initiative de fixer le cadre de cette négociation reconnait implicitement la partie adverse. Autrement dit, la demande de négociation avancée par l’ADC-Ikibiri équivaut, en réalité, à une reconnaissance des institutions actuelles.
En outre, pour que la négociation soit fructueuse, l’opposition devrait concentrer son objectif sur le contentieux électoral de 2010. Comment l’ADC-Ikibiri pourrait-elle revenir dans les institutions de la République ? Faudrait-t-il organiser des élections communales anticipées ou réintégrer par décision politique les Conseillers Communaux qui avaient été élus et qui se sont retirés sur injonction des partis politiques formant la coalition ?
Dans le système politique burundais, il est quasiment impossible pour un parti politique qui n’a pas de responsabilité dans la gestion des communes de gagner les élections. Aussi, pour que les partis formant l’ADC-Ikibiri aient une chance réelle de revenir dans le jeu démocratique des institutions, il est indispensable qu’ils retrouvent une représentation significative au sein des Conseils Communaux.
Par ailleurs, et ce point concerne les pouvoirs publics et l’opposition, afin que la négociation aboutisse à des résultats durables, il est impératif de concentrer aussi son objectif sur les questions de sécurité des personnes et des biens. Les trop nombreux assassinats ciblés de citoyens burundais, quel que soit leur bord politique, produisent le risque majeur de faire basculer le pays dans une spirale infernale de vendetta sans fin. Il faut décréter un cessez-le feu immédiat et définitif avant d’engager le dialogue et la négociation. L’élimination des personnes, la destruction de leurs biens, la guerre et la rébellion constituent des méthodes barbares, archaïques, indignes et vraiment disproportionnées pour résoudre un simple conflit électoral.
Arusha, toujours Arusha et rien qu’Arusha !
Les nouvelles négociations sur le modèle d’Arusha, placées sous la tutelle d’un médiateur international et de deux médiateurs nationaux comme le propose l’ADC-Ikibiri, financées par la communauté internationale et organisées hors du territoire burundais, n’ont probablement aucune chance d’être acceptées ni par le gouvernement légitime du Burundi ni par la communauté internationale. D’une part, la communauté internationale a déjà tranché et a reconnu les institutions issues du processus électoral de 2010.
Même si elle a relevé des imperfections dans la loi électorale burundaise notamment. Il est donc peu probable qu’elle se déjuge et parraine des négociations qui fragiliseraient la légitimité des institutions actuelles. Elle conditionne d’ailleurs son appui économique au Burundi à deux principes fondamentaux. Le gouvernement doit engager le dialogue avec l’opposition et celle-ci doit reconnaître la légitimité démocratique des institutions. La crise économique qui frappe même les grandes puissances mondiales les incite à se concentrer sur les enjeux et les défis intérieurs et absolument pas à jeter par la fenêtre de l’argent, qu’elles n’ont plus d’ailleurs, en finançant une nième négociation de paix pour le Burundi. Si les Burundais sont incapables de résoudre seuls leurs propres conflits, alors vraiment tant pis pour eux. Ils boiront seuls le calice jusqu’à la lie !
Du reste, quelle drôle d’idée ! Replacer le Burundi sous la Tutelle des Nations Unies et de la communauté internationale l’année du cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays ne constitue pas une initiative particulièrement heureuse. Les acteurs politiques burundais devraient avoir un sursaut d’orgueil et de dignité et se montrer capables de résoudre seuls un vulgaire conflit électoral et d’organiser la négociation au Burundi sans convoquer la communauté internationale.
Pour rappel, il existe un mécanisme international pour régler les contentieux électoraux et juger les présumés coupables de violences post-électorales. La Cour Pénale Internationale a été saisie pour juger les instigateurs des violences que le Kenya a connues après les élections de 2007. La CPI vient de confirmer, d’ailleurs, qu’elle est compétente pour juger ces présumés coupables qui appartiennent à la majorité et à l’opposition. Puisque le gouvernement du Kenya n’a montré aucune preuve qu’il s’organisait pour les traduire en justice. Les Burundais pourraient donc s’inspirer du modèle kényan et saisir la CPI si le dialogue et la négociation entre l’opposition et les pouvoirs publics ne réussissaient pas à mettre fin aux assassinats et aux violences contre les personnes et les biens.
En guise de conclusion, la première démarche pour ramener la paix au Burundi consiste à inciter les protagonistes à accepter de nouer le dialogue, à se faire confiance, à préférer les solutions pacifiques et démocratiques, à respecter les institutions démocratiques et le cas échéant, à recourir à la justice internationale pour juger le contentieux. Pour mémoire, Louis Rwagasore, n’a jamais appelé les Burundais à lutter contre la tutelle coloniale au moyen de la lutte armée. Il a toujours préféré la démocratie et les moyens pacifiques pour exiger l’indépendance immédiate du Burundi.
Prochain article : « La leçon morale et politique de Louis Rwagasore »
_________________________
Athanase Karayenga, email : [email protected]