Le Public Account Committee (PAC), une commission parlementaire des comptes de l’Etat de l’Ouganda s’intéresse au paiement d’une dette de 13.670.769$ par l’Ouganda au Burundi. Des responsables du gouvernement ougandais, de la société Picfare-auprès de laquelle le gouvernement burundais avait commandé du matériel scolaire avaient-été déjà entendus, au cours des deux dernières semaines.
Selon un député membre de cette commission qui a requis l’anonymat, le PAC enquête sur les conditions de paiement de cette dette par l’Ouganda; car le parlement de ce pays n’a jamais été consulté : « Nous voulons savoir comment une somme aussi colossale a été déboursée sans l’avis de notre parlement.»
Dans ses investigations, le PAC est intrigué par le déboursement d’un montant de 5.504.302, 07$ par Kampala en faveur du Burundi, à titre de remboursement de la dette. Cette somme correspond, en effet, au montant des intérêts auxquels le Burundi avait renoncé en signant l’accord d’allègement de la dette de l’Ouganda, le 14 octobre 2005. Par cet accord, Bujumbura se contentait du principal, soit Huit millions cent soixante six mille quatre cent soixante six dollars américains (8.166.466$) soit plus de 10.739.165.790 Fbu au taux de change actuel. Or, constatent les élus ougandais, leur pays a même payé les intérêts.
Dans son travail, le PAC a auditionné de hauts responsables ayant eu à gérer le dossier de la dette envers le Burundi, ainsi que la société Picfare. D’après le député interrogé par Iwacu, la valeur du matériel livré au Burundi par Picfare, à ce jour, depuis 2005, équivaut à 7.680.752 $(soit plus de 10 milliards et 100 millions de Fbu). Selon toujours la même source citant les résultats des enquêtes du PAC, le reste de la dette supposé avoir été payée est d’un montant de 5.990.016$(soit7.876.871.040 Fbu): « Personne ne sait où se trouve cette somme jusqu’à maintenant. Nous nous demandons pourquoi le gouvernement du Burundi ne réclame pas cet argent. Peut-être qu’il y est pour quelque chose. »
<doc2542|left>« Un payement sur base d’aucun document écrit »
D’après un autre député ougandais, le PAC voudrait savoir dans quelles conditions la société Picfare a été associée dans cette affaire au point de gagner le marché de livraison du matériel scolaire destiné au secteur éducatif burundais. Après cet accord, le Burundi a envoyé au ministre ougandais des Finances une facture pro-forma d’exportation de la société Picfare datée du 2 août 2005 et demandant au gouvernement de l’Ouganda de payer cette société.
Pourtant, dans sa déclaration transmise par la voie des ondes, ce mercredi, Léonidas Hatungimana, porte-parole du Président Nkurunziza, a déclaré que le gouvernement de l’Ouganda a décidé de payer la dette de 13 milliards de Fbu en nature en passant par la société Picfare.
Or, d’après des documents dont IWACU a pu se procurer des copies, c’est plutôt le gouvernement du Burundi qui a recommandé à l’Ouganda de verser les 13 milliards de dollars sur le compte de Picfare domicilié à la banque Baroda et ce, avant même qu’aucun contrat ne soit signé entre lui et cette société : « Cela revient à dire que plusieurs lots de matériels scolaires ont été envoyés sans aucun document écrit. Ont-ils été réellement envoyés puisqu’il n’y a aucun écrit ? » s’interroge le député membre du PAC.
Le contrat entre Picfare et le gouvernement du Burundi est intervenu plusieurs mois après la première livraison. Cette société s’est alors engagée à fournir du matériel scolaire au Burundi jusqu’en 2015.
L’avocat de l’Etat du Burundi n’a pas été payé
Ayant appris que le gouvernement de l’Ouganda a payé sa dette, et que toute la somme se trouve sur le compte de Picfare, le cabinet ougandais Senyondo & Co. Advocates qui avait, pour le compte de l’Etat du Burundi, suivi et négocié le recouvrement de la dette ougandaise, a adressé plusieurs correspondances à la ministre burundaise des Finances demandant le payement de ses honoraires. Ces dernier équivalent à 4% de tout le montant de la dette, conformément au contrat signé le 12 juillet 1995 entre le cabinet de Me Sendege et le gouvernement du Burundi. Après plusieurs promesses non tenues, l’avocat ougandais menace alors de porter l’affaire devant la justice.
Clotilde Nizigama lui propose alors de signer une convention de règlement définitif d’honoraires, le 3 mai 2011. Cette convention spécifie que le gouvernement du Burundi s’engage à lui verser une somme de 546.830 $ dans un délai de deux mois, représentant les 4% du montant recouvré conformément au contrat du 12 juillet 1995.
Picfare refuse de débloquer l’argent pour l’avocat
Faute de moyens, le 8 juin 2011, soit un mois après la signature de la convention de règlement définitif, Clotilde Nizigama, adresse une correspondance à Picfare où elle lui demande de verser sur le compte de Sendege se trouvant à la banque Barclays un montant de 546.830 dollars (soit plus de 719 millions de Fbu. « Ce montant représente 4% du montant remboursé. Il sera viré au plus tard, le 3 juillet 2011, sur le compte de Sendege Senyondo », écrit-elle.
Le 14 du même mois, Richard Mubiru, Fondé de pouvoir à Picfare, répond à la ministre des Finances et lui fait savoir que les instructions sont claires dans l’accord de livraison du matériel scolaire signé entre le gouvernement du Burundi et Picfare en 2005. En clair, M. Mubiru signifie à la ministre que Picfare n’a pas d’enveloppe pour honorer ses instructions. Et de lui recommander de traiter cette question d’une autre manière sans faire intervenir Picfare.
Au regard des instructions données par la ministre burundaise des Finances à Picfare, une source proche du PAC s’interroge sur la nature exacte des pouvoirs de cette société, surtout qu’elle semble même intervenir dans la gestion de l’argent de son client. « Pourquoi a-t-elle refusé de me payer alors qu’elle a trouvé des fonds pour envoyer 300 mille T-shirts au Burundi et en violation du contrat qui la lie avec le Burundi ?», se demande pour sa part Me Sendege.
Quid de la quantité déjà fournie
Une autre grande inquiétude, selon les députés du PAC, est en rapport avec la quantité et la valeur du matériel scolaire déjà fournie par Picfare. Selon l’un des députés, lors de leur comparution devant la commission, début décembre, les dirigeants de Picfare ont été incapables de fournir les bons de commande et de paiement attestant la quantité et la valeur du matériel scolaire fourni au Burundi pour justifier les 14 millions de dollars perçus.
Dans la foulée, l’ambassade du Burundi à Kampala a, par la plume de son Premier conseiller Elysée Nimpagaritse, sorti un communiqué de presse indiquant que Maître Sendege n’a, en aucune manière, représenté le Burundi. Cela alors que, dans le budget 2012 adopté par le parlement burundais, il est prévu un montant pour payer le cabinet de Me Sendege.
Pour sa part, le porte-parole de la Présidence burundaise s’est empressé d’essayer de dissiper les contradictions, ce mercredi, notant que le gouvernement ne peut pas tolérer que Sendege soit auditionné sur toutes les questions de cette affaire comme s’il représentait le gouvernement du Burundi : « Nous reconnaissons qu’il a été l’avocat du Burundi pour recouvrer l’argent mais il ne représente pas le Burundi», a expliqué Léonidas Hatungimana.
Iwacu a contacté Clotilde Nizigama, ministre des Finances, sans succès. Joseph Ndayikeza, porte-parole de ce ministère, espère que Me Sendege ne va pas saisir les juridictions internationales car son argent est prévu dans le budget de 2012. Néanmoins, sur d’autres questions, Joseph Ndayikeza a promis de s’exprimer prochainement.