Des détenus acquittés ou qui ont purgé leur peine mais qui restent en prison ; du dépassement des délais légaux de la détention préventive ; des détenus sans dossiers ou écroués pour des affaires civiles… Autant de cas de détention illégale qui prennent une allure inquiétante. Les défenseurs de droits des prisonniers alertent et en appellent au respect strict de la loi.
C’est une triste réalité. Des prisonniers acquittés ou ayant purgé leur peine croupissent encore en prison. Les familles des victimes ne cessent de se plaindre et crient à l’injustice.
« Il y a deux mois que mon mari a été acquitté. Mais, force est de déplorer qu’il reste en prison. Je ne sais pas ce qui le maintient en détention alors que le juge d’appel s’est prononcé pour sa libération », se lamente V.N. la quarantaine rencontrée à la Cour d’appel de Ntahangwa venue s’enquérir des raisons du maintien de son mari en prison.
Le comble de malheur, s’indigne-t-elle, c’est qu’il est difficile de trouver un magistrat qui puisse clarifier les choses.
« Mon fils a purgé sa peine il y a de cela un mois. Il n’a pas encore été libéré », s’inquiète Léonard, son père qui dit ignorer pourquoi son fils ne recouvre pas sa liberté.
Léonard dit avoir demandé à son fils la cause et ce dernier l’a informé qu’il a vu un mandat de réarrestation. « Cela dépasse mon entendement », s’indigne-t-il.
De son côté, James informe que son fils reste écroué pour n’avoir pas payé l’amende qui lui a été infligée, une condition exigée pour qu’il soit libéré. « Dans ma vie, je n’ai jamais eu 100 000 francs burundais sur mon compte. Où vais-je trouver les 5 millions qu’on lui a infligés ? », s’interroge-t-il.
Certaines familles des victimes disent qu’elles sont pauvres et qu’elles ne peuvent pas se payer des avocats pour que ces derniers puissent plaider pour le cas de ces prisonniers en situation de détention illégale.
Ces familles demandent que la loi soit respectée et que les leurs bénéficient de la liberté qui leur a été accordée.
Cas atypique d’Emilienne Sibomana
La Cour d’Appel de Gitega, dans son arrêt RPA 3336/Git a acquitté Emilienne Sibomana. Le prononcé du jugement rendu à son endroit est tombé le 28 juin 2024. Mais, force est de déplorer qu’elle reste écrouée.
Pour rappel, elle avait été accusée de dénonciation calomnieuse pour avoir dénoncé, lors d’une réunion avec le ministre de l’Education François Havyarimana, les abus sexuels perpétrés par abbé Léonard Ntakarutimana, directeur du Lycée technique Christ Roi de Mushasha, à l’endroit des élèves de sexe féminin de cet établissement.
Elle avait été condamnée par le tribunal de Grande instance de Gitega à cinq ans de prison ainsi qu’au paiement d’un dédommagement de 5 000 000 de francs burundais.
Interrogée sur ce dossier, maître Michella Niyonizigiye, avocate d’Emilienne Sibomana, informe que ce qui empêche qu’elle soit libérée « c’est la lettre émise par le Parquet général près la Cour d’appel de Gitega qui a introduit le pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Cour suprême ».
Elle parle d’une violation de la loi et cite l’article 262 du Code de procédure pénale burundais qui stipule que : « Le prévenu qui, au moment du jugement est en état de détention préventive et qui est acquitté ou condamné à une simple amende, est mis immédiatement en liberté, nonobstant appel, à moins qu’il ne soit détenu pour une autre cause ».
En plus, tient-elle à ajouter, l’article 326 du même Code le dit clairement en ses termes : « L’appel n’a pas d’effet suspensif en cas de jugement d’acquittement, de condamnation à l’emprisonnement avec sursis ou de condamnation à une peine d’emprisonnement couverte par la détention préventive. »
Or, tient-elle à le rappeler, la loi est censée garantir la justice et l’équité ainsi que la protection des droits et des libertés individuelles. Et d’inviter le ministère public à mettre la prévenue dans l’état où le jugement ou l’arrêt l’a mise.
Pour maître Michella Niyonizigiye, sa cliente Emilienne Sibomana devrait être immédiatement libérée par le procureur général selon la loi en exécution de l’arrêt rendu par la Cour d’Appel et cela pour une bonne justice.
« Nous faisons tout ce que la loi nous autorise de faire pour réclamer encore la libération de notre cliente Emilienne Sibomana. Nous continuons le plaidoyer et espérons toujours que justice sera faite », conclut-elle.
Des chiffres alarmants
« Nous constatons avec regret un problème de mise en exécution des jugements rendus par les cours et tribunaux. Les détentions illégales se multiplient du jour au lendemain dans les établissements pénitentiaires du Burundi », déplore Vianney Ndayisaba, coordinateur national de l’Association de lutte contre le chômage et la torture (Aluchoto).
Vianney Ndayisaba dit avoir entamé des enquêtes d’identification des prisonniers en situation de détention illégale dans les prisons de Mpimba à Bujumbura et à Rumonge. Selon lui, la situation est alarmante.
« Dans la prison centrale de Mpimba à Bujumbura, nous avons trouvé plus de 300 personnes qui restent écrouées alors qu’ils ont été, soit acquittées, soit qu’ils ont déjà purgé leurs peines. Ceux qui ont purgé le quart de leurs peines sont au nombre de 104 personnes, et 109 personnes dont les délais légaux de détention préventive ont été dépassés ».
Et d’ajouter : « Dans la prison centrale de Rumonge, nous avons 71 personnes qui restent écrouées et 14 détenus le sont sans dossiers. A titre illustratif le prénommé Jean Pierre totalise 9 ans en prison alors qu’il a été acquitté il y a de cela 3 ans ».
Ce défenseur des droits de l’Homme épingle aussi la surpopulation carcérale. Une situation qui détériore les conditions de vie des détenus.
« Nous avons pour le moment plus de 5 000 hommes détenus dans la prison centrale de Mpimba avec une capacité d’accueil ne dépassant pas 500 personnes. Dans la cellule pour femmes d’une capacité d’accueil de 200 personnes, nous avons 501 femmes détenues »
Il dénonce lui aussi le cas d’Emilienne Sibomana. Pour lui, cette situation dénote une violation des droits de l’Homme en général, et ceux des prisonniers en particulier. Il recommande le respect du principe sacro-saint selon lequel « la liberté est le principe et la détention l’exception ».
Il faut des poursuites judiciaires
Jean-Marie Nshimirimana, président de l’association Solidarité avec les prisonniers et leur famille SPF/Ntabariza, trouve incompréhensible qu’une personne qui a été acquittée ou ayant purgé sa peine reste en prison.
Il s’inquiète de ces irrégularités qui se manifestent presque dans toutes les prisons du Burundi. Les familles des victimes ne cessent de se plaindre et lancent un cri de cœur. « Nous avons accueilli, dans ces derniers jours, plus de trente familles des victimes qui sont venues se confier à nous exhibant des pièces qui attestent que les leurs ont bénéficié des libertés provisoires ou des acquittements mais qui restent écroués ».
Des fois, regrette-t-il, le ministère public interjette appel et cela empêche les détenus de bénéficier de leur liberté. Il pense qu’il y aurait une main invisible qui influence certains magistrats du parquet d’instruire les dossiers dans un sens ou dans un autre.
Or, informe-t-il, tout détenu devrait être mis dans la situation dans laquelle le juge l’a mise. Pour lui, le parquet peut continuer à faire ses enquêtes tout en laissant la personne libre. Il dénonce le piétinement de la loi.
« Le représentant du ministère public est une partie au procès. Il ne peut pas donc être juge et partie ».
Ce défenseur des droits des prisonniers demande que les magistrats coupables de détention illégale soient poursuivis devant la loi. « Imaginez-vous par exemple un employé qui perd son travail parce qu’il a été maintenu en prison illégalement. Il faut des dommages et intérêts à son endroit », propose-t-il.
Et de marteler : « Maintenir des gens illégalement dans les prisons n’apporte rien à l’Etat, mais plutôt ça lui augmente inutilement les charges avec tout ce que cela implique comme surpopulation carcérale ».