Jeudi 26 décembre 2024

Politique

Des vies gâchées

04/07/2014 2

Des cauchemars, faire objet de moqueries, des scènes affreuses,… Voilà le quotidien des victimes des violences sexuelles durant la guerre. Ces cœurs blessés attendent désespérément d’être pansés et leur dignité réhabilitée. Leurs témoignages sont troublants.

A Bujumbura-rural, beaucoup de femmes ont été victimes de violences sexuelles durant la guerre  ©Iwacu
A Bujumbura-rural, beaucoup de femmes ont été victimes de violences sexuelles durant la guerre ©Iwacu

«En 2002, les militaires m’ont trouvée tout près d’un robinet en train de puiser de l’eau. J’ai transporté mon bidon. Après ils m’ont donné l’ordre de le déposer par terre et un d’entre eux m’a violée», dévoile V.T, une femme, 42 ans, de la commune Kanyosha, province de Bujumbura. Après le forfait, elle se souvient que le reste de l’équipe a traité le violeur de maudit. V.T affirme n’avoir pas pu l’identifier mais, précise-t-elle, il faisait partie des militaires connus sous le nom des « Abakonangwe » (les castreurs des léopards). Elle mentionne que c’était dans un camp de déplacés.

Elle n’est pas la seule. V.T parle d’une femme surprise en train de préparer la nourriture pour ses enfants : « Elle a été récupérée le lendemain du crime. Elle saignait beaucoup et ne pouvait pas s’asseoir. Sa partie génitale « déchiquetée », on a utilisé des médicaments traditionnels pour la secourir ». Ce n’est pas tout, poursuit V.T son récit effrayant : « On la faisait s’asseoir dans l’eau chaude. Et celui qui l’a soignée devait porter des gans ». V.T indique que les victimes des violences sexuelles endurent beaucoup de souffrances. En plus des douleurs physiques, martèle-t-elle, elles sont mises en quarantaine. Même leur progéniture est touchée : « On disait à mes enfants que je suis devenue une femme des militaires. Ce qui leur faisait très mal. » Furieux, ils me demandaient si c’étaient réellement vrai, raconte-t-elle d’une voix mélancolique. Face à de telles interrogations, se rappelle-t-elle, elle se sentait très désemparée. Ainsi, elle a décidé de briser le silence et dénoncer ce mal.

« Un à un, ils m’ont violée »

Une animosité pure. C.B, une autre victime de la colline Mirama, zone Muyira, commune Kanyosha décrit ce qu’elle a enduré : « Ils étaient nombreux. Et tous ces rebelles m’ont violée un à un. J’ai beaucoup souffert. J’étais très désespérée et ils entraient avec des fusils et des baïonnettes. » Elle ne se souvient pas de l’année mais se rappelle que c’était des rebelles du Cndd-Fdd.

Après ce crime, Clémence a été obligée de quitter sa localité : « L’entourage me prenait pour animal. Ma famille a été aussi touchée : Mon père ne pouvait pas aller au bar. On le ruait en lui disant que sa fille est devenue une femme des rebelles. Face à cela, j’ai dû m’installer ailleurs ». C’est après, signale-t-elle, qu’elle a regagné le toit familial quand ces histoires avaient perdu d’intensité.

«J’ai crié au secours, personne n’est venu m’aider. Mes parents non plus»,

A la lisière de la Kibira, commune Muruta, province Kayanza, des violences sexuelles ont été une réalité durant la guerre ©Iwacu
A la lisière de la Kibira, commune Muruta, province Kayanza, des violences sexuelles ont été une réalité durant la guerre ©Iwacu

«En 1998, des rebelles sont venus pendant la nuit, ont défoncé la porte et m’ont réveillée. Je me suis exécutée, car j’avais tellement peur», révèle N.E., une fille de la commune Muruta, province Kayanza, à la lisière de la Kibira.
« C’était dans une maison où on s’était réfugié. Mes sœurs et moi dormions au salon tandis que nos parents étaient dans une autre chambrette », poursuit-elle tout en mentionnant qu’elle avait seize ans.
-Brusquement, N.E. arrête son récit, essuie ses grands yeux inondés de larmes avec son pagne, et boit un peu d’eau dans un gobelet tout en me rassurant que tout va bien.- « Ils étaient nombreux. Des balles pleuvaient de toutes parts. Leur chef m’a dit que si je n’acceptais pas, ils allaient me tuer », reprend-elle son récit tragique. D’une voix tremblotante, elle a répondu : « Si c’est vous tous, vaux mieux me tuer. Ça sera pour la 1ère fois que je fais ces choses-là. » Et au chef de lui rétorquer : « Si tu acceptes, il n’y aura pas de problèmes ». Et il intime l’ordre à ses hommes de l’attendre dehors, raconte-t-elle. « Il m’a violée devant les yeux de mes petites sœurs tout en me fixant une torche dans mes yeux pour que je ne l’identifie pas. Désespérément, j’ai crié au secours, mais personne n’est venu m’aider. Mes parents non plus», ajoute-t-elle, tout en pleurant. Dès lors, sa vie a changé : « La communauté, mes prétendants… tous m’ont abandonné. On parlait de moi et je me sentais souillée. N’eût été la compréhension des membres de ma famille, j’allais me suicider. Ils m’ont amenée à l’hôpital le lendemain.» Deux mois après, elle apprend qu’elle est enceinte d’un garçon qu’elle mettra au monde. Aujourd’hui, à seize ans, il ne connaît pas son père.

Dénoncer ? Oui. Mais c’est très dangereux

A. N. signale qu’elle a failli être tuée par des militaires parce qu’elle aidait les victimes à aller à l’hôpital. « Ils m’accusaient de ternir leur image. J’ai fui et il fallu l’intervention de la société civile pour retourner chez moi » indique-t-elle tout en affirmant que des tels actes sont touchants : « J’ai été choquée quand j’ai vu des matrices des femmes déchirées, des femmes à qui on a introduit des bouteilles dans le sexe, des femmes qui saignaient sans cesse à cause des viols.» Pour elle, les coupables doivent être traduits en justice.

Le gouvernement interpellé

Pour le député Melchior Nankwahomba, du Cndd-Fdd, lors du travail de la  CVR, les cas de violences sexuelles ne passeront pas inaperçus ©Iwacu
Pour le député Melchior Nankwahomba, du Cndd-Fdd, lors du travail de la CVR, les cas de violences sexuelles ne passeront pas inaperçus ©Iwacu

« Que le gouvernement nous prenne comme d’autres victimes de guerres. Car nos plaies ne se sont pas cicatrisées », lance V.T tout en exigeant la vérité sur les cas des violences sexuelles. Elle ne doute pas que ce sont des crimes contre l’humanité. « Qu’il se souvienne de nous et nous rétablisse dans nos droits. Ils ont gâché toute notre vie », insiste-t-elle.
Du côté de Muruta, la jeune ‘’maman’’ demande au gouvernement de penser aux enfants nés de ces viols : « Pour me réhabiliter dans ma dignité, il faut penser à mon enfant. L’Etat devait chercher comment l’aider en lui donnant par exemple une parcelle et du travail. » Selon elle, ces enfants sont nombreux. Et si cela n’est pas fait, précise-t-elle, leur avenir est compromis : « Car, avec le problème des terres, ils sont haïs et constituent des charges pour les familles maternelles. »

Melchior Nankwahomba, député du Cndd-Fdd tente de rassurer. Selon lui, le projet de loi sur la CVR prend en compte ces cas : « Les victimes auront l’opportunité de témoigner et d’être rétablies dans leur dignité. Ensuite, parmi les onze commissaires, il y aura quatre femmes. » Ainsi, estime-t-il, de tels cas ne pourront pas passer inaperçus. Cependant, le député Emmanuel Nkunzimana, de Bujumbura-rural a affirmé devant la population de Mubimbi que cette question n’a pas beaucoup attiré leur attention.

CVR

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. leopold NZORIJANA

    L’article demarre par une attaque ciblee des militaires?Arbitres:sifflez sortez une carte rouge car le bourreau est deja designe avant que les enquetes de la Commission verite et reconciliation ne demarrent!

  2. Citoyen(2)

    tout cela brisent nos cœurs….. et l’indifférence a laquelle font face nos mères meurtries nous poussent au désespoir. il y aura-t-il un jour une justice?

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