Les groupes des tambourinaires des clubs culturels ’’Amabano Legacy’’ et ’’Ruciteme Culture’’ sont accusés respectivement par le ministère en charge de la culture, de s’autoriser à s’exhiber en dénaturant la danse du tambour burundais et en tenues négligées avec des étrangers.
« Le ministère des Affaires de la Communauté est africaine, de la Jeunesse, de Sports et de la Culture suspend dans un délai de six mois le groupe des tambourinaires ’’Amabano Legacy’’ pour l’exhibition du tambour burundais », peut-on lire dans une correspondance du 15 juillet 2022 signé par le ministre Ambassadeur Ezéchiel Nibigira. Elle a été adressée au représentant légal du groupe ’’Amabano Legacy’’.
Il explique que c’est dans son devoir de protéger, de préserver et de sauvegarder le patrimoine cultuel burundais contre toute forme de dévalorisation.
Idem pour le club ’’Ruciteme Culture’’ dans sa correspondance à son représentant légal à la même date. Dans un événement dénommé ’’Tayaya’’ organisé par la Brarudi en date du 2 juillet 2022, le groupe ’’Amabano Legacy’’ a consommé de la bière en pleine exhibition tandis que ’’Ruciteme Culture’’ s’est exhibé en short, pantalon et t-shirt en date du 19 juin 2022. D’après le ministre chargé de la culture, cela ne respecte pas les principes sacrés de la danse emblématique d’Umurisho w’ingoma.
Durant toute la période de suspension aucun membre des deux groupes de tambourinaires ne sera autorisé de participer aux activités culturelles ou s’associer aux autres associations ou aux acteurs à caractère culturel burundais.
« Nos talents vont régresser durant ces six mois », regrette un jeune tambourinaire du groupe ’’Amabano Legacy’’ interrogé.
D’après lui, le geste qui est à l’origine des sanctions est celui de boire de la bière pendant la danse.
« Nous avons voulu seulement être créatifs, il n’y avait aucune intention de dénaturer la danse du tambour », se défend-t-il sous couvert d’anonymat. Il demande au ministère chargé de la culture de vulgariser la réglementation de l’exploitation du tambour aux niveaux de tous les clubs culturels exerçant au Burundi. Eric Nsengiyumva président du club ’’Amabano Legacy’’ s’est refusé de tout commentaire.
Pour rappel, le groupe des tambourinaires de la troupe Amagaba est aussi sous des sanctions depuis février 2022.
Ariko ndavye ifoto mutweretse, ntijanye no gusonera umurisho.
Comme c’est écrit dans les évangiles, que celui ou celle qui n’en a jamais descendu une ( et bien froide de préférence) lui jette la première bière!
« This music comes from the heaven »
Le Ministre de la Culture a raison de sévir contre la profanation et la banalisation excessive des Tambours sacrés du Burundi. Ces Tambours figurent sur la liste du patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO. De ce fait, il est capital d’en préserver la valeur culturelle unique afin qu’ils ne tombent pas dans la vulgarité d’opérations commerciales. Il existe des règles précises pour protéger les sites et les objets qui figurent sur cette liste prestigieuse de l’UNESCO. Il faut donc les appliquer et les respecter !
Cependant, la suspension des troupes culturelles ne constitue pas une bonne méthode. Le dialogue entre le Ministère de la Culture et les troupes Amagaba, Amabano Legacy et Ruciteme serait bien plus préférable. Il n’est pas convenable de fragiliser l’économie des événements culturels et de décourager les jeunes troupes qui les organisent. Le Ministère de la Culture pourrait profiter de ce dialogue apaisé pour expliquer les contraintes qu’imposent le fait que les Tambours Sacrés du Burundi soient classés comme des éléments du patrimoine culturel mondial.
Pour autant, il ne faudrait pas brider la créativité et l’innovation culturelles et figer les Tambours du Burundi dans un passé lointain. Les jeunes artistes burundais d’aujourd’hui ont le droit de faire évoluer le spectacle des Tambours. Qu’ils portent d’autres vêtements que les pagnes noués sur les épaules n’a rien de choquant. Il existe des photos qui montrent une troupe de Tambours du Burundi accueillant, dans les années 1950, de hauts dignitaires du Royaume du Burundi à l’aéroport de Bujumbura. Ces tambourinaires étaient torse nue et avaient les pagnes nouées autour de la taille.
Du reste, si on se projette dans le passé, les Batimbo de l’époque de Mwezi Gisabo ne pouvaient pas porter des pagnes reprenant les trois couleurs du drapeau national. Car le drapeau n’existe que depuis l’indépendance du Burundi. Il est très probable donc que les Batimbo de l’époque pré-coloniale portaient des vêtements en fibre de ficus de couleur brune claire. Le fameux cuir végétal fabriqué au Burundi et dans plusieurs autres anciens royaumes de la région des Grands Lacs notamment dans le Buganda.
De ce fait, la mesure de suspension de la troupe Amagaba, parce que ses jeunes artistes portaient des pantalons et des baskets pour jouer les tambours, constitue une mesure d’une sévérité excessive, arbitraire et contreproductive. Par ailleurs, interdire que les étrangers s’approchent des tambours du Burundi après les spectacles et essayent d’en jouer n’est vraiment pas logique. Puisque les tambours du Burundi sont devenus un patrimoine culturel mondial, il faut accepter avec joie que les étrangers s’en approchent, se les approprient en quelque sorte et même en jouent. Les Tambours Sacrés du Burundi sont devenus les meilleurs ambassadeurs du pays dans le monde.
Par contre, le Ministère de la Culture aurait absolument raison d’interdire définitivement l’utilisation publicitaire et commerciale des spectacles du Tambour du Burundi pour faire la promotion de la bière Primus de la BRARUDI notamment.
Les troupes Amabano Legacy et Ruciteme l’ont fait peut-être avec naïveté ou par appât du gain. Le Ministère de la Culture devrait plutôt expliquer à ces jeunes troupes les règles qui régissent la protection des Tambours du Burundi, devenus éléments du patrimoine culturel immatériel et mondial de l’UNESCO. Et leur demander de les respecter désormais. Le Ministère de la Culture devrait ensuite lever immédiatement les sanctions qui frappent les trois troupes Amagaba, Amabano Legacy et Ruciteme.
Le Ministère de la Culture devrait également expliquer ces mêmes règles à la BRARUDI et à la multinationale Heineken, propriétaire des brasseries du Burundi afin qu’elle n’utilise plus les Tambours du Burundi pour faire la promotion de la consommation de l’alcool.
Cette interdiction devrait s’étendre aussi aux événements sportifs dont la BRARUDI se sert pour faire la promotion de ses produits alcoolisés. De ce fait, le Burundi devrait formellement et définitivement interdire la publicité de l’alcool et du tabac dans les médias, sur la voie publique et lors des événements culturels et sportifs. En effet, les pouvoirs publics ont l’obligation de lutter contre les fléaux de l’alcoolisme et du tabagisme afin de protéger la population, en général, et surtout les jeunes. Car, la débauche publicitaire de l’alcool et du tabac met gravement en danger la santé publique.
Une anecdote inspirante pour terminer sur une note positive et joyeuse. A la demande du Ministre de la Culture de l’époque, j’ai organisé, en 1990, plusieurs tournées des Batimbo au Canada, en Espagne et aux États-Unis. Après chaque spectacle, que ce soit en salle ou sur des podiums de Festivals culturels, beaucoup de spectateurs, dans ces trois pays, toujours très émus et enchantés par le spectacle des Tambours du Burundi, s’approchaient des tambours et demandaient de les toucher.
Un jour, après un spectacle des Tambours du Burundi organisé par la municipalité de La Fayette, en Louisiane au sud des États-Unis, j’ai vu le Conseiller Culturel de la Municipalité essuyer des larmes. Inquiet, je m’en suis approché. J’avais peur que la troupe des jeunes Batimbo ait commis une grave faute qui le chagrinait. Avant de lui présenter éventuellement mes excuses, je me suis permis de lui demander pourquoi il avait du chagrin. En fait, il ne pleurait pas parce qu’il avait été contrarié. Il pleurait parce que les Tambours du Burundi avaient provoqué en lui une immense émotion. Et il m’a dit : « This music comes from the heaven ». Cette musique vient du ciel !
Athanase Karayenga
Merci pour votre article. Il est d’une sagesse dont le ministre de la culture pourrait s’inspirer dans l’avenir – pour autant qu’il le lise.