Un chemin de fer reliant tous les pays de l’Afrique de l’Est ? Pourquoi, et pour quand ?
<doc3856|left>Comment transporter plus facilement le sucre, le café ou le thé burundais vers les marchés de la communauté est-africaine ? Comment acheminer plus efficacement le ciment, le savon et les milliers de gobelets et autres ustensiles en plastique venant du Kenya vers le Burundi ? Et le coton, le maïs ou le sel tanzanien ? Et le lait ougandais ? Et les cuirs rwandais ? Une dizaine d’années après le lancement de la Communauté des pays de l’Afrique de l’Est, la série de questions semble avoir trouvé de réponse : le train.
Après les études de faisabilité en 2009, le Burundi, le Rwanda et la Tanzanie, pays concernés au premier plan par la construction de ce chemin de fer coûtant 4,7 milliards $ entendent lancer les travaux en 2014, pour les clôturer en 2017. Son tracé, établi par la section « Infrastructures » du Secrétariat des affaires de l’EAC, inclus deux voies qui partent d’Isaka et d’Uvinza (Tanzanie) pour aboutir à Musongati, puis Gitega et Bujumbura (Burundi), avant Kigali au Rwanda puis plus au nord Kabale (Ouganda). Selon le plan d’étude de construction de ce chemin de fer, les 700 km de voies ferrées profiteraient directement, en plus des populations du Rwanda et du Burundi, aux régions de Shinyanga et Kagera en Tanzanie, soit au total plus de 22,7 millions d’habitants.
Pour le Burundi, ce sera une grande ouverture à la fois sur le port maritime de Dar es Salaam en Tanzanie, de Mombasa au Kenya et sur la capitale ougandaise, véritable place d’approvisionnement pour de nombreux petits commerçants burundais (voir la carte du tracé). Par ailleurs, pour citer le ministre burundais en charge des Transports, ce chemin de fer permettra un meilleur développement de l’industriel du nickel, dont l’épicentre devrait être justement Musongati, à Rutana.
Pourquoi les rails ?
Mais quelles sont les raisons qui on poussé les décideurs politiques à parier sur le domaine ferroviaire pour booster les transports en Afrique de l’Est ? Sanjivi Rajasingham, expert de la Banque Mondiale cite les avantages : « En plus d’être le moyen le plus efficace pour le fret long-courrier, le chemin de fer génère peu d’effets externes nocifs comme la pollution ou les risques d’accidents par rapport aux routes », la voie de transport la plus utilisée en Afrique de l’Est. Par ailleurs, note M. Rajasingham, « la réhabilitation d’un kilomètre de rails coûte 3 à 5 fois moins qu’une route macadamisée, alors qu’elle dure trois fois plus de temps (20 ans contre 5 à 7 ans). »
Pourtant, les derniers chiffres disponibles sur le site de la [Communauté des pays de l’Afrique de l’Est->http://www.eac.int/] indiquent une baisse sensible dans l’usage du chemin de fer. Prenons les deux pays qui présentent le réseau ferroviaire le plus développé de l’EAC, le Kenya et la Tanzanie, avec, respectivement, 172 et 216 stations. En 2000, les deux pays affichaient 4,2 millions et 2,174 millions de passagers transportés. Dix ans après, le Kenya est passé à 6,049 millions, soit il est vrai, une hausse de 50%, mais qui cache une baisse de 25% par rapport à 2009. Alors que pour la Tanzanie, le chiffre est de 1,057 millions de passagers, soit la moitié des effectifs de 2000…
Parmi les raisons avancées pour expliquer le déclin de l’industrie ferroviaire, il y a bien évidemment la vétusté des installations, mais aussi la préférence des investisseurs privés pour la voie terrestre, jugée plus rentable, explique M. Rajasingham. Pour avoir un réseau ferroviaire rentable et durable, l’expert de la Banque Mondiale recommande entre autres un partenariat public-privé dans sa gestion.
De manière plus locale, l’apparition du train au Burundi devrait toucher aussi le transport inter-urbain ou entre les grandes villes comme Gitega, Bujumbura et Ngozi.* Il y a une semaine, commentant la multiplication par trois du nombre des voitures au Burundi, le Commissaire Eustache Ntagahoraho à la tête de la Police spéciale de roulage prévenait : « Si rien n’est fait dans les cinq prochaines années, la circulation des véhicules à Bujumbura sera tout simplement bloquée par endroits. »
D’où est venu l’idée ?
La construction d’un chemin de fer reliant les pays de l’Afrique de l’Est remonte plus loin que la création de la Communauté des pays de l’Afrique de l’Est dans sa forme actuelle. C’était en 1967, et à l’époque, il s’agissait de maintenir sur un plan régional les relations économiques entre les anciennes colonies britanniques que sont la Tanzanie, l’Ouganda et le Kenya. A cet effet, est créé l’East African Railway Corporation qui reprend la coordination du réseau ferroviaire laissé par l’administration britannique. Si ce dernier entend, 45 ans plus tard, se moderniser et couvrir finalement les deux autres pays sous domination belge à l’époque (le Burundi et le Rwanda), le projet d’un chemin de fer couvrant toute l’Afrique de l’Est est formulée déjà en 1907 par les fonctionnaires de l’administration allemande, qui contrôle toute la région : « Le chemin de fer Dar-es-Salaam /Tabora prendrait par ce prolongement (jusqu’à Ujiji) l’importance d’un chemin de fer central traversant l’ensemble de la colonie d’est en ouest… A lui seul, le désenclavement du nord, c’est à dire du Ruanda et de l’Urundi, les pays les plus densément peuplés, justifierait la réalisation de ce projet »[[Histoire sociale de l’Afrique de l’Est (XIX-XX è siècle), Université du Burundi – Département d’Histoire, page 349 (Karthala)]].