Gatumba, Kibenga, Buterere, … les inondations se généralisent de plus en plus. Des dégâts énormes tant matériels qu’humains sont déjà enregistrés. Pour les environnementalistes, il est temps d’agir afin d’éviter le pire.
C’est devenu récurrent. En zone Gatumba de la commune Mutimbuzi dans la province de Bujumbura, les inondations ont repris. Les localités les plus affectées sont Kinyinya I & II et Mushasha. Beaucoup de familles passent la nuit dans la rue, à la belle étoile tout le long de la route menant à la frontière congolaise.
Elles essaient d’installer des abris de fortune à l’aide des tas de roseaux. Elles utilisent des bateaux pour circuler dans les quartiers entre des maisons inondées. Les sacs remplis de sable qu’elles avaient installés pour se protéger contre les eaux de la rivière Rusizi n’ont pas servi à grand-chose.
« Vraiment, nous avions essayé de nous protéger mais voilà, l’eau a contourné. En tout cas, si on avait eu un appui de la part de l’Etat ou d’autres bienfaiteurs pour installer ces sacs sur une longue distance, l’eau n’aurait pas pu traverser. On est abandonné », se lamente un habitant de Mushasha. Sa maison est actuellement remplie d’eau.
Il indique qu’il n’a presque rien sauvé « sauf quelques ustensiles de cuisine et des meubles. Les matelas, les cahiers de mes enfants et bien d’autres objets domestiques ont été abîmés par l’eau qui nous a vraiment surpris. »
Ce père de famille signale que ce n’est pas pour la première fois qu’il se retrouve dans cette situation. Il précise que ce n’est pas seulement les habitations qui sont inondées. Des écoles, des églises et bien d’autres infrastructures ont aussi les pieds dans l’eau.
Alors que le gouverneur de la province de Bujumbura, Désiré Nsengiyumva, a demandé aux habitants des localités inondées de se faire enregistrer pour vider les lieux, sur place, ce message ne passe pas. « Je me demande si on est des Burundais comme les autres. Chaque fois, on nous dit de quitter Gatumba au lieu de nous construire des digues de protection », fait savoir notre habitant de Mushasha, frustré. Il considère plutôt qu’il n’y a pas de volonté du côté des autorités. « En tout cas, le gouvernement ne peut pas manquer où trouver de l’argent pour ériger des digues s’il avait vraiment la volonté de nous protéger. »
I.O, un autre habitant de Gatumba abonde dans le même sens. « Où veulent-ils nous amener ? Pourquoi ne pas commencer par ces digues et voir si après, ces inondations vont se répéter ? En tout cas, c’est par la force qu’on va quitter ici. », indique-t-il avec fermeté.
Une situation qui préoccupe l’administration locale. Jean Muyoboke, chef de la zone Gatumba déplore que les gens continuent de circuler dans cette eau. Ce qui risque, selon lui, de leur causer des maladies comme celles de la peau ou diarrhéiques. « Aujourd’hui, l’eau de la Rusizi n’a plus où aller à la suite de la montée des eaux du lac Tanganyika », explique-t-il.
Cet administratif estime que les travaux qui avaient été initiés par la population consistant à installer des sacs remplis de sable auraient été salutaires si elle avait bénéficié d’un soutien financier ou matériel important de la part du gouvernement ou des autres bienfaiteurs.
Côté éducation, il signale que ces nouvelles inondations vont avoir d’importantes répercussions sur le 3e trimestre qui venait à peiner de commencer.
Interrogé sur la délocalisation de la population de Gatumba, Jean Muyoboke indique que si l’Etat le décide ainsi, les gens n’ont qu’à s’exécuter. Il précise d’ailleurs que l’enregistrement de ces déplacés environnementaux est en cours.
Des rivières ajoutent le drame au drame
A côté de la montée des eaux du lac Tanganyika, des rivières traversant la capitale économique ajoutent le drame au drame. Dans la nuit du mardi 9 avril, la rivière Kanyosha a par exemple débordé. Très rapidement, les riverains se sont retrouvés dans l’eau, inondés. « C’était autour d’une heure du matin quand l’eau nous a envahis. Nous étions en plein sommeil. Nous nous sommes réveillés pour nous sauver mais l’eau était déjà dans nos maisons », témoigne une victime de ces inondations.
D’après Dévote Ndayisenga, administrateur de la commune urbaine de Muha, en mairie de Bujumbura, un bébé d’une année et demi est mort et son cadavre n’a pas été retrouvé. Une autre personne a été blessée selon toujours cette autorité.
Elle fait savoir que le quartier Kirenga-lac, de la zone urbaine de Kinindo a été très touché par les dernières inondations.
Non loin de là, la rivière Muha n’a pas caché sa colère. Elle a débordé et rendu impraticable pendant un certain moment l’avenue du Large tout en inondant des habitations environnantes.
Au nord de la capitale économique Bujumbura, des dégâts ont été aussi enregistrés. Buterere a été de nouveau inondé. Ce qui a perturbé la fête de la rupture du jeûne pour les musulmans. « C’est horrible. Tout a été inondé à la suite des crues de la rivière Kinyankonge », raconte Bosco Nikuze, un habitant de Buterere qui craint des maladies liées au manque d’hygiène.« Des toilettes et des puits perdus ont été inondés. Ce qui signifie que cette eau est remplie de déchets, de défécations humaines, etc. C’est très dangereux pour notre santé. » Il demande aux autorités d’agir rapidement pour éviter des cas de choléra.
A Maramvya, en commune Mutimbuzi de la province de Bujumbura, la rivière Mpanda a débordé et envahi les maisons, les usines, etc.
Le mercredi 10 avril 2024, différentes autorités dont le maire de la ville de Bujumbura, l’administrateur de la commune urbaine de Muha, le président de la Plateforme nationale de gestion des risques et de prévention des catastrophes et la Croix-Rouge ont effectué une descente à Kinindo pour constater les dégâts.
Jimmy Hatungimana, maire de la ville, a invité les familles affectées à quitter leurs domiciles pour s’installer provisoirement ailleurs « en attendant que l’Obuha stabilise les rives de la rivière Kanyosha »
Rendre les lois opérationnelles
« L’intensification des menaces causées par les inondations, la montée des eaux du lac Tanganyika ainsi que les glissements de terrain généralisés dépendent du comportement de la population (activités anthropiques) d’un côté et du gouvernement de l’autre », analyse Dr Athanase Nkunzimana, enseignant chercheur à l’Université du Burundi.
Cet expert en prévention des risques et gestion des catastrophes hydrométéorologiques indique qu’avec l’absence généralisée de la culture du risque, les populations s’installent partout sans tenir compte du risque qui les guette. « Pire, le gouvernement qui devrait appliquer la loi se retrouve des fois laxiste en matière d’application des lois en vigueur », déplore-t-il.
Il propose que les lois soient opérationnelles à tous les niveaux et de punir les contrevenants le cas échéant. A ce niveau, il fait allusion au Code de l’environnement, au Code de l’eau, au Code foncier, au Code de l’urbanisme de l’habitat et de construction et à bien d’autres textes de loi.
« L’Etat doit prendre une série de mesures ; faire une cartographie des zones à très haut risque ; interdire toute occupation des zones à risque quelle que soit l’activité à y mener ; restaurer les zones tampons ; faire un contrôle rigoureux de tous les aménagements sur les contreforts des Mirwa et dans l’Imbo ; canaliser les cours d’eau qui traversent les zones à risque d’inondations ou de glissements de terrain et bien d’autres activités du genre », propose-t-il.
Ce professeur d’Universités fait constater qu’il est impossible de réussir la vision Burundi, pays émergent en 2040, pays développé en 2060 avec ce qui se passe. « Les inondations récurrentes à l’Ouest du Burundi spécialement au nord et à l’ouest de la ville de Bujumbura ; l’intensification des glissements de terrain observés dans plusieurs localités de l’Ouest du Burundi et bien d’autres phénomènes environnementaux devaient être une préoccupation nationale d’autant plus qu’une grande partie de la population et de leurs biens se trouvent dans une situation de menace. »
Pour aboutir au développement durable, Dr Nkunzimana indique que le gouvernement doit prendre au sérieux la question de prévention des risques et de gestion des catastrophes climatiques. « Aucun projet ne peut être durable sans que sa préparation ait incorporé la prévention des risques. Ici, je fais allusion à certains secteurs sensibles comme l’agriculture, l’élevage, l’énergie, les infrastructures et la santé. »
Mobiliser des moyens
« Le pays est sous financé au niveau des interventions en cas de catastrophes. Il a peu d’argent pour intervenir alors que les catastrophes naturelles sont devenues trop nombreuses et fréquentes », commente Tharcisse Ndayizeye, environnementaliste.
Ainsi, face à cette implication des inondations et des glissements de terrain, il estime que le gouvernement doit mobiliser la Communauté internationale et les autres partenaires afin qu’ils puissent aider la population à faire face à ces catastrophes. « Car, lui-seul, il ne peut pas réussir. Il doit coordonner et demander des appuis. »
Il considère qu’il devrait y avoir un débat au niveau du Parlement pour prendre des dispositions appropriées. « Le gouvernement doit toquer ici et là pour trouver des fonds nécessaires afin de canaliser les rivières qui traversent la ville de Bujumbura et délocaliser certaines personnes installées dans des zones à risque comme celles de Gatumba. Il y a des coins où la délocalisation est obligatoire, inévitable. »
Alors que certaines victimes des inondations ne sont pas favorables à leur délocalisation, M.Ndayizeye trouve que l’Etat doit le faire de gré ou de force. « Il faut évacuer ces personnes pour les mettre à l’abri. C’est le plus urgent.»
Sur le cas de Gatumba, il trouve qu’il n’y a pas d’autres choix. « Les habitants doivent comprendre que c’est pour leur intérêt. C’est une zone qui est devenue aujourd’hui inhabitable quelles que soient les conditions. Elle est menacée de toute part : par le lac Tanganyika et la rivière Rusizi.»
Concernant les rivières qui traversent la ville de Bujumbura, il suggère qu’on procède comme on l’a fait pour la rivière Nyabagere. « Vous constatez qu’aujourd’hui les riverains ne s’inquiètent pas beaucoup. »
Il trouve aussi que la protection des montagnes surplombant Bujumbura s’avère une nécessité. « Actuellement, il n’y a pas de courbes de niveau pour casser la vitesse de l’eau ; on construit anarchiquement ; on trouve des exploitations agraires et anarchiques, etc. Dans le temps, ces montagnes étaient couvertes de forêts. Mais, aujourd’hui, l’eau tombe sur les toitures des maisons. Elle ne s’infiltre pas et une grande quantité finit dans le lac. Ce qui cause des dégâts sur leur passage.»