La Commission Vérité et Réconciliation (CVR) a lancé, depuis le 25 août 2020, des enquêtes et exhumations des fosses communes dans les provinces du sud du pays. Une action saluée par la population. Le président de cette commission a indiqué qu’ils vont bientôt faire la qualification des faits. Cela suscite des inquiétudes.
9 heures au rond-point de la colline Karinzi, des tentes sont érigées. Une quinzaine d’agents de la CVR s’active.
Sur cette place, des massacres ont été perpétrés en 1972. Les badauds, enfants et adultes, regardent. Déboussolés. Ils s’interrogent sur ce qui va se passer ici. Les cérémonies de lancement des enquêtes et exhumations des fosses communes vont commencer aux environs de 11 heures.
Les habitants de la colline Karinzi, zone Kayogoro, commune Mabanda de la province Makamba et des environs sont venus massivement. Certains sont des rescapés, des orphelins de 1972 ou des témoins oculaires.
Dans la foule, des personnes affichent une mine renfrognée. Selon le gouverneur de Makamba, c’était un jour très attendu par les habitants de la province. « La province Makamba a besoin que la vérité soit connue »
Dans son discours, le président de la CVR, Pierre Claver Ndayicariye, va tenu préciser que la commune Mabanda était, en 1972, un arrondissement de Bururi. Pendant plusieurs minutes, il va rappeler dans quelles circonstances les gens sont morts.
M. Ndayicariye va aussi indiquer que des personnes ont été sauvées par leurs voisins. D’après lui, la province Makamba a une particularité. «On a parlé des attaques qui auraient été perpétrées par de gens appelés Mulele. A la CVR, nous sommes en train de chercher l’identité de ces gens. Sont-ils des étrangers ou des Burundais? Ils étaient sous les ordres de qui ? A Nyanza-Lac, nous avons des témoignages des gens qui ont été utilisés comme des Mulelistes. Ils sont de toutes les ethnies.» Et de se demander pourquoi la crise a commencé le 29 avril et s’est répandue dans tout le pays. «Les listes ont été confectionnées quand? C’est une question que nous allons poser à tous les Burundais. »
Trois fosses communes à Karinzi et deux à Minago
Selon le président de la CVR, il y a à Karinzi, trois fosses communes renseignées et confirmées par la commission. Toutefois, il fait savoir que les fosses communes dans cette région ne contiennent pas beaucoup de personnes comme celles trouvées en province Gitega. «Elles contiennent peu de victimes mais elles sont éparpillées.» Selon lui, beaucoup de gens ont été tués en essayant de fuir vers la Tanzanie. «Des informations non encore confirmées qui nous parviennent indiquent que les massacres les plus sanglants ont perpétré dans Mabanda et Vugizo».
Aux abords de la première fosse commune sur la colline Karinzi, les gens sont nombreux. Enfants et adultes se bousculent. Chacun veut voir la fosse. Des cris de lamentation fusent de partout. « Ils n’ont pas même creusé. Je ne connaissais pas cette histoire », s’écrie une maman, la trentaine.
La deuxième fosse commune se trouve tout près d’une ancienne route qui passait par là en 1972. C’est sur la sous-colline Butanyerera de la colline Karinzi. Comme pour la première fosse commune, des os et des vêtements sont déterrés.
Ce mercredi dernier à 9h30 min. Le marché bat son plein à Minago en province Rumonge. Les vendeurs d’huile de palme s’activent. Les vendeurs de pagnes interpellent les clients. Tout à côté, les agents de la CVR sont en train de creuser. Autour de la barrière de sécurité, les gens suivent, impatients. « Est-ce que qu’ils ont déjà trouvé des restes? », s’interroge une jeune femme. « Il faut qu’on sache ce qui s’est passé en 1972. Il faut nous montrer les restes de nos parents », clame une maman, la quarantaine.
La première fosse commune se trouve à l’intérieur du marché de Minago. Un arbre de la mémoire a été planté devant la fosse. «Il existe depuis plusieurs années», confie un habitant de Minago. L’autre se trouve au centre d’un terrain de football, tout près de la paroisse Minago. «Les victimes s’étaient réfugiées à la paroisse», raconte un vieux, témoin oculaire.
Dans les deux fosses communes, on ne trouve pas beaucoup de restes. Selon le président de la CVR, les os sont mélangés avec le sable. De plus, d’après lui, les bourreaux ont amené une machine pour terrasser les lieux après les avoir jetés dans la fosse.
A Minago, le président de la CVR va prononcer le même discours comme à Karinzi. Un discours qui ne va pas plaire à tout le monde. «On dirait qu’il a un parti-pris. Son discours accuse une partie de la population. Tout a commencé à Minago. Il y a un universitaire du nom de Celeus Mpasha, c’était lui le chef des Mulelistes. Il est originaire de la colline Gahondo. Il vit aujourd’hui en Tanzanie. Les militaires sont venus après. Plusieurs Hutus ont été tués», confie E.H., un habitant de Minago. «Il faut qu’il prenne de la hauteur, car il fait un travail délicat», renchérit un autre. «Avant, on vivait en harmonie, les choses ont tourné mal avec la venue des Mulelistes. Ils ont brûlé les permanences du parti Uprona. Ils disaient ‘’Uprona zi’’. Ils disaient de tuer tous les Tutsi. Alors la population s’est divisée. Ceux qui sont morts à Karinzi ont été tués sous la supervision des militaires», indique J.M., un habitant de la colline Karinzi, 68 ans, témoin oculaire.
Néanmoins, la population salue ce travail d’exhumation des victimes de la crise de 1972 même si, selon eux, cela ravive de mauvais souvenirs. «C’est important qu’on puisse enterrer dignement nos parents. Mais, je n’ai pas de haine envers les assassins de mon père», indique un habitant de Karinzi. Les habitants de Minago abondent dans le même sens. Toutefois, ils demandent une indemnisation. Pierre Claver Ndayicariye va exhorter la population à vivre et à enseigner la paix à leurs enfants afin que le Burundi ne connaisse plus ces crises cycliques. « Il faut tirer une leçon de cela. Vivre en harmonie dans nos différences ». Et de rappeler que la vérité ne pourrit jamais face à l’Histoire. « Nous vous exhortons à nous montrer toutes les fosses commune que ce soit de 1972, 1988 ou de 1993. Mais aujourd’hui, nous sommes là pour la crise de 1972. » Et poser la question : « Est-ce que la paix peut être consolidée alors qu’il y a des fosses communes remplies de nos frères, nos parents, nos voisins… ? ».
ANALYSE – Vers la qualification des faits
Qualifier ce qui s’est passé s’avère compliqué. Deux visions s’affrontent.
Selon le président de la CVR, le rapport provisoire indique qu’il y a plus 4000 fosses communes dans le pays. Il a demandé à la population de soutenir le travail de la CVR. « Ne jetez la pierre à la CVR. Elle est là pour aider dans la recherche de la vérité. » Il a annoncé que, bientôt, la commission va procéder à la qualification des faits. «Nous allons nous référer aux lois internationales faire la qualification des faits.»
Alors que la loi de 2018 régissant la CVR dans son article 6, alinéa 3, l’autorise à qualifier les violations graves des droits de l’Homme commises durant la période allant du 26 février 1885 au 4 décembre 2008, cela ne fait pas l’unanimité.
Pour Térence Mushano, vice-président et porte-parole de l’Association AC Génocide Cirimoso, la CVR telle que composée aujourd’hui n’a pas de compétence pour qualifier les crimes de génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. «Un organe compétent doit être un Tribunal pénal international nommé par le Conseil de sécurité des Nations unies.» La CVR étant l’émanation des Accords d’Arusha dont les exemplaires sont conservés au siège des NU, poursuit-il, ces dernières sont exclues de cette commission alors que les Accords d’Arusha stipulaient qu’il devait y avoir un représentant de l’organisation des NU. «Pourquoi ? Alors que les NU incarnent la compétence, le pouvoir et l’expertise. La communauté internationale ne devait pas être écartée.», s’interroge Térence Mushano. D’après lui, les crimes de génocide, crimes de guerre et crime contre l’humanité relèvent du droit international. «Ce ne sont pas des crimes domestiques. Ceci est une question de transparence, de neutralité et d’impartialité. »
Selon Maître Gustave Niyonzima, un juriste, les infractions sont classées en trois catégories : crimes, délits, contraventions qui déterminent la compétence des juridictions répressives et les règles qui leur sont applicables. La gravité attribuée à une infraction, et donc sa qualification criminelle, délictuelle ou contraventionnelle, est identifiable d’après la gravité de la peine qui y est attachée par la loi. Et ce sont les cours et tribunaux qui qualifient les crimes et leurs auteurs après un procès équitable. D’après lui, la classification des infractions permet surtout la détermination de la compétence des juridictions répressives puisque chacune est compétente pour une catégorie d’infractions particulières.
«La CVR ne peut pas se substituer aux cours et tribunaux, les seuls ayant la compétence de qualifier les crimes via des sentences». Selon lui, l’article 6 est anticonstitutionnel. Ce juriste souligne que l’Accord d’Arusha prévoit d’abord via le gouvernement de transition, de la mise en place par le Conseil de sécurité des NU d’une Commission d’enquête judiciaire internationale sur le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité concernant les crimes commis pendant la période allant de l’indépendance à la date de signature de l’accord. Au cas où le rapport établirait l’existence d’actes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, il est prévu que le gouvernement demande la mise en place d’un Tribunal Pénal International chargé de juger et punir les coupables. Il est également prévu une Commission nationale pour la Vérité et la Réconciliation, chargée de faire la lumière et établir la vérité sur les actes de violence graves commis au cours des conflits cycliques depuis. Parmi les éventuelles mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation, il est fait référence à l’adoption par l’Assemblée Nationale d’une législation « établissant un cadre pour l’octroi d’une amnistie, conformément à la législation internationale » pour des crimes politiques. Iwacu a essayé de joindre l’Association des victimes de 1972 sans succès.