Les habitants qui ont des parcelles dans les 160 ha aux alentours du Palais Ntare Rushatsi seront expropriés pour cause d’utilité publique. Mais ils dénoncent les tarifs proposés qui seraient contraires au Code foncier.
« La nouvelle ordonnance ne nous donne aucun espoir. Elle est contraire au Code foncier, article 426 », déplore Emmanuel Niyongabo président d’une commission représentant les habitants qui ont des parcelles situées dans les 160 ha dans les environs du palais Ntare Rushatsi. D’après lui, cet article stipule que les ministres intéressés devraient fixer des sommes minimum d’indemnisation. Or, soutient-il, l’ordonnance donne des prix définitifs. «De plus en son article 424 le Code stipule que l’indemnisation doit être proportionnelle aux pertes du citoyen exproprié. »
D’après M.Niyongabo, la commission qui représente les familles en attente d’expropriation fait savoir aussi que les tarifs devraient être le résultat d’un consensus entre les expropriés et leur expropriateur. Les indemnisations promises, jugent-elles, sont de loin inférieures à la valeur des parcelles qui sont dans les 160 hectares. « Nous ne savons pas à quel saint nous vouer, c’est incompréhensible. S’ils nous donnent 5 millions par are alors que d’autres vendent leur terre à 15, 16, millions voire 20 millions par are. Où est ce que nous irons acheter une autre parcelle ? », se demandent-t-il.
M.Niyongabo confie que lui et ses voisins se sont retrouvés dans l’obligation de céder. Maintenant, ils veulent au moins être traités comme des habitants qui avaient leurs parcelles sur cette terre où se trouve maintenant le palais présidentiel. « Ils ont eu des parcelles plus 5 millions BIF. » Mais quand Niyongabo évoque cette demande à une commission du gouvernement chargée de suivre ce cas, il indique qu’il n’est pas compris.
Peur d’être chassés au profit de personnes privées
« A entendre ce qui se dit, nous pouvons être chassés pour laisser place à d’autres personnes alors que l’on nous dit que c’est un lieu destiné travaux d’intérêt général », s’inquiète Emmanuel Niyongabo. D’après lui, cela peut être des rumeurs, mais les habitants expropriés ignorent tous des travaux qui seront réalisés dans leurs anciennes parcelles. « Cela renforce nos inquiétudes.»
Les expropriés demandent au gouvernement de leur donner des parcelles et des indemnités au lieu de les faire croupir dans la misère. « Ce sont plus 2850 familles qui mènent une vie misérable parce que la plupart vivaient de l’extraction du sable, du bouillon et du gravier dans les rivières ce qui actuellement leur est interdit. » Pire, beaucoup parmi eux, du fait qu’ils ne sont pas autorisés à construire ou à bâtir quoi que ce soit depuis 2016, leurs maisons tombent en ruine.
« Nous avons discuté avec les concernés et ils ont compris », réagit Emmanuel Ndorimana secrétaire permanent au ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’élevage et président de la commission chargée d’analyser les questions relatives à la gestion des alentours du palais « Ntare house ». Il se veut rassurant, le code foncier sera respecté. M.Ndorimana soutient aussi que l’ordonnance est venue pour clarifier ce qui n’est pas clair dans le Code. « Pour le cas présent les chiffres de référence».
Les habitants qui ont des parcelles aux alentours du palais Ntare Rushatsi seront chassés au profit des personnes privées ? Emmanuel Ndorimana réplique que non : ce sont des infrastructures publiques qui seront érigées. Leur vraie question, reconnaît-il, c’est le retard d’indemnisation et de ne pas être indemnisés à l’instar des anciens propriétaires de la terre qui abrite le palais présidentiel. C’est à dire par 5 millions BIF par are en plus d’autres parcelles. « Sur ça, nous avons donné le rapport aux instances supérieures. Nous attendons la réponse. »
Pour rappel, les habitants qui ont des parcelles dans les 160 hectares situés aux alentours du palais Ntare Rushatsi sont avertis depuis 2016 qu’ils doivent être expropriés de leurs parcelles pour cause « d’utilité publique. »
« Même si les tarifs sont prévus, ils sont des bases de négociation»
Emery Nukuri, expert-juriste en droit foncier, estime que l’ordonnance ministérielle du 24 mai 2022 portant actualisation des tarifs des terres, des cultures et des constructions est un texte d’application du code foncier qui prévoit que l’indemnité est négociée à l’amiable entre les parties intéressées
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La nouvelle ordonnance fixe de nouveaux tarifs, mais les concernés à Gasenyi (Mutimbuzi) sont inquiets. Est-ce que ces tarifs sont justes ?
Je dois dire que cette ordonnance ministérielle est un pas en avant dans la bonne direction pour une indemnisation juste des propriétaires fonciers. Parce qu’il faut partir des chiffres. Les tarifs ont parfois été multipliés par 10, parfois même par 20. Vous avez parlé du quartier périphérique de Gasenyi, par exemple, c’étaient 2500 BIF par m2 dans l’ordonnance de 2008 et maintenant, ce sont 50 000 BIF. Il faut reconnaître que l’Etat a fait des efforts pour que les tarifs soient proches de ceux du marché.
Les mêmes concernés disent que l’ordonnance est incompatible ou contraire au code foncier surtout dans son article 426.
L’important ce n’est pas l’article comme tel. L’important, c’est comment l’article sera appliqué. Même avec l’ordonnance de 2008 qui a fixé des tarifs inférieurs, l’Etat a pu s’entendre avec les propriétaires pour les indemniser notamment en leur donnant des parcelles d’une superficie équivalente ou même de valeur égale notamment pour les parcelles qui sont dans les 40 hectares du palais. Ils ont été réinstallés à Maramvya. L’Etat a pu indemniser les anciens propriétaires sur base d’une ordonnance qui fixe des tarifs inférieurs. A plus forte raison, il pourra donner une indemnité juste si les tarifs fixés sont dix fois supérieurs.
Ils disent que l’ordonnance fixe un tarif définitif au lieu d’un tarif minimal. Leurs appréhensions, sont-elles fondées ?
A mon avis, l’intitulé de l’ordonnance ne parle pas de tarif minimal ou de tarif définitif, surtout que l’ordonnance ministérielle prévoit qu’elle sera actualisée. Ceux qui lisent le code foncier dans ce sens se trompent. Parce qu’exactement même si les tarifs sont prévus, ils sont des bases de la négociation. L’ordonnance ministérielle du 24 mai portant l’actualisation des tarifs des terres, des cultures et des constructions est un texte d’application du code foncier. Un texte d’application ne peut pas être contraire à la loi dont il fait application. Le code foncier de 2011 prévoit en son article 424 que l’indemnité d’expropriation doit compenser intégralement le préjudice subi par l’exproprié. C’est vrai que les tarifs sont là, mais l’Etat doit analyser : quel est le préjudice subi par l’exproprié ? Quelle est l’origine de la propriété ? Comment elle a été achetée et à quel prix ? Quelle est la valeur actuelle ? C’est-à-dire même si les tarifs sont là, il faut analyser la perte que subit l’exproprié par rapport à la valeur du marché, par rapport à la manière dont la personne l’a exploitée.
L’article 424 prévoit que l’indemnité est négociée à l’amiable entre les parties intéressées. Ça veut dire que normalement, l’administration, les services de l’Etat, en particulier le ministre ayant l’agriculture ou l’urbanisme dans ses attributions et la présidence de la République doivent s’asseoir ensemble avec les expropriés pour s’entendre sur la valeur de l’expropriation. Et ici l’article 425 prévoit que l’indemnité peut prendre la forme soit d’une indemnité pécuniaire, soit d’un échange assorti d’une indemnité d’installation. Si les tarifs sont inférieurs, l’Etat peut choisir de donner une autre propriété. Il peut privilégier par exemple de donner des parcelles équivalentes. Dans les 160 ha, l’Etat peut choisir de les installer sur d’autres parcelles qu’il possède, qu’il soit viabilisé ou pas. Mais il doit leur donner une indemnité qui compense effectivement la perte.
Ces concernés estiment de plus qu’ils devraient être consultés avant la fixation des tarifs selon le code foncier. C’est aussi votre constat ?
A mon avis, pour fixer les tarifs d’indemnisation, c’est le ministre ayant les terres dans ses attributions et le ministre ayant les finances dans ses attributions qui étaient compétents, c’est pourquoi les tarifs ont été fixés. Par contre, les concernés doivent être entendus pour fixer le montant réel de l’indemnité qui couvre la perte qu’ils subissent en cédant leurs propriétés à l’Etat.
Les habitants de Gasenyi craignent que leurs parcelles puissent être accordées à d’autres personnes privées. Est-ce que cela peut arriver au regard de la loi ?
L’ancien code foncier de 1986 prévoyait qu’une personne pouvait être expropriée, soit au profit de l’Etat, soit au profit d’une personne privée qui disposait d’un projet d’intérêt général. Mais cette conception a été abandonnée parce que l’article 411 du code foncier prévoit que le droit de propriété peut être exproprié pour cause d’utilité publique au bénéfice seulement de l’Etat ou de toute autre personne publique. Ça peut être l’Etat, la commune ou une société publique uniquement. Si l’expropriation est poursuivie au profit d’une personne privée, ça sera en violation de la loi.
A mon avis, si on veut le faire, il faut réviser le Code foncier. Selon le code foncier en place, si on poursuit l’expropriation d’une personne au profit d’une personne privée, ça sera la violation du droit en vigueur. Ça sera une violation de l’article 434. Seulement, il est possible de faire ce que l’on appelle l’expropriation achat. Laisser une personne privée qui veut faire un projet d’intérêt général, s’entendre avec la population pour que ça soit sous forme d’une vente.
Et pour renforcer cela, l’article 434 du code foncier prévoit qu’il faut réaliser le projet que l’on est censé faire au profit de l’Etat, de la commune ou d’une société publique. Si le projet n’est pas réalisé, l’Etat ne peut pas légalement attribuer les parcelles à des personnes privées. Ça serait une violation de l’article 434 et l’Etat serait obligé de les remettre aux anciens propriétaires. Et s’il refuse, les anciens expropriés peuvent demander la remise de ces biens à la cour administrative.
« Et s’il refuse, les anciens expropriés peuvent demander la remise de ces biens à la cour administrative. »
Le problème ici est que le président Ndayishimiye a déjà dit que désormais, intenter une action contre l’État ne sera plus qu’une perte de temps et de ressources. On n’a presque plus le droit de le faire puisque toujours selon notre président, tout ce que fait l’État doit être pris comme parole d’évangile.