Samedi 21 décembre 2024

Économie

Des commerçants burundais dans le désarroi

19/11/2024 Commentaires fermés sur Des commerçants burundais dans le désarroi
Des commerçants burundais dans le désarroi
Des importateurs annulent les commandes pour des matériaux de construction

Depuis des mois, le Burundi fait face à des pénuries répétitives de carburant et le manque de devises. L’inflation est galopade. Le secteur commercial est frappé de plein fouet. Des commerçants annulent leurs commandes en importation. Ils dénoncent un climat d’affaires hostile. Coup de projecteur.

Selon les données publiées par l’Institut national de la Statistique du Burundi (INSBU), l’inflation a connu une montée spectaculaire entre mai et juin 2024. Cette période a été marquée par des variations significatives des prix des produits essentiels ainsi qu’une dévaluation continue du franc burundais. Tout cela exacerbe les difficultés économiques pour les ménages burundais.

En mai 2024, le taux d’inflation annuel était de 12,5 %. Un mois plus tard, ce taux a grimpé à 15,9 %. Cette augmentation a été ressentie de manière particulièrement aiguë dans le secteur alimentaire.

Le taux de change officiel de la Banque de la république du Burundi (BRB) pour le dollar américain est de 2 884,10 et 2 930,62 pour la vente le 11 novembre 2024. Cependant, sur le marché noir, le dollar s’échange actuellement entre 7 600 et 7 800 BIF, soit près du triple du taux officiel. Cette disparité reflète une demande accrue de devises étrangères face à une offre limitée, exacerbée par une confiance réduite dans la monnaie burundaise.

La détérioration des termes de change entraîne la pénurie et/ou la cherté des produits stratégiques dont le carburant et les médicaments. Les consommateurs assistent impuissants à la flambée des prix qui touchent désormais tous les produits. Ces derniers jours, le prix de la viande explose. « Un kilo de steak est vendu autour de 30 000 BIF. La perte de la valeur du BIF par rapport aux shillings tanzaniens a réduit drastiquement les importations de vaches », explique Protais Ndayisaba, un agent de l’abattoir à Kigobe.

Certains commerçants commencent à abandonner leurs activités. Au centre-ville, certains magasins se vident. Les produits écoulés ne sont pas remplacés. « Il est difficile de faire des commandes dans les conditions actuelles. J’attends  que la situation  se normalise pour m’approvisionner », fait savoir Alfred Ndayiziga commerçant des téléphones et d’autres appareils électroniques.

D’après Paul Bukuru, importateur des appareils électroniques depuis Dubaï, cette dévaluation de la monnaie a des répercussions directes sur le pouvoir d’achat des ménages. Elle augmente en effet le coût des biens importés et ajoute une pression supplémentaire sur les prix des produits locaux. « Les importateurs doivent payer plus pour obtenir des devises étrangères. Ce qui se traduit par des coûts plus élevés pour les produits importés augmentant ainsi le coût de la vie pour les consommateurs burundais. J’ai annulé ma commande à trois reprises ».

Selon Jonas Bigirimana, un déclarant en douane interrogé, certains importateurs décident d’annuler les commandes déjà faites et d’autres d’abandonner leurs marchandises au niveau des douanes. « Mon patron a abandonné des marchandises d’une valeur de 20 000 dollars », témoigne-t-il.

Le secteur de la construction touché

Le quartier asiatique est connu comme lieu de commercialisation et d’entrepôts des matériaux de construction. Certains sont produits localement et d’autres sont importés de la Tanzanie, du Kenya, de l’Ouganda et de la Turquie.

Il s’agit notamment de fers à béton de toutes les dimensions et de meilleure qualité. On y trouve des tubes de toute sorte pour différents projets de construction. Des tôles de différentes couleurs et de meilleure qualité. Les tôles dites « MRM » y sont en abondance. Même les tôles planes et autoportantes.

Des triplex, des barres de fer, des clous et des attaches de toute sorte y sont vendus. Des peintures de différentes couleurs et de meilleure qualité également. Bref, tous les produits dont les clients ont besoin pour la construction.

Dans certains magasins, les stocks commencent à s’amenuiser. Les causes évoquées sont la dépréciation de la monnaie burundaise, le manque de devises pour les importateurs et les pénuries récurrentes des carburants.

M.N est importateur des matériaux de construction depuis plus de 10 ans. Pour éviter toute rupture de stock, il avait noué des partenariats avec des fournisseurs internationaux. « Nous avons noué des relations avec des partenaires internationaux qui nous fournissaient des matériaux originaux. De la Turquie par exemple, nous importons des tôles ondulées et des fers à béton. Nous importons aussi des tôles du Kenya et d’autres pays ».

Il estime que la situation est devenue insupportable. Pour importer, il doit s’approvisionner en devises sur le marché noir à un taux exorbitant. « La BRB ne nous donne pas les devises dont nous avons besoin. Comme vous le savez, plus de 60 % des importations sont couverts par le marché parallèle. J’ai commencé à réduire de moitié les importations et, récemment, j’ai annulé des commandes par manque de devises ».

Il avait l’objectif de vendre des produits de bonne qualité à des prix abordables. Une vision qu’il avait portée avec succès, car leur champ d’approvisionnement s’est agrandi au cours de ces dernières années. « Aujourd’hui, nous avions évolué et notre champ d’approvisionnement s’était agrandi. Nous pouvions nous approvisionner en Europe, en Turquie, et ailleurs dans le monde. Tout ça s’est estompé ».

Même indignation chez Aline Ndayizeye, une commerçante. Pour elle, le succès tient également à une efficacité certaine dans la gestion et l’anticipation des besoins du client. Dans le contexte actuel, c’est difficile. « Nous avons tenu à augmenter les capacités de notre stock pour éviter toute rupture de stock. Ceci nous permettait de satisfaire la demande. Nous sommes dans une situation où un client passe une commande  que nous ne sommes pas  en mesure d’honorer. L’éventualité est que le stock peut s’épuiser par manque d’importation ».

Jean Ndayizeye, un commerçant du matériau de construction fait la même observation. « Notre premier challenge était de se constituer un stock conséquent pour pouvoir honorer de grosses commandes. Sur ce point, nous réussissions bien. Le stock devient assez insuffisant pour toute sorte de commandes ».

Dans le but de faciliter les transactions à distance, son magasin avait mis en place une stratégie d’approvisionner la population de l’intérieur du pays et de servir de relais pour la diaspora afin de gagner du temps. Il sécurisait les clients tout au long des travaux de construction dont les chantiers sont à distance. « La pénurie du carburant a tout gâché. Des commandes ont été annulées et des chantiers suspendus par manque de moyens de transport », se désole-t-il.

À titre d’exemple, les fers à béton de bonne qualité sont importés de la Turquie. Il y en a pour différents prix pour être en mesure de servir et d’approvisionner tous les clients même ceux disposant des moyens réduits.

Une problématique à résoudre

Selon un cadre à la Chambre fédérale du commerce et d’industrie au Burundi CFCIB, la pénurie du carburant, le manque de devises ainsi que la perte du pouvoir d’achat de la population ont porté un coup dur sur l’économie. Les commerçants, dit-il, qui n’ont pas pu continuer de faire des importations suite au manque criant de devises sont dans la difficulté. « Les quelques marchandises importées sont si chères que les populations ne peuvent plus s’en procurer ».

Faustin Ndikumana plaide pour la tenue des états généraux sur la situation économique au Burundi

Il indique que pour les biens de consommation locale, le carburant qui est devenu un produit rare et cher fait que les prix montent de manière démesurée. Du coup, se désole-t-il, la population en paye le prix. « Aujourd’hui, les gens se lamentent de la cherté des produits de première nécessité et d’autres sont devenus rares et introuvables ».

Il déplore que la dépréciation de la monnaie ait aggravé la situation. Il entraîne la désolation et les lamentations des consommateurs qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts du mois.

Il propose la libéralisation de l’importation et la commercialisation du carburant ainsi que la subvention des produits alimentaires de première nécessité. Il faut également accélérer l’exploitation des minerais qui pourrait, indique-t-il, contribuer à la disponibilité des devises dont le pays a tant besoin.

Il insiste sur la nécessité d’intensifier les efforts pour rendre disponibles le carburant et les devises par le gouvernement. « Tous les moyens possibles doivent être exploités car le quotidien de la population burundaise en dépend ».

« Si on analyse la situation de l’inflation, de la rareté des devises, des produits de première nécessité comme le sucre et la pénurie du carburant, on constate que même l’environnement des affaires que ça soit au niveau local et au niveau central commence à être une question sensible », déplore Faustin Ndikumana, directeur national de Parole et action pour le réveil des mentalités, Parcem.

En outre, il parle de la corruption et des sanctions des pays étrangers qui continuent à être un fardeau sur le pays. Tout cela, dit-il, devrait retenir l’attention de tous les Burundais.

Le Parcem lance un vibrant appel au gouvernement pour qu’il organise des états généraux sur la situation économique au Burundi. C’est pour dégager une feuille de route qui orientera toutes les actions qui seront faites au niveau prioritaire à court et à moyen termes. « Il est grand temps de se réunir en conclave avec les experts nationaux, étrangers et les partenaires nationaux qui peuvent avoir des contributions à donner. Il est évident que le seul parti au pouvoir et le seul gouvernement ne pourront pas donner des solutions idoines à cette crise économique ».

Contacté, le porte-parole du ministère du Commerce n’a pas voulu réagir malgré l’insistance et les explications fournies. « Pour tout ce qui est en rapport avec le carburant, demandez ailleurs. Pour tout ce qui est en rapport avec le manque de devises, demandez ailleurs », répétait-il dans une conversation sur la messagerie instantanée WhatApp.

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