Le lac Tanganyika a retrouvé « sa couleur normale ». Tout est bien qui finit bien. Mieux ce « changement de couleur augure une excellente pêche dans les semaines et mois à venir ». La communication officielle, via le ministre de l’Environnement, s’est empressée de rassurer la population, pour juguler la panique naissante. Elle est dans son rôle.
Au risque d’être considéré comme un rabat-joie, je pense que la fièvre de la « couleur verte » passée , il convient de continuer à s’interroger.
Pourquoi ce changement? Vraiment, aucun risque pour la population ?
Si les autorités sont dans leur rôle pour rassurer la population ( cela se passe ainsi sous tous les cieux) , la presse est dans le sien pour douter. Douter. Douter. Toujours douter. C’est d’ailleurs le credo d’un bon journalisme. Il ne s’agit donc pas de s’arrêter seulement sur « les pêches abondantes » à venir que l’on nous annonce.
Quelques spécialistes interrogés restent prudents. Ainsi, Gabriel Hakizimana, (PhD) en santé publique et une maîtrise en environnement et prévention et qui travaille comme professionnel en santé publique au Québec et qui a été membre d’un groupe de travail (du ministère de la Santé) sur les cyanobactéries explique que « si la couleur verte a disparu, c’est tout simplement que la concentration des algues bleu vert* dans le plan d’eau (lac, étang, etc.) a considérablement diminué. »
Un bémol. Si cette couleur verte a disparu, un « risque sur la santé » existe toujours. Selon M. Hakizimana, certaines recherches démontrent que les toxines sont libérées principalement lorsque les algues vieillissent et meurent. « Très souvent, on peut retrouver une grande concentration de toxines alors que l’eau a retrouvé « la couleur normale ». Certaines sortes de cyanobactéries libèrent des toxines qui persistent longtemps dans l’eau », explique le spécialiste.
Amateur de Mukeke et autres Ndagala ( dans mon pays) , la question qui me taraudait bien sûr et qui préoccupe mes compatriotes certainement est : « Aujourd’hui manger du poisson du lac Tanganyika est-il dangereux ? »
M. Hakizimana, comme tous les spécialistes, ne veut pas donner une réponse hâtive et définitive. Il faudrait d’abord analyser dans les laboratoires des poissons pêchés dans le lac. « Au Canada, on retrouve des toxines dans les poissons se trouvant dans des lacs contaminés, mais leurs concentrations sont très souvent en deçà des seuils à risque pour la santé. Ces toxines se trouvent surtout dans leurs viscères. Quid des petits poissons comme les Ndagala ? Il faut des études pour en avoir le cœur net », dit-il. La seule recommandation du spécialiste : en cas de présence importante de cyanobactéries dans le lac, consommez les Ndagala modérément, dit-il.
Ce que j’ai gardé de cet échange passionnant c’est que les choses sont plus complexes, et que la présence massive de ces algues est un signe de pollution au phosphore, le principal responsable de la prolifération des cyanobactéries.
J’ai aussi appris une information inquiétante. Lorsque les algues et les plantes aquatiques meurent, elles se décomposent dans le fond du lac. Les microorganismes responsables de cette décomposition consomment de l’oxygène dissout dans l’eau. Donc, plus il y a de phosphore dans l’eau, plus il y a d’algues et de plantes et plus l’oxygène va tendre à diminuer dans le fond des lacs. Le lac vieillit et adieu les poissons (et autres organismes vivants). Ces productions « exceptionnelles » de poissons ne sont donc pas faites pour durer.
L’analyse du spécialiste burundo-canadien rejoint d’ailleurs celle de notre ardent défenseur de la nature Albert Mbonerane.
Le ministère de l’Environnement devrait dépasser une « communication de crise » pour « rassurer la population » et se pencher sérieusement sur la survie du lac et de sa faune.
Dans un tweet, la police nationale a indiqué que « la police marine a fait une patrouille à plus de 10km des rives du lac. Pas de danger, la population est invitée à rester calme et à vaquer normalement à ses activités ». Comme si le danger était une invasion de quelques malfaiteurs, via le lac . Non, le problème est tapi dans l’eau. Et ce n’est pas un problème de la police marine…
* Les algues bleu vert (cyanobactéries) vivent dans l’eau des lacs et de certaines rivières. Elles vivent à une profondeur variable, et peuvent migrer près de la surface comme en profondeur. D’habitude, on ne les voit pas parce qu’elles sont microscopiques et en faible concentration.Le phosphore est leur nutriment par excellence. Lorsque la concentration en phosphore dans le lac est importante sous une journée ensoleillée et une température élevée, les conditions sont réunies pour que les algues bleu vert prolifèrent rapidement et deviennent alors visibles ; d’où cette couleur verte (qui ressemble à la soupe aux brocolis).