Le 29 novembre 2024, un déficit de 110 milliards de FBu observé durant les quatre derniers mois par l’Office burundais des recettes est rendu public par le ministre des Finances, du Budget et de la Planification économique dans une réunion avec les hauts cadres de cette institution. Pour l’Office, trois raisons, à savoir le manque de carburant, le manque de devises et le changement climatique sont à l’origine de ce déficit. A cette même date, une note du ministère des Finances portant suspension des dépenses non prioritaires est sortie. A qui imputer la responsabilité ?
Lors de la célébration de la journée du contribuable, le 3 décembre 2024, le commissaire général de l’Office burundais des recettes, OBR, et le ministre en charge des finances ont énuméré les raisons du déficit de 110 milliards de recettes de l’Office. Ils font savoir que certains contribuables et agents de l’OBR sont les grands fautifs dans ce déficit.
Selon le commissaire général de l’OBR Jean-Claude Manirakiza (au moment où nous mettons sous presse cet article), la crise économique mondiale, les changements climatiques, le manque des carburants, la pénurie de devises sont les causes du déficit observé ces quatre derniers mois.
Et de souligner qu’il existe encore des problèmes dans la collecte des recettes. « Il y a des contribuables qui cherchent toujours des techniques pour ne pas payer leurs impôts et taxes. Par exemple, par rapport aux marchandises importées, sur 101 camions de biens qui passent par les frontières, seuls 23 déclarent correctement leurs importations aux douanes, soit 2,5 milliards de BIF récupérés » fait-il remarquer.
Il ajoute qu’un groupe de gens faisant la falsification sur la TVA à l’aide des machines de facturation électronique a été appréhendé. Ainsi, l’OBR pourra récupérer 4 milliards avec les 48 contribuables concernés.
Il s’observe aussi des contribuables qui essaient de contourner l’utilisation des appareils de facturation électronique et qui entrainent leurs congénères à ne pas croire en l’usage de ces machines.
Un autre souci est que les déclarants et les conseillers fiscaux font d’une pierre deux coups. Ils escroquent les contribuables en leur donnant de mauvais conseils. En même temps, ils détournent l’argent des recettes devant rentrer dans les caisses de l’Etat. Beaucoup d’entre eux ont été arrêtés, informe-t-il.
Il indexe aussi des agents de l’OBR qui reçoivent des pots-de-vin et qui causent des perturbations dans le travail en allant s’occuper de leurs propres affaires. Au cours de cette année, 77 employés ont démissionné. Parmi eux, plus de 10 employés informaticiens sont allés à l’étranger. Ceux qui ont été chassés à cause des manquements ou des détournements des impôts et taxes sont au nombre de 23.
Le ministre Audace Niyonzima parle quant à lui des contribuables créateurs d’entreprises qui dépassent le temps d’exonération. En effet, la durée d’exonération est en principe de 5 ans.
Mais, il y en a qui se retrouvent dans les 10 ans avec l’exonération. Il mentionne aussi les agents de l’OBR qui ne donnent pas de factures aux contribuables qui viennent de payer l’impôt.
Réactions
Gabriel Rufyiri : « le chiffre du volume des importations a beaucoup diminué »
Selon Gabriel Rufyiri, quatre hypothèses sont à l’origine du déficit. Il y a la chute des importations due à la pénurie de devises ; la diminution des impôts ou la taxe sur consommation ; la mauvaise gouvernance au niveau de l’OBR et le faible pouvoir d’achat des Burundais.
« La chute des importations s’observe avec certains produits qui génèrent beaucoup de droits de douane et d’autres droits liés aux importations », souligne-t-il. Il indique par exemple que pour le carburant, le volume des importations a beaucoup diminué. Le Burundi consomme par mois 30 millions de litres. Il suffirait d’aller vérifier les importations qui viennent par mois seulement pour les produits pétroliers.
En deuxième lieu, la diminution des impôts ou la taxe sur consommation constitue une autre cause de ce déficit selon Gabriel Rufyiri. « Il faut savoir qu’en plus des droits de douane au niveau des importations, il y a ce que nous consommons. Les principaux produits qui génèrent beaucoup de recettes au niveau de la taxe sur consommation sont les boissons de la Brarudi, le carburant et la téléphonie mobile. Ce sont ces trois principaux produits qui génèrent beaucoup d’argent en matière de taxe », précise-t-il
Il ajoute que sur tous les produits consommés, il y a des taxes qui sont perçues. Mais quand le volume des importations et le volume des produits à commercialiser diminuent, cela induit une diminution des taxes.
« La mauvaise gouvernance au niveau de l’OBR vient en 3e position dans ce qui conduit au déficit », confie Gabriel Rufyiri. Il souligne aussi que le ministre en charge des finances a évoqué des cas de corruption et de détournements des fonds parmi les cadres et agents de l’OBR. Ce sont des indicateurs importants qui peuvent engendrer ce déficit.
Enfin, le faible pouvoir d’achat des Burundais peut faire qu’il y ait aussi un déficit selon Gabriel Rufyiri. « Les boissons, le carburant et les autres consommables qui amènent beaucoup de taxes ne sont pas priorisés lors des achats » souligne-t-il.
Le président de l’Olucome parle aussi des implications de ce déficit sur l’économie. « Le taux de croissance actuel stagne à 2% alors qu’on espérait aller vers 3 %, 4% du taux de croissance », rapporte-t-il notamment.
Il suggère que pour une amélioration de la situation économique, les experts peuvent apporter leur pierre à l’édifice en donnant des propositions au gouvernement. Il indique que le Burundi n’est pas le seul pays qui a connu ce genre de problèmes. « Pour développer la résilience de l’économie d’une nation, il y a des principes à respecter comme la production, la coupe budgétaire par exemple le vote d’un budget d’austérité, un budget qui met en avant les secteurs porteurs de croissance », souligne-t-il. Il déplore le fait que le secteur porteur de croissance que le Burundi a mis en avant aujourd’hui est l’agriculture alors qu’il n’y a pas d’intrants agricoles.
Concernant la décision du ministre chargé des finances de suspendre des dépenses non prioritaires, le commentaire du président de l’Olucome est que le gouvernement doit donner des orientations claires en attendant la révision budgétaire. Les organisations de la société civile doivent participer au processus de révision budgétaire. « Nous voulons être l’une des parties prenantes. On veut pouvoir donner des avis dès l’initiation de la révision et des décisions budgétaires jusqu’au vote. On ne veut plus être mis devant le fait accompli » insiste-t-il.
Faustin Ndikumanaː « Cette situation de déficit n’est pas une surprise pour moi »
La pénurie de devises, le faible impôt sur les revenus, la structure fiscale actuelle, le leadership de l’administration fiscale, des exonérations et la chute lamentable du pouvoir d’achat des Burundais sont les causes de ce déficit selon le président du Parcem.
« D’abord, cette situation de pénurie de devises qui n’a pas de solution suite aux problèmes structurels. Elle limite les services d’importation. En effet, une grande partie des recettes fiscales provient de l’import-export. Quand les devises manquent, cela veut dire que les importateurs n’ont pas assez d’activités », déplore Faustin Ndikumana.
Il souligne en deuxième lieu plusieurs entreprises qui travaillent en-dessous de leurs capacités de production suite aux problèmes de l’énergie, à savoir les carburants, le mazout, un déficit énergétique au niveau du courant électrique. « Cela limite alors leur chiffre d’affaires et les profits. Cela entraine aussi des répercussions négatives sur la perception de l’impôt et sur les revenus », mentionne-t-il
La structure fiscale actuelle ne favorise pas non plus le commerce, selon toujours Faustin Ndikumana. « Les taxes ont augmenté vertigineusement. En administration fiscale, il y a un principe qui dit que les hauts taux tuent les totaux. Cela veut dire que plus on applique des taxes, plus on relève les taux d’imposition, moins on va collecter les recettes. », souligne-t-il
« Ensuite, le mauvais leadership de l’administration fiscale. Au lieu de considérer les opérateurs économiques comme des partenaires, l’OBR prend des mesures contraignantes », constate-t-il malheureusement. Et d’ajouter qu’il n’existe pas de marge de manœuvre pour certains opérateurs économiques de pouvoir faire prévaloir leur justification d’un certain manque à gagner au niveau de leur commerce ou de leurs activités.
En avant dernière position, Faustin Ndikumana parle du détournement et des exonérations qui continuent à être accordées aux dignitaires de façon incontrôlée. Selon lui, ces exonérations deviennent comme une fraude légalisée.
Enfin, le contexte de paupérisation où le pouvoir d’achat de la population a lamentablement chuté, juge Faustin Ndikumana. « Même actuellement, si on fait une activité économique, il est difficile de trouver des clients », fait-il observer.
Dans de telles conditions, la population se rabat sur les produits alimentaires qui connaissent aussi une inflation très galopante. « Des produits qui ne sont pas de première nécessité ne sont pas écoulés. Ceux-ci devaient apporter beaucoup plus de recettes au niveau de la perception des taxes. », laisse-t-il comprendre.
Le président de la Parcem estime que quand il y a une chute de la demande dans un pays, cela conduit à la banqueroute des activités économiques. « Maintenant, on assiste à l’exode des commerçants. On observe une fuite des capitaux. Des commerçants quittent le pays ou abandonnent purement et simplement leurs activités économiques », déplore-t-il.
Interview avec Jean Ndenzako
« La fraude douanière décourage l’investissement privé formel. »
Que dire de la fraude fiscale ?
La fraude douanière est un fléau qui affecte profondément l’économie burundaise. Ses répercussions se manifestent sur plusieurs plans, notamment les finances publiques, l’économie réelle et les implications socio-économiques.
Analysons de manière plus détaillée ces impacts.
La fraude douanière a des effets directs très marqués. En réduisant significativement les recettes fiscales, elle entrave la capacité de l’Etat à investir dans des projets de développement essentiels. Cette diminution des recettes fiscales est particulièrement préoccupante pour le Burundi où le ratio recettes fiscales/PIB se situe déjà entre 12 et 13 %, donc bien en dessous de la moyenne régionale de 15 à 16 %.
Une situation grave ?
Le déficit budgétaire du pays force le gouvernement à s’endetter davantage pour financer ses besoins. Le recours accru à l’endettement n’est pas une solution viable à long terme car, il augmente la charge de la dette et les paiements d’intérêts, réduisant ainsi la marge de manœuvre budgétaire pour les investissements futurs.
Des effets indirects ?
Les effets indirects de la fraude douanière sur les finances publiques sont tout aussi délétères. La perte de revenus douaniers met une pression accrue sur les autres sources de revenus fiscaux, poussant les autorités à augmenter les impôts ou à créer de nouvelles taxes pour compenser les pertes.
Quelles conséquences ?
Cette situation peut conduire à une réduction des dépenses publiques dans des secteurs vitaux comme la santé et l’éducation, compromettant ainsi la qualité des services publics offerts à la population. De plus, la capacité de l’État à maintenir et à développer les infrastructures publiques, indispensables au développement économique et social, est sérieusement compromise.
Et l’économie réelle ?
Dans le secteur privé, la fraude douanière crée une distorsion de la concurrence. Les entreprises qui respectent la réglementation se trouvent désavantagées par rapport à celles qui bénéficient des pratiques frauduleuses.
Quid de l’impact sur l’investissement privé ?
Cela décourage l’investissement privé formel, essentiel pour une croissance économique durable. Les entrepreneurs sont moins enclins à investir dans un environnement où la concurrence n’est pas équitable. Ce qui freine l’innovation et la création d’emplois. Par conséquent, l’économie informelle tend à croître, échappant ainsi à tout contrôle fiscal et réglementaire.
Et le commerce extérieur ?
La fraude douanière perturbe les flux commerciaux légaux. Les importateurs et exportateurs honnêtes se retrouvent pénalisés par des délais et des coûts supplémentaires, rendant leurs produits moins compétitifs sur le marché international.
De plus, le risque de mesures de rétorsion de la part des partenaires commerciaux est élevé. Ces mesures peuvent inclure des restrictions sur les échanges commerciaux ou des sanctions économiques, nuisant à l’intégration régionale du Burundi au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). L’intégration régionale est cruciale pour le développement économique, car elle ouvre des marchés plus vastes et favorise la coopération économique entre les pays membres.
Et les implications socio-économiques de la fraude ?
Les implications socio-économiques de la fraude douanière sont profondes. Sur le plan social, la fraude douanière peut accroître les inégalités économiques en permettant à certains acteurs de s’enrichir illégalement tandis que les populations vulnérables restent privées de ressources et de services essentiels.
La détérioration des services publics, résultant de la diminution des recettes fiscales, affecte particulièrement les segments les plus démunis de la société, aggravant ainsi la pauvreté et l’exclusion sociale.
En outre, l’environnement économique instable résultant de la fraude douanière peut entraîner une augmentation du chômage dans le secteur formel car, les entreprises respectant la loi ne peuvent pas rivaliser avec celles qui pratiquent la fraude.
Qu’en-est-il de la gouvernance ?
La fraude douanière affaiblit également la crédibilité des institutions fiscales et accroît le risque de corruption systémique. Lorsque les institutions chargées de la collecte des recettes publiques sont perçues comme inefficaces ou corrompues, la confiance du public dans le gouvernement diminue. Cela peut entraîner une baisse de la conformité fiscale volontaire et rendre la gouvernance économique encore plus difficile.
Parlons du climat des affaires
Le climat des affaires est également affecté négativement car, les investisseurs étrangers et locaux peuvent hésiter à investir dans un environnement marqué par l’instabilité et la corruption. En fin de compte, cela réduit l’attractivité du pays pour les investissements étrangers directs, essentiels au développement économique.
On dirait une menace pour l’économie ?
Bien sûr. La fraude douanière représente une menace sérieuse pour l’économie burundaise. Il est impératif de renforcer les mesures de lutte contre cette pratique pour protéger les finances publiques, encourager l’investissement privé formel et assurer une croissance économique durable et inclusive.
Les autorités doivent agir avec détermination pour restaurer la confiance dans les institutions fiscales et créer un environnement favorable à la croissance économique et au bien-être de la population. Le développement et la mise en œuvre de politiques efficaces pour combattre la fraude douanière sont essentiels pour le futur économique du Burundi.
Charte des utilisateurs des forums d'Iwacu
Merci de prendre connaissances de nos règles d'usage avant de publier un commentaire.
Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes, antisémites, diffamatoires ou injurieux, appelant à des divisions ethniques ou régionalistes, divulguant des informations relatives à la vie privée d’une personne, utilisant des œuvres protégées par les droits d’auteur (textes, photos, vidéos…) sans mentionner la source.
Iwacu se réserve le droit de supprimer tout commentaire susceptible de contrevenir à la présente charte, ainsi que tout commentaire hors-sujet, répété plusieurs fois, promotionnel ou grossier. Par ailleurs, tout commentaire écrit en lettres capitales sera supprimé d’office.