Fin juillet, il était prévu la mise en application effective de la nouvelle politique salariale équitable. Néanmoins, majoritaire dans la fonction publique, les enseignants n’ont rien trouvé de plus sur leurs comptes bancaires. Et le ministre des Finances a récemment justifié le maintien du statu quo par l’absence d’experts nationaux pour faire les calculs. « Une provocation », commentent les syndicalistes.
« Quand je suis parti voir la situation de mon compte bancaire, je m’attendais à une bonne nouvelle. Mais, cela a été la déception totale. Un coup dur. Rien n’a été ajouté. C’est très décevant », se lamente I.K., un enseignant dans un des lycées du Nord de Bujumbura. Il se demande comment il pourra joindre les deux bouts du mois. « C’était vraiment une promesse. Et tous les enseignants s’attendaient à un léger mieux. Et voilà, c’est un coup de tonnerre!» Cet enseignant s’insurge contre les récents propos du ministre des Finances avançant que le Burundi n’a pas d’experts pour faire le calcul des salaires suivant la nouvelle politique salariale : « Comment est-ce possible qu’un ministre fasse une déclaration aussi dégradante pour son pays ? Dire que le Burundi n’a pas de gens capables de faire ce travail, c’est vraiment honteux !»
I.K. ne voit pas comment il va s’en sortir : « J’’ai déjà contracté un petit crédit chez un ami espérant qu’à la fin du mois de juillet, j’allais rembourser. Que vais-je alors lui dire?»
Oscar, un autre enseignant de Gitega, se dit aussi très déçu : « C’est tout simplement décourageant. On nous demande d’être productifs, mais quand il s’agit de régler nos questions, les motifs d’ajournement ne manquent pas. C’est très décevant et révoltant !»
Lui aussi dit ne pas comprendre comment un pays peut manquer d’experts pour le calcul des salaires. « Il y a peut-être de la cacophonie au sein du gouvernement. Le ministre de la Fonction publique nous avait bien rassurés que la nouvelle politique salariale va être mise en application dès la fin du mois de juillet. Et voilà, tout vient de tomber à l’eau. Est-ce que les deux ministres ne s’étaient pas concertés avant ? », s’interroge-t-il. Il rappelle d’ailleurs que cette politique devrait être mise en application depuis janvier 2020.
« Et voilà, c’est déjà deux ans! Mais quand il s’agit d’augmenter les primes ou autres avantages pour les parlementaires, les hauts cadres de l’Etat, le calcul devient facile. Nous, les enseignants, nous sommes vraiment sous-estimés», fulmine cet enseignant. Il appelle les parlementaires et le président de la République à prendre cette question en main. « Sinon, frustrés, désespérés, beaucoup d’enseignants risquent de déserter ce secteur. Je préfère vendre des avocats et gagner ma vie dignement sans être méprisé».
« Ce n’est pas automatique »
« L’ordonnance a été signée. C’est la vérité. Mais entre une mesure et sa réalisation, la plupart des fois, c’est difficile de la réaliser comme promis. Pourquoi ? Parce que le calcul de salaires n’est pas une chose automatique. Cela suppose d’avoir une base légale. Pour programmer, ce n’est pas le travail d’une semaine », a déclaré Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances. C’était le 8 août, lors de la présentation du bilan des réalisations du quatrième trimestre de l’exercice budgétaire 2021-2022.
Et d’ajouter que cela peut prendre plus d’un mois : « C’est un travail technique qui doit être fait. Sinon, si les gens s’alignaient devant le ministère pour prendre l’argent, cela serait très facile. Le système de calcul des salaires est un travail qui doit être fait minutieusement pour éviter de se retrouver en train de donner de l’argent qui ne correspond pas aux calculs ». Et le ministre se veut rassurant : « Je tranquillise, l’ordonnance est là. C’est cela qui nous donne la permission de pouvoir commencer à faire le paramétrage. Nous sommes en train de travailler pour que les choses aillent vraiment en ordre.»
Cependant, il a avoué que ce n’est pas une mission interne qui doit paramétrer les salaires : « C’est une mission que nous devons chercher à partir de l’extérieur parce que nous n’avons pas la compétence pour faire ce travail. » Il a ajouté que cela nécessite aussi la passation d’un marché pour le recrutement de ces experts. « Que les esprits se tranquillisent, ce n’est pas une ordonnance que nous allons jeter dans la poubelle. Mais il y a un travail technique qui doit être fait », a-t-il souligné, sans aucune précision sur les délais.
« Mettre le feu aux poudres »
La déclaration du ministre des Finances a été mal accueillie au niveau des syndicats d’enseignants. « Au moment où les fonctionnaires attendaient avec impatience sa concrétisation avec ce mois de juillet 2022, une sortie médiatique du ministre des Finances tombe et vient pour mettre le feu aux poudres », lit-on dans un communiqué de presse de la Coalition des syndicats des enseignants pour la Solidarité nationale et la défense des droits socio-professionnels (Cosesona), daté du 16 août.
Signé par Victor Ndabaniwe, son président, il signale que des travailleurs qui espéraient un léger mieux au niveau de leurs salaires avec ce mois de juillet sont abasourdis par une annonce d’un paramétrage qui sera effectué par une expertise étrangère, sans même fixer les délais que ce travail prendra. « Le pire, sans que le Comité Technique de Pilotage en ait été informé. Des interrogations tous azimuts sont posés pour savoir le pourquoi d’un second retrait des listings à la dernière seconde de la paye».
Selon toujours ce communiqué, l’intervention d’une si haute autorité après une telle situation, loin de tranquilliser les fonctionnaires, ne fait plutôt qu’exacerber la colère de ces derniers.
Concernant le recrutement des experts internationaux, la Cosesona rappelle que lors de l’élaboration de la politique salariale équitable dans l’administration publique burundaise, quatre cabinets d’experts internationaux recrutés par le gouvernement ont été rejetés par le Comité Technique de Pilotage de la Politique salariale (composé des représentants du Gouvernement et des syndicats) pour incompétence. Ce qui a occasionné, selon ledit communiqué, des retards énormes.
Et de s’interroger : « Qu’est-ce qui peut rassurer les fonctionnaires que cette fois-ci l’expertise externe évoquée par le ministre des Finances sera à la hauteur du travail qui lui sera confié ? Combien de temps les formalités de son recrutement pourront prendre? Quelles sont les estimations des délais que ce travail pourra prendre ? »
Pour la Cosesona, cette situation prouve à suffisance qu’il s’agit de manœuvres dilatoires dans la mise en œuvre de cette politique longtemps attendue par les fonctionnaires. « Nous voudrions par la présente informer l’opinion que le retard dans le déblocage de la carrière des travailleurs ne fait que gonfler davantage l’enveloppe des arriérés, ce qui constitue un fardeau pour le trésor public », poursuit ce communiqué.
La Cosesona fait savoir que la mise en œuvre effective de la politique salariale a commencé avec la loi budgétaire 2021-2022 comme le stipule l’ordonnance ministérielle conjointe sur la nouvelle indemnité d’ajustement salariale. « Et cela ne peut être possible qu’après le déblocage de la carrière. L’entrée dans le nouveau système des rémunérations est conditionnée par la régularisation de la situation antérieure », souligne-t-il.
Rappelant que la Cosesona et la Fonction Publique ont toujours cheminé ensemble depuis l’élaboration de la politique salariale équitable jusqu’à son adoption, cette confédération syndicale se dit surprise d’entendre la déclaration du ministre Ndihokubwayo. « A notre interprétation, c’est une provocation de la masse des fonctionnaires qui attendent depuis 2020, année butoir de la mise en œuvre de cette réforme. »
Cette confédération estime que le retard enregistré, à la suite des manœuvres dilatoires de ce ministère, devrait plutôt être une opportunité d’adopter une communication non violente à l’endroit des fonctionnaires actuellement mécontents.
« Le gouvernement a successivement rendu disponible cinq milliards et trente-quatre milliards, respectivement pour les années budgétaires 2020-2021 et 2021-2022. Mais malheureusement, aucun sou n’a été remis aux fonctionnaires. Pire encore, l’enveloppe de 37 milliards BIF récemment votée risque de subir le même sort au regard de ces déclarations », prévient cette confédération.
Ces syndicalistes jugent peu convaincante l’explication du ministre sur l’absence des experts internationaux : « Le retard dans la mise en œuvre de la politique salariale équitable n’est pas justifié par l’absence des experts locaux en calcul des rémunérations du fait que le Comité Technique de Pilotage de la Politique Salariale, dont la Cosesona est membre, n’a pas encore déclaré son incapacité. Par ailleurs, les rémunérations des fonctionnaires sont régulièrement calculées sans aucun obstacle. »
Du reste, la Cosesona indique que l’expert tunisien, fournisseur du logiciel et détenteur du contrat de maintenance, pourrait épauler dans le paramétrage afin d’éviter des retards qui ne font qu’enfoncer le gouvernement dans des arriérés.
Face à cette situation, la Cosesona demande au gouvernement d’organiser le plus rapidement possible un cadre d’échanges sur les mobiles qui auraient influencé le retrait unilatéral des listings de paie qui étaient en conformité avec les ordonnances conjointes précitées. Et ce, souligne-t-il, dans le cadre du renforcement du partenariat déjà existant et de prévenir la perturbation de la paix sociale en milieu du travail.
Lors du Conseil des ministres du 2 mars 2022, le gouvernement a trouvé que la rémunération des fonctionnaires et agents civils de l’Etat comportait de nombreuses disparités causées par : une multiplicité de primes et indemnités octroyées de façon catégorielle et qui ne sont pas souvent conformes à celles prévues par le statut des fonctionnaires, l’existence d’avantages indiciaires accordés à certaines catégories de fonctionnaires dès le recrutement, le cas des administrations personnalisées de l’Etat qui, au nom de leur autonomie, sont libres de fixer les rémunérations de leurs agents.
« Cette situation a créé des frustrations pour certaines catégories de fonctionnaires qui ont conduit à des revendications répétitives pour réclamer une harmonisation des salaires », a conclu le gouvernement. Et il a été décidé la mise en place d’une politique salariale dite équitable.
D’après le gouvernement, cette politique repose sur la politique de gestion des performances dans le secteur public ainsi que sur la classification des emplois, des fonctions et des métiers. Et pour sa mise en œuvre dès la fin du mois de juillet dernier, un montant de 125 milliards BIF, étalé sur 10 ans, a été prévu.
Le 15 juin 2022, le Conseil des ministres a adopté un projet de loi portant révision du statut général des fonctionnaires. « La mise en œuvre de cette politique nécessite des textes d’application, dont la révision de l’actuel Statut général des fonctionnaires».
D’après le gouvernement, la nouveauté de ce statut général des fonctionnaires révisé tient compte de la nouvelle politique salariale équitable, supprime les dispositions particulières applicables aux secteurs de l’enseignement et de la santé, met en avant la performance telle que définie dans la politique de gestion des performances dans le secteur public et supprime toutes les primes et indemnités actuellement existantes, qui sont remplacées par la « part emploi » de la rémunération.
Ainsi, les éléments permanents de la rémunération deviennent une part indiciaire (salaire de base), une part de rémunération liée à la cotation de l’emploi occupé (Part-Emploi) et des allocations familiales liées à la situation personnelle du fonctionnaire. « Le complément ponctuel est représenté par une part- performance liée au mérite individuel». Et l’âge de la retraite est placé à 60 ans pour tous les fonctionnaires de l’Etat.