Vendredi 22 novembre 2024

Société

Déblocage administratif et politique salariale : une année d’attente et de promesses

03/07/2023 Commentaires fermés sur Déblocage administratif et politique salariale : une année d’attente et de promesses
Déblocage administratif et politique salariale : une année d’attente et de promesses
Antoine Manuma : « Dire qu’on n’arrive pas à identifier un travailleur, c’est qu’il y a un gros problème dans la gestion du personnel »

L’attente devient de plus en plus longue. Une année après la signature de l’ordonnance conjointe portant déblocage administratif et avancement fictif de carrière des fonctionnaires et agents civils de l’Etat pour la période 2016-2022, nombre de fonctionnaires ne sont pas encore régularisés. De plus, la politique salariale équitable se fait attendre alors que le président Ndayishimiye avait promis qu’elle sera effective en juillet 2022.

« J’ai attendu que l’argent soit transféré sur mon compte en vain. J’ai écrit plusieurs lettres de réclamation comme mes autres collègues. On ne sait plus à quel saint se vouer », raconte E.N., un enseignant de la province Gitega. Il a pris la décision de descendre sur Bujumbura pour poser la question au ministère de la Fonction publique : « J’ai sillonné plusieurs bureaux et, par après, on m’a dit qu’ils ne comprennent pas comment je n’ai pas encore perçu mon argent alors que la décision me concernant a été signée en octobre 2022. Ils m’ont donné la copie de la décision. » Ils l’ont renvoyé dans sa banque où est transféré son salaire. « Mon argent n’y est pas. Je ne sais pas si la question se trouve dans ma banque. Je ne comprends rien. Nous sommes nombreux dans cette situation ».

« Lors du lancement de ce déblocage, on nous disait que nous n’avons pas été identifiés par l’ordinateur. C’était vers fin juillet 2022. Au mois de janvier 2023, on nous a demandé d’écrire une lettre à la directrice chargée des traitements des carrières. Nous l’avons fait, mais aucune issue jusqu’à maintenant », confie Claudette, une enseignante. P.K, enseignant de la province Makamba, renchérit : « J’ai écrit une lettre de réclamation au mois de février. Franchement, cette régularisation prend du temps. Peut-être que notre argent a été détourné. Nous voulons des réponses. »

Lenteur ou complexité des dossiers ?

Pour mettre en place d’une politique salariale équitable dans le secteur public, le gouvernement a consenti une indemnité d’ajustement des disparités salariales dans le secteur public et gel des annales, primes et indemnités conjoncturelles depuis le 1er janvier 2016. Pendant ce temps, les fonctionnaires et agents civils de l’Etat du secteur public ont continué à être notés sans bénéficier des avancements d’échelons et de grades y relatifs. Dans le but de mettre en application cette politique salariale, adoptée par le gouvernement le 2 mars 2022, une ordonnance conjointe du ministère des Finances et celui de la Fonction publique a été signée, le 25 juin 2022, en vue d’un déblocage administratif de la carrière des fonctionnaires et agents civils de l’Etat avant de basculer vers le nouveau système de rémunération proposé par ladite politique.

Plusieurs fonctionnaires ont été régularisés, d’autres non. Ces derniers se disent alors inquiets : « Aujourd’hui, on parle de la nouvelle politique salariale équitable. Est-ce qu’ils vont nous régulariser ou nos réclamations vont être jetées aux oubliettes ? Voilà nos inquiétudes. De plus, c’est une grande perte pour nous. Celui qui a reçu cet argent lors du déblocage en juillet 2022 a une longueur d’avance sur nous. » Ils demandent au ministère de la Fonction publique de les régulariser avant la mise en œuvre de la politique salariale équitable.

« Cet acte a été couronné par la régularisation des annales dont les travailleurs bénéficiaient chaque année suite à la notation. Ainsi, les salaires ont légèrement augmenté. Pourtant, un certain nombre de travailleurs, dont du secteur de l’éducation, attend encore pour des raisons non élucidées. Ils s’impatientent, car une attente de 10 mois est longue », relève Antoine Manuma, président de Fédération nationale des syndicats du secteur de l’enseignement et de l’éducation du Burundi (FNASEEB), avant d’enchaîner : « Cette situation semble incompréhensible car tout était prévu dans le budget 2022-2023. Dire qu’on n’arrive pas à identifier un travailleur, c’est qu’il y a un gros problème dans la gestion du personnel. La question des travailleurs du secteur public restants doit être vidée. Nous demandons au gouvernement de respecter chaque fois ses engagements selon les échéances annoncées aux travailleurs. »

Gilbert Nyawakira : « On constate amèrement qu’il y a eu un certain retard dans la mise en œuvre de la politique salariale équitable »

Selon Gilbert Nyawakira, président de la Confédération des syndicats libres du Burundi (CSB), le déblocage administratif et l’avancement fictif des carrières a été une mesure politique qui a quand-même répondu aux souhaits des fonctionnaires. « Néanmoins, nous déplorons qu’il y ait encore quelques fonctionnaires qui ne sont pas encore régularisés administrativement et dont les grades sont encore bloqués ». Ce syndicaliste assure que la non-régularisation n’est pas une volonté du ministère de la Fonction publique : « Nous, nous disons que ce sont les particularités du dossier dues au fait qu’en cours d’emploi, le fonctionnaire aurait passé d’une catégorie à une autre par l’obtention d’une qualification. Il peut y avoir des irrégularités du fait que le fonctionnaire a interrompu sa carrière enseignante. Ainsi, le dossier devient irrégulier et probablement difficile à traiter. » Toutefois, il estime que le ministère de la Fonction publique garde le devoir de régulariser ces fonctionnaires qui revendiquent encore : « On peut dire que c’est une lenteur, mais peut-être aussi la complexité du dossier. J’encourage les agents de la Fonction publique de trouver une solution rapide et concrète. »

M. Nyawakira tranquillise ceux qui s’inquiètent que la régularisation soit mise au placard avec la mise en œuvre de la politique salariale : « Le combat en matière de régularisation est aussi une question de choix et de courage. Il ne faut jamais céder. Quel que soit le retard, le gouvernement obéit et répond généralement à ses obligations. »

Quid de la politique salariale ?

Lors du discours du 60e anniversaire de l’Indépendance du Burundi, le 1er juillet 2022, le président Evariste Ndayishimiye a déclaré : « L’autre élément que nous voudrions porter à votre connaissance, c’est que l’Exécutif vient d’adopter la politique salariale établissant les bases d’une rémunération équitable pour les fonctionnaires de l’Etat. Avec le mois de juillet, cette nouvelle politique va commencer à être mise en application en faveur de tous ceux qui sont concernés par cette question. »

Les fonctionnaires étaient aux anges. Ils se disaient que la parole du chef de l’Etat vaut de l’or. Une année après, les fonctionnaires attendent toujours. Les syndicalistes ont toujours dénoncé la lenteur dans la mise en œuvre de cette politique salariale équitable. D’après eux, la phase transitoire d’ajustement salarial devait durer 4 ans, mais il a été prolongé à 6 ans voire 7 ans.

Le 9 août 2022, l’ex- ministre des Finances, Domitien Ndihokubwayo, a indiqué que le calcul des salaires prend du temps et qu’il doit être fait minutieusement au risque de se « retrouver en train de donner de l’argent qui ne correspond pas à ce qui devrait être donné ». De plus, il a fait savoir que ce n’est pas une maison qui devait faire ce paramétrage car les compétences requises manquent localement pour effectuer ce travail. Cette déclaration du ministre avait hérissé les poils des syndicalistes. Ils y voyaient une manœuvre du gouvernement de ne pas honorer ses engagements.

« On constate amèrement qu’il y a eu un certain retard dans la mise en œuvre de la politique salariale équitable. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais nous disons que vaut mieux tard que jamais. Nous espérons que fin juillet 2023, la mise en œuvre sera effective », confie le président de la CSB.
Ce dernier souligne que les syndicats ont été associés dans tous les organes de l’élaboration de cette politique salariale ainsi que dans l’élaboration des textes de mise en œuvre : « On peut dire qu’il y a eu des efforts du gouvernement. Il y avait des points de discorde sur lesquels on a fini par trouver un consensus. Il y a eu des concessions de part et d’autre, ce qui permettait d’équilibrer les points de vue des uns et des autres. »

Quid des points de discorde qui ont trouvé un consensus ? M. Nyawakira parle premièrement du déblocage administratif et de l’avancement fictif des carrières. « Pour le gouvernement, cela ne devait pas avoir lieu car c’était donner un double salaire aux fonctionnaires. Le gouvernement était aussi contre les annales. Mais on a trouvé un terrain d’entente ». Au niveau de la valeur de la part-emploi, indique-t-il, le gouvernement proposait 26 alors que les représentants syndicaux disaient 45. D’après le président de la CSB, le gouvernement a pris leur avis en considération et la valeur a été fixée à 45. L’autre point de discorde était la prime de performance qui entrait dans la structure salariale. « Pour nous, cette dernière qui est donnée une seule fois par an et qui ne figure pas sur l’accréditif ne devait en aucun cas être un élément qui rentre dans la structure salariale. Elle pouvait être un complément ponctuel du salaire et ne figurant pas dans les éléments constitutifs de la rémunération. Cela a été accepté ».

Antoine Manuma dénonce ce retard : « Aussi longtemps que la mise en œuvre de la politique salariale traîne en longueur, le pouvoir d’achat des travailleurs en général ne cessera pas de se déprécier dans un contexte d’une inflation galopante, une dévaluation de la monnaie, etc. » Pour lui, la politique salariale que le gouvernement prétend mettre en œuvre pendant 10 ans risque de ne pas répondre aux attentes des travailleurs préoccupés par l’amélioration sensible de leurs conditions de vie et de travail.

Pour que cette politique salariale équitable soit bénéfique aux fonctionnaires, estime le syndicaliste, elle doit être accompagnée par la hausse des salaires. « La vraie politique salariale doit prendre en considération les prix sur les marchés afin d’aider les fonctionnaires dans leur vie quotidienne », conclut-il.

Le ministre de la Fonction publique refile la patate chaude aux autres

Dans une correspondance envoyée au Premier ministre, le 19 juin 2023, le ministre de la Fonction publique, Déo Rusengwamihigo, informe que son ministère a organisé, du 16 au 19 mai 2023, une activité visant l’actualisation de la base de données Cotation des emplois de la Fonction publique burundaise à l’intention des chargés des ressources humaines des ministères sectoriels.

D’après le ministre, cette actualisation a été motivée par le fait que la base de données Cotation datait de 2020, « or, depuis cette date, il y a eu des entrants et des sortants dans la Fonction publique burundaise ». Une liste des fonctionnaires et agents civils de l’Etat, ministère par ministère, à placer dans les différents emplois-types a été sortie et donnée aux chargés des ressources humaines des ministères sectoriels. « Considérant le temps qui nous reste pour la bascule de l’ancien système de rémunération vers le nouveau, chaque ministère sectoriel est devant ses responsabilités. » Le ministre Rusengwamihigo met en garde les autres ministères : « Ceux-ci seraient considérés comme fictifs et, par conséquent, ne seront pas rémunérés dans le cadre de la nouvelle politique salariale. »

Les fonctionnaires vont-ils, cette fois-ci, voir le bout du tunnel ? Contacté pour avoir de plus amples informations sur le déblocage administratif et la nouvelle politique salariale équitable, le service chargé de la communication a rechigné à répondre à nos questions.

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