Mardi 25 mars 2025

Société

De la délicatesse dans la gestion des conflits

25/03/2025 0
De la délicatesse dans la gestion des conflits
Aimée Laurentine Kanyana et Pierre Claver Ndayicariye, deux représentants des grands mécanismes de gestion des conflits

La résolution des conflits est un combat que les mécanismes mis en place pour cette tâche au Burundi doivent mener avec prudence et neutralité. Sinon, ils deviennent plutôt une source potentielle des conflits à leur tour. Plus d’un se posent la question de savoir si ces mécanismes mis en place par le gouvernement sont et restent dans leurs lignes directrices de leur mission.

Après la signature de l’Accord d’Arusha le 28 août 2000 qui a sorti le pays d’une crise qui avait duré plusieurs années, des mécanismes pour régler les conflits ont été mis en place par le gouvernement du Burundi notamment la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), l’Institution de l’ombudsman, le conseil national de dialogue social et bien d’autres.

Chaque mécanisme présente régulièrement des rapports d’activités déjà menées. Lors d’une conférence-débat organisée par la CVR le 3 mars 2025, une mise en garde a été lancée par l’ancien président Sylvestre Ntibantunganya contre des mécanismes comme la CVR qui s’éternisent dans leurs missions au risque de démoraliser la population. Mais, pour Pierre-Claver Ndayicariye, son président, la CVR s’éternise dans sa mission pour éviter de laisser des cas non résolus.

La CVR se félicite plutôt du pas déjà franchi dans le processus de réconciliation nationale selon le commissaire de cette commission, Elie Nahimana. Il appuie ses affirmations par des bases posées par le gouvernement burundais d’une société plus inclusive.

Pour l’institution de l’ombudsman, dans son rapport annuel devant l’Assemblée nationale de 2024, elle fait observer une baisse des plaintes enregistrées. Elles sont passées de 1 101 dossiers en 2023 à 525 en 2024. Pour Aimée Laurentine Kanyana, ombudsman burundais, cette baisse s’explique par des démarches de proximité entreprises par l’institution.

Or, certains qualifient cette institution d’inexistante par rapport à sa mission première qui est la médiation entre les citoyens et les administrations publiques.

Une impression d’inefficacité

Thérence Mushano, président de l’association AC- Génocide Cirimoso, trouve que tous les mécanismes mis en place par le gouvernement pour régler les conflits donnent l’impression d’inefficacité en se référant à un message de l’ancien président américain, Obama, qui disait que l’Afrique n’a pas besoin des hommes forts, mais plutôt des institutions fortes.

Térence Mushano:” Les membres de ces institutions devraient être appréciés par les différentes couches de la population”

Il trouve que ces institutions n’ont pas encore satisfait les attentes du peuple burundais. « L’Accord d’Arusha prévoyait que, dans un pays où le contentieux de sang l’a plongé dans la dérive, les membres des institutions soient appréciés par les différentes couches de la population, surtout ceux qui ont été en conflit ouvert. Je ne pense pas que les membres de la CVR sont estimés par les victimes Tutsi et tous les membres de l’ethnie hutu », doute-t-il. Pour lui, la loi mettant en place les membres de la CVR devrait inclure les membres de la communauté internationale et de l’organisation des Nations-unies.

Selon lui, les conflits de grande envergure comme le crime de génocide, les crimes contre l’Humanité et les crimes de guerre sont traités par le Conseil des Nations-unies. Il se pose la question de savoir pourquoi le Burundi n’a pas respecté les recommandations de l’Accord d’Arusha qui prévoyait l’inclusion des membres de la communauté internationale.

Il estime en outre que les membres de cette commission encore en fonction ne rassurent pas tout le monde. Il les qualifie de tendancieux. Il demande que le rapport de feu Monseigneur Louis Nahimana soit exposé aux Burundais. « Nous avons eu le rapport d’étape de la commission présidée par Pierre-Claver Ndayicariye. Mais, les Burundais n’ont jamais eu le rapport sur le travail exécuté par la commission présidée par feu monseigneur Jean Louis Nahimana. Où est ce rapport ? Ne serait-il pas contradictoire avec celui de Pierre-Claver Ndayicariye ? Nous sommes impatients de voir ce rapport pas paraphrasé.»

Le risque que ce rapport soit un secret de polichinelle pour lui est grand. Il doute qu’il n’a pas été jeté à la poubelle parce qu’il pourrait avoir une tendance d’équité.

Pour Mushano, une approche injuste adoptée par les mécanismes de résolution des conflits peut être une source de conflits brutales ou plus brutales.

Concernant l’institution de l’ombudsman, il trouve qu’elle devrait anticiper sur les événements et conseiller le gouvernement : « Dans tous les cas, les Burundais ne sont pas satisfaits du travail de cette institution. »

Il explique que des institutions pareilles ont joué un rôle important en Afrique du sud. Il trouve que chaque peuple a sa culture : « Il n’est pas évident qu’une approche qui a réussi en Afrique du sud puisse réussir au Burundi. »

Sa proposition est que le gouvernement demande au Conseil de sécurité des Nations-unies de mettre en place un Tribunal pénal pour le Burundi parce que seules la justice et la vérité réconcilient.
Dans ces mécanismes, il propose l’inclusion des membres de la communauté internationale : « Des membres avec un esprit d’indépendance et d’équité, mais pas tendancieux. »

Une tâche délicate

Les mécanismes de gestion des conflits sont issus des recommandations de l’Accord d’Arusha pour garantir l’unité selon Gilbert Nyawakira, président de la Confédération des syndicats libres du Burundi. Il estime que ces institutions, telles que l’institution de l’ombudsman et la CVR ont le rôle d’asseoir la justice sociale.

Il estime que, en premier lieu, l’institution de l’ombudsman devrait rendre compte et interpeller les gens qui ne savent pas le rôle important qu’elle joue et doit jouer.

Pour ce qui est de la CVR, de par son nom, elle est appelée à interpréter l’Histoire du Burundi dans toutes ses vérités. Il estime que c’est un mécanisme qui est délicat parce que les missions qu’elle est appelée à mener nécessitent une certaine sagesse et une certaine maîtrise des comportements des gens ainsi qu’une maîtrise des tendances politiques, ethniques.

Il trouve que ceux qui sont appelés à conduire ce mécanisme risquent d’être à parti pris ou impartiaux. N’étant pas mieux indiqué pour juger la CVR, il estime que ce mécanisme a besoin d’un renforcement des capacités tant au niveau national qu’au niveau interne pour mieux pouvoir réconcilier les Burundais, qui, dans leur passé, ont connu des difficultés de cohabitation.

Une maitrise de comment les gens reçoivent leurs messages est donc primordiale. Des messages qui se doivent d’être tranquillisants et réconciliateurs. Des messages qui unissent les Burundais pour dire à jamais les tueries et les tendances génocidaires dictées par des mobiles politiques ou des intérêts personnels.

Il fait remarquer que le Burundi n’a pas connu que des conflits ethniques. Il a aussi connu des conflits régionaux tout comme il peut y avoir eu des conflits religieux. Il suggère que toutes ces tendances soient évitées.

Il encourage ce mécanisme d’aller de l’avant tout en suggérant le renforcement des capacités de ses membres parce que sa mission exige un dépassement de soi et un leadership fort.

Des risques potentiels de conflits

Gilbert Nyawakira:” Les missions de ces mécanismes de gestion des conflits sont très délicates”

Gilbert Nyawakira expose les risques potentiels de conflits dus aux mécanismes eux-mêmes. Il trouve que si un mécanisme comme la CVR expose une vérité à travers son ethnie, sa région ou sa tendance politique, il devient partisan et maître de ce conflit. D’où la nécessité d’un renforcement des capacités de ses membres.

Il trouve aussi que certains membres du mécanisme peuvent avoir perdu des parents en 1972 ou en 1993. Ces membres, risquent alors de s’emporter et de porter un jugement de valeur sur ceux qui ne sont pas de leur ethnie, leur région ou leur tendance politique.

Il juge nécessaire qu’il y ait un autre mécanisme qui épaule ou qui accompagne pour la CVR parce que la réconciliation tant attendue à travers ce mécanisme peut créer de nouveaux conflits qui ne sont pas de nature à ramener la paix ou à rassurer.

CVR

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