Selon la princesse Kamatari, la famille royale est opposée au transfert de la dépouille mortelle du roi Mwambutsa IV, inhumé en Suisse. Le souverain burundais l’aurait expressément demandé dans son testament.
Plusieurs sources confirment que le Burundi a officiellement demandé aux autorités helvétiques de récupérer la dépouille du roi Mwambutsa IV, enterré dans le cimetière de Meyrin (canton de Genève). Selon les dernières informations en notre possession, le transfert de la dépouille du mwami pourrait avoir lieu avant la fin de ce mois. A quelques jours du 50e anniversaire de l’indépendance du Burundi, le Gouvernement du Président Pierre Nkurunziza veut faire de cette inhumation un geste hautement symbolique de réconciliation avec un passé tourmenté. Courant avril, le Gouvernement avait fondé beaucoup d’espoir dans les recherches d’exhumation de Roi Ntare V. Face aux difficultés rencontrées par l’équipe d’experts belges pour retrouver les restes de Ntare sur les hauteurs de Gitega, le Gouvernement se tourne aujourd’hui vers le père de Ntare. Il y a lieu de s’interroger sérieusement sur cette obstination, presque macabre, à vouloir rendre un hommage national aux derniers souverains du Burundi alors que les autorités de ce pays ont aboli la monarchie de manière brutale et ont systématiquement éliminé tous les prétendants au trône. Cet hommage que le Gouvernement de Pierre Nkurunziza souhaite rendre à l’institution monarchique et aux membres de ma famille ne peut pas se faire à n’importe quel prix.
L’oubli de la forme…
Personne n’ignore, à Bujumbura, que dans son testament, Mwambutsa IV s’est fermement opposé à reposer sur les terres de son ancien royaume, en raison de l’ingratitude que lui ont manifesté « ses sujets » durant les dernières années de son règne. Ce pays, qu’il chérissait, l’a non seulement chassé du pouvoir, mais lui a enlevé, dans des circonstances dramatiques, son frère et ses deux fils : Ignace Kamatari, assassiné le 27 mai 1964; Louis Rwagasore, assassiné le 13 octobre 1961 et Ntare V, liquidé le 29 avril 1972 sous le pouvoir de Michel Micombero. De quel droit le Gouvernement de Pierre Nkurunziza s’autorise-t-il aujourd’hui à outrepasser les dernières volontés d’un souverain qui est mort dans la douleur et qui a été trahi par son propre pays ? En tant que membre de la famille royale et descendante directe des familles qui ont forgé l’histoire et l’unité du Burundi, je suis prête à déposer sur la place publique le testament de mon oncle, n’en déplaisent à celles et ceux qui ont, depuis la mort du Souverain, tenté par des petits jeux politiciens à se prévaloir de ce testament pour exister !
L’hypocrisie du fond
Par quelle acrobatie intellectuelle – si ce n’est l’hypocrisie le Gouvernement actuel peut-il sérieusement rendre hommage au Roi, qui (re)devient subitement une figure fédératrice de la Nation, alors que les Baganwa, dont il est le plus illustre représentant, ne figurent même pas dans la Constitution du pays. Rappelons qu’à ce jour, la Loi fondamentale du Burundi organise la gestion de l’Etat autour des trois autres composantes historiques du Burundi, à savoir les Hutu, les Tutsi et les Twa. Puisque cet hommage s’inscrit dans le cadre des travaux de la Commission nationale Vérité et Réconciliation, il est grand temps, pour s’engager dans la voie de la réconciliation, que toutes celles et ceux qui ont contribué à construire le Burundi se retrouvent dans les fondements de la Constitution. Cet oubli est une véritable injustice qui méconnait et viole l’histoire de notre pays. Mais allons plus loin. Si le Gouvernement veut s’engager sur la voie de la « vérité », qu’attend-t-il pour faire la lumière sur l’assassinat de mon père et celui de Ntare. Qu’attend-t-on pour que leurs bourreaux, dont certains sont toujours en vie, soient (enfin) portés devant les tribunaux de notre pays. En réalité, tout indique que le Gouvernement du Burundi cherche manifestement par tous les moyens à tourner définitivement une page sombre de son histoire en se donnant bonne figure, mais en oubliant l’essentiel : rechercher la vérité et rendre grâce à l’Histoire.
Notre détermination est totale
Compte tenu de ces éléments, nous, les héritiers du Prince Ignace Kamatari avons décidé de nous opposer à ce transfert. Nous alerterons les autorités helvétiques, mais aussi marocaines, que cette opération ne respecte en rien les dernières volontés du Souverain. Nous saisirons, s’il le faut, les tribunaux administratifs compétents, tant en Suisse qu’au Burundi, pour empêcher que la mémoire de notre Oncle ne soit récupérée à des fins politiques. Mwambutsa IV, et plus largement l’institution monarchique dont il a été le représentant, méritent davantage de respect, ne serait-ce que parce qu’ils ont assuré la stabilité politique de notre pays pendant des siècles…
Ex top model…
Esther Kamatari est la fille du Prince Ignace Kamatari. Son père était le frère du roi burundais Mwambutsa IV. L’assassinat de son père en 1964 et la chute de la monarchie sont deux événements qui ont déterminé le cours de sa vie. Après une carrière internationale de top model, Esther Kamatari s’est orientée dans l’humanitaire en faveur de son pays, notamment envers les femmes et les orphelins. Auteur du livre [« Princesse des rugo. Mon histoire » (Bayard)->http://www.amazon.fr/Princesse-Rugo-histoire-Esther-Kamatari/dp/2227139145], elle a été choisie par le mouvement Abahuza pour le représenter lors des élections législatives, communales et présidentielles de juillet 2005. Elle est actuellement conseiller municipal à Boulogne-Billancourt, en charge de la solidarité internationale. Tout récemment, elle parrainait, aux côtés du Président Abdou Diouf, une soirée de gala au profit d’un centre multimédia pour les femmes de Rutana.}
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