Vendredi 27 décembre 2024

Politique

CVR : Pourquoi 1885?

05/11/2018 Commentaires fermés sur CVR : Pourquoi 1885?
CVR : Pourquoi 1885?
Aimée-Laurentine Kanyana : «La CVR couvre une période durant laquelle le Burundi n’avait pas d’institutions crédibles.»

Le projet de loi portant modification de la loi sur la CVR a été adopté, jeudi 25 octobre, à l’Assemblée nationale. Elle prévoit l’extension des missions de cette commission. Ce qui a suscité un débat houleux.

Réalisé par Edouard Nkurunziza et Egide Nikiza

Les enquêtes de la CVR devront désormais porter sur une période qui va de 1885, date de la tenue de la conférence de Berlin sur le partage de l’Afrique, jusqu’au 4 décembre 2008, marquant la fin des hostilités.
Exposant les motifs de ce projet au Palais des Congrès de Kigobe, Aimée-Laurentine Kanyana, ministre de la Justice, a indiqué que le gouvernement a pris en compte les recommandations des élus du peuple. Les deux chambres du Parlement, réunies en congrès le 10 octobre, avaient suggéré que les enquêtes de cette commission couvrent également la période coloniale.

Certains députés ont réclamé que cette extension porte également sur les évènements de 2015. Pourquoi, s‘interroge Simon Bizimungu, priverait-on la vérité aux Burundais qui veulent savoir ce qui s’est passé après 2008 en vue d’une réconciliation réussie?

Le député Fabien Banciryanino abondera dans le même sens. Il déplore que la période d’après 2008 soit ignorée alors qu’elle est aussi jalonnée par des crises. «Des crimes se commettent même de nos jours».

Pour M. Banciryanino, le gouvernement n’a pas considéré les avis des représentants du peuple. «Les parlementaires avaient pourtant non seulement insisté sur les enquêtes qui couvriraient la période coloniale mais aussi celle d’après 2008».

Rapport régulier au bout d’une année

Des inquiétudes que balaie du revers de la main la ministre Kanyana. La période considérée, selon elle, tient compte de la période durant laquelle le Burundi n’avait pas d’institutions crédibles. Elle est en plus liée au contexte socio-sécuritaire d’alors. «Nous avons dès 2005 des institutions démocratiquement élues qui tranchent les différends de la population».

Pour la ministre Kanyana, enquêter sur cette période serait mettre en cause ces institutions, pourtant en exercice. «Nous serions en train de nous remettre en question».

Loin d’être convaincu, le député Banciryanino ne mâchera pas ses mots : «Ces propos du ministre sont comme ceux qui étaient tenus sous le régime Micombero». L’opinion garde du président Micombero, qui a inauguré la République, le 28 novembre 1966, le souvenir d’un chef d’Etat autoritaire.

«La ministre sait très bien que son ministère connaît maintes difficultés», soutient-il, ajoutant que «la présence d’institutions élues n’implique pas nécessairement l’existence d’une justice pour tous».

Ces propos pousseront Pascal Nyabenda, président de l’Assemblée nationale, à durcir le ton et l’hémicycle sera plus agité. «Les crimes qui se commettent alors qu’il y a des organes judiciaires doivent être punis au niveau de la justice. Si tu n’es pas confiant en la justice, je ne sais pas alors à qui tu t’en remettras». Pour lui, la justice transitionnelle ne peut pas couvrir la période post-conflit. Le projet sera adopté à 98 députés sur 100 présents.

Entre autres amendements apportés à ce projet de loi, le mandat de la CVR est de 4 ans renouvelable sur proposition du Parlement. Celui-ci assurera le contrôle des activités de cette commission. Celle-ci devra notamment présenter des rapports au bout de chaque année.

Analyse/ Le sanglot du pouvoir

Cette extension de la période sur laquelle porteront les enquêtes de la CVR constitue une ingérence du politique sur le travail de cette commission dont le but ultime est la réconciliation des Burundais. Et ce, après avoir fait la lumière sur les séquences tragiques de l’histoire du Burundi post-coloniale. Qui a fait quoi ? A qui ? Et quand ? Cet élargissement du champ des investigations de la CVR, au demeurant un souhait légitime pour une connaissance approfondie du Burundi colonial, n’a pas été décidé in tempore non supsecto. Le Royaume de Belgique, ex-puissance coloniale, risque ainsi d’être sur le banc des accusés. Son crime ? Avoir inoculé le venin du démon ethnique à l’œuvre dans les pages les plus sombres du Burundi postcolonial. Bujumbura s’en trouvera-t-il alors fondé à demander des réparations au pays de Manneken-Pis ? Le sanglot de l’homme noir, un essai de l’écrivain congolais Alain Mabouckou, résume ce qui est à l’œuvre : « La tendance qui pousse certains Africains à expliquer les malheurs du continent noir à travers le prisme de la rencontre avec l’Europe. » En l’occurrence, cette litanie est au service de la rhétorique officielle des détenteurs du pouvoir, depuis l’éclatement de la crise d’avril 2015. Le pays n’est pas en crise, mais ferait l’objet de convoitise de certaines puissances occidentales - la capitale de l’Europe comme fer de lance du « néocolonialisme » -, nostalgiques d’un temps révolu.
CVR

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Réactions

Aloys Batungwanayo : « Il faut des ressources humaines compétentes » Le président de l'Association pour la Mémoire et la Protection de l'Humanité contre les Crimes Internationaux Gira Ubuntu (AMEPCI) se dit satisfait que la CVR soit reconduite et que ses missions soient étendues. « Les témoins physiques, il n'y en aura pas, mais les archives, il n'y en a. Le problème, c'est de pouvoir trouver des ressources humaines qui ont des compétences requises pour creuser dans les archives et aller les trouver partout où elles sont conservées ». Térence Mushano : « Le Burundi doit coopérer notamment avec la Belgique » « C'est une fuite en avant, l'on ne veut pas que les Burundais sachent la vérité le plus tôt possible sur ce qui a emporté les leurs », indique Térence Mushano, président de l'Association contre le génocide (AC génocide Cirimoso). Il appelle plutôt le gouvernement à coopérer avec la Belgique, l'Allemagne et l'Onu pour avoir accès aux archives. Celles-ci leur permettront de trouver des preuves sur les crimes commis pendant la période coloniale. Olivier Nkurunziza : «Elle permettra de connaître la vérité sur l’assassinat du prince Louis Rwagasore»  Le secrétaire général du parti Uprona salue l’extension de la période sur laquelle porteront les enquêtes de la CVR. Il parle de la nécessité de découvrir les mobiles de l’assassinat du prince Louis Rwagasore. «On avait du mal à comprendre pourquoi l’on commençait à partir de 1962, alors qu’on l’avait assassiné avant». En plus, les divisions ethniques et politiques plongeraient leurs racines dans les années 1930. Les Belges ont détruit le tissu social. Ils favorisaient les Tutsi dans l’administration, pour l’accès à l’école. Le roi Mwambutsa refusait toutes ces divisions. «On peut en tirer ce qui a poussé les Burundais à se sentir Hutu et Tutsi». Néanmoins, M. Olivier craint que les documents ne soient pas disponibles. «Arriver en 1800, peut-être, on pourrait ne pas avoir des documents écrits, ce sera très difficile». Mais si la commission pouvait en avoir, cela pourrait aider les Burundais à connaître la Vérité. Phénias Nigaba : «Les membres sont soumis au pouvoir» Au sein du Frodebu, l’on doute que la commission soit à la hauteur de ses responsabilités. Pour Phénias Nigaba, secrétaire exécutif, il fallait que la CVR s’acquitte de sa mission conformément à son premier mandat. « Si elle n’en a pas été capable, en sera-t-il autrement maintenant qu’elle devra enquêter sur une période qu’elle ne maîtrise pas ?». Il remet en cause son indépendance : « Elle travaille sous les ordres du pouvoir. » C’est celui-ci qui donne à ses membres des salaires. «Quand ils disent qu’ils n’ont pas de moyens, ils réclament des rémunérations car, sur le terrain, après 4 ans, le constat est que rien n’a été fait». En plus du manque de moyens pour les enquêtes, il ajoute le manque des archives. Ceux qui devaient les mettre à la disposition de la CVR, notamment la Belgique, sont aujourd’hui à couteaux-tirés avec Bujumbura. Le moment n’est pas opportun pour ce genre d’enquêtes.

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