Depuis un certain temps, les Burundais attendent la mise en place de la Commission Vérité Réconciliation (CVR). Son projet de loi est au niveau de l’Assemblée nationale pour analyse et adoption. La population de la commune Matongo, province Kayanza parle à son élu sur les avancées de ce processus.
En face de la route Bujumbura-Kayanza, à 71 km, un centre. Des boutiques, des restaurants, des maisons d’habitations,…. bordent cette route goudronnée. La majorité des maisons sont couvertes de tuiles. Alimenté en électricité, très animé, l’activité commerciale se développe. Des vendeurs de fruits sont nombreux. Il est 14 h.
Quid de l’avancement du projet de loi sur la CVR ? Anicet Ndayizeye, député élu dans la province de Kayanza rassure : « Il est en train d’être étudié par la commission permanente chargée de la justice et des droits de l’homme ». Il ajoute que les députés suivent de près le déroulement des activités. Les membres de cette commission ont bénéficié des formations, effectué des voyages d’études en Afrique du sud, rencontré des membres des commissions des autres pays comme la Sierra Léone, Ghana, le Togo…. Objectif : acquérir des connaissances afin de mieux analyser ce projet de loi.
Des contributions de la société civile burundaise, des organisations internationales, des politiciens… ont été prises en compte dans l’élaboration dudit projet. « Très récemment, la ministre en charge des droits de l’Homme s’est présentée devant les députés pour répondre à certaines questions en rapport », indique-t-il en guise d’introduction.
« La CVR a pris du retard »
Sous couvert d’anonymat, un habitant de Matongo indique que le temps que le projet de loi sur la CVR vient de passer dans les mains de l’Assemblée nationale est très long. Or, se rappelle-t-il, parmi les priorités du gouvernement, cette question de justice transitionnelle faisait partie. Il signale que ledit projet de loi comporte des sujets importants. Par exemple la question de protection des témoins. « Comment est-ce qu’une victime pourra témoigner contre son voisin qui jouit d’une immunité avec tous les pouvoirs ? », s’interroge-t-il tout en précisant que personnellement, il aurait peur de le faire.
La CVR résulte d’Arusha
Donnant la lumière aux inquiétudes soulevées, Anicet Ndayizeye rappelle que la mise en place de la CVR a été convenue à Arusha en 2000. Concernant le retard, il signale que la guerre ne s’est définitivement arrêtée que vers 2008 et d’autres contretemps n’ont pas manqué. Le député Ndayizeye précise que les mécanismes de justice transitionnelle ne concernent pas le parti Cndd-Fdd : « Leur mise en place requiert un consensus entre Burundais et surtout ceux qui représentent les autres au Parlement et dans les partis politiques. Il y a des questions qui n’ont pas encore trouvé de compromis ». Se réjouissant que la réconciliation entre Burundais a déjà commencé, il précise que dès qu’il y a un consensus, la loi sera votée.
Avec une Constitution permettant à toutes les ethnies de se rencontrer dans un seul gouvernement, souligne-t-il, la réconciliation était enclenchée. Et de nuancer: « Cette commission ne viendra pas résoudre tous les problèmes. Ce qui signifie qu’il faut y aller lentement et sûrement tout en mettant en avant le consensus ».
Devant la population de Matongo, Anicet Ndayizeye promet que les députés sont à l’œuvre, tout en signalant que le consensus des politiciens est une nécessité : « Ce qui nous permettra d’avancer ». Tout en se gardant de préciser la date de la mise en place de cette loi, il affirme que la protection des témoins doit être mise dans cette loi. Au contraire, estime-t-il, « personne ne va témoigner ». Pour les biens spoliés, il indique qu’une Commission nationale des terres et autres biens (CNTB) est à l’œuvre. Et de préciser : « personne ne pourra pas refuser de répondre devant la CVR sous prétexte d’une immunité ».
Sans la CVR, la criminalité gagne du terrain
« Les malfaiteurs continuent à commettre les forfaits parce que la Commission vérité réconciliation (CVR) n’a pas encore fonctionné. Dans les radios, on entend des morts partout et les auteurs ne sont pas connus ou punis et l’impunité s’installe », indique Biseko un habitant de Matongo, province Kayanza. Reconnaissant que la paix est revenue dans le pays, il signale que le mal gagne du terrain parce que les coupables des crimes ne sont pas encore connus et punis. Même constat pour Félix Nizigiyimana, un autre habitat de Matongo. Il souligne que suite au retard enregistré dans la mise en place de la CVR, parmi les dirigeants, certains ont trempé dans la criminalité, dans les pillages, etc. Ils ont joué d’une façon ou d’une autre un rôle dans les crises qui ont endeuillé le pays. Très dommage selon lui.
A Matongo, la présence des étrangers dans la CVR divise
Félix Nizigiyimana propose qu’il y ait des étrangers dans cette commission. Il donne l’exemple de la tradition burundaise : « Quand il y a une mésentente entre deux personnes, les deux ne pouvaient pas se faire justice. On devait chercher une autre personne pour les réconcilier ». Il souligne que les étrangers sont expérimentés en matière de justice transitionnelle. Le Burundi a besoin de plus 50% de l’aide extérieure pour avoir son budget. Ce qui signifie que leur présence reste une nécessité. « Pas question des étrangers dans la CVR », rétorque Mathieu Bazira, quarantaine, un habitant de Matongo. Pour lui, « comme les crimes ont été commis par des Burundais contre des Burundais, la réconciliation se fera entre eux ». Et selon le député Anicet Ndayizeye, entre le Burundi et l’étranger, c’est l’entraide : « On est en train d’étudier ceux qui composeront la CVR, on verra ce qui est valable pour notre pays ».
Quid du tribunal spécial ?
« Si la commission travaille sans le tribunal spécial, les auteurs des crimes risquent de se moquer des victimes », indique Félix Nizigiyimana. Il s’interroge : « Est-ce que les dirigeants d’hier ou ceux d’aujourd’hui qui ont une influence politique n’ont pas peur de la Commission Vérité Réconciliation (CVR) ? Par le fait que le parlement est composé en grande partie par les députés du Cndd-Fdd, est-ce que ces derniers ne risquent pas de voter une loi qui les favorise ? » Concernant le tribunal, le député Anicet Ndayizeye estime que ce n’est pas le tribunal qui conduira à la réconciliation mais « les cœurs des Burundais prêts à pardonner pour mieux préparer l’avenir ». Concernant les réparations, il souligne que cela peut être symbolique ou financière.
« La mise en place de la CVR ne signifie pas la fin des crimes »
« Même si la CVR est mise en place, rien ne dit que les crimes vont s’arrêter. (…) Le mal a été commis. Il se commettra pendant et après le travail de la CVR », désillusionne Honorable Anicet Ndayizeye ceux qui pensent que la CVR mettra fin à la criminalité. Il indique que la justice doit continuer à faire son travail : « Tout criminel doit être poursuivi et puni selon le code pénal burundais en vigueur. On ne peut pas attendre cette commission pour punir es crimes commis au quotidien ».
Tout en affirmant que la paix et la sécurité règnent au Burundi, il reconnaît cependant que cela n’exclut pas que les malfaiteurs continuent à commettre des forfaits, des vols,… Ce qui est urgent, c’est demander aux agents de sécurité et à la justice de se mettre au boulot pour arrêter ces crimes.