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Croissance démographique et pression foncière au Burundi

05/05/2013 Commentaires fermés sur Croissance démographique et pression foncière au Burundi

Le lit des Burundais est fécond. La démographie galopante est la hantise de tous les économistes. Le professeur Evariste Ngayimpenda, démographe, analyse le problème que certains analystes considèrent comme une véritable bombe.

<doc6641|right>La population du Burundi est aujourd’hui estimée à près de 8 600 000 habitants sur 25 949.5 km² de terres émergées. De 155 habitants au km² en 1979, la densité moyenne est passée à 204 en 1990 et à environ 310 habitants au km² en 2008. Sur la période intercensitaire (1990-2008), elle a augmenté annuellement en moyenne de 2,4 %, les communes ayant accueilli un grand nombre de rapatriés ou d’immigrants comme Mpanda, Mutimbuzi, Rumonge, Nyanza-Lac, Kibago, Giteranyi, Giharo ayant plus que doublé leur population. A ce rythme, la population burundaise pourrait atteindre  les 15 000 000 en 2035, avec une densité moyenne de l’ordre de 540 habitants au km². Dans cette hypothèse, compte tenu du faible niveau de productivité de l’économie du pays, on s’exposerait à coup sûr à un risque de catastrophe humanitaire.

La distribution de cette densité oppose les régions centrales et septentrionales du pays fortement peuplées aux régions du Sud et de l’Est qui le sont moins. Sur les 16 provinces rurales que compte le pays, 4 d’entre elles1 ont des densités supérieures à 400 habitants au km2, alors que 3 autres2 ont moins de 200 habitants au km2. Dans certaines communes du centre nord, la densité dépasse 500 habitants au km², voire 650 habitants autour de la capitale.

Du fait de son comportement nataliste et de son faible taux de contraception (15%), cette population est caractérisée par un niveau de fécondité élevé avec en moyenne six enfants par femme. De ce fait, la structure de cette population reste très jeune, avec une proportion des moins de 15 ans estimée à 45.3% du total et un âge médian de 16.5 ans.

Depuis les années 1950, la gestion de la question démographique s’est toujours limitée à une politique « d’équirépartition » de la population à travers un transfert de populations des régions surpeuplées vers des régions de l’Est et de l’Ouest moins peuplées, notamment dans le cadre des paysannats. Cependant, en raison de la faiblesse relative du nombre d’émigrants, le désengorgement des régions surpeuplées est resté très limité. De plus, du fait de leur caractère rural, ces migrations sont faiblement génératrices de richesses en ce sens qu’elles ne concernent que des paysans sans terre ni capital financier ou humain.

Historiquement, l’urbanisation constitue la meilleure réponse au défi démographique. Or, bien que densément peuplé, le Burundi n’a qu’un taux d’urbanisation de l’ordre de 11%. En outre, le réseau urbain est fort déséquilibré en ce sens qu’à elle seule, la ville de Bujumbura représente environ 75% de la population urbaine totale alors qu’elle est excentrée et n’a donc qu’un faible rayonnement sur le reste du pays. Les autres centres urbains connaissent un volume insignifiant d’activités, n’attirant guère d’investissements.

Du fait que cette population reste rurale et agricole à près de 90%, il en résulte une forte pression foncière qui entraîne la mise en culture des terres marginales et donc la mise en péril des équilibres environnementaux. La superficie des exploitations diminue d’année en année: la taille moyenne des exploitations agricoles par ménage qui était de 1,04 ha en 1973 est tombée à 0,70 ha en 1989 pour passer à près de 0,50 ha3 aujourd’hui. Dans certaines communes surpeuplées du pays, le lopin de terre est à ce point devenu indivisible qu’entre frères, on en vient à une exploitation alternée de la terre.

En outre, une enquête effectuée par le PAM en décembre 2008 a établi que sur les 95.2% des chefs de ménages ayant accès à la terre, 21.3% n’avaient que 25 ares ou moins, cette proportion étant plus élevée dans certaines provinces comme Kayanza ( 40.6%), Ngozi (39.3%) et Bujumbura Rural (31.8%) que dans d’autres ; 4.8% des ménages, représentant 63.900 ménages étaient sans terre4.

Les femmes restent dans l’ensemble défavorisées en termes d’accès à la terre : en effet ; sur les 21.3% de chefs de ménages disposant de 25 ares ou moins, les femmes étaient en proportion bien supérieure (33%) à celle des hommes (18%). Il en va de même de trois catégories de la population qui comptent une proportion non négligeable de sans terre : il s’agit des orphelins, des Batwa et des rapatriés.

L’atomisation des terres est en partie responsable de la faible performance du secteur agricole et est génératrice de conflits sociaux. Il est symptomatique que malgré l’ampleur des crimes de sang, les conflits fonciers représentent aujourd’hui, selon les sources, près de 70 à 80% des causes reçues en justice. Qu’il nous suffise, de rappeler que rien qu’entre 2007 et 2010, la Commission Nationale Terres et Autres Biens a enregistré 5.451 litiges fonciers. De même, sur base d’une enquête nationale réalisée sur toutes les collines et selon une typologie différente, le CED5 – Caritas a recensé au total 33 764 conflits fonciers et dont la distribution géographique dégage principalement deux ressorts : d’une part un lien avec les revendications des rapatriés qui explique que la province de Bururi arrive en tête (41.5%), et de l’autre la pression démographique qui justifie qu’à elles seules , les deux provinces de Ngozi (9.8% et Kayanza (6.9%) cumulent 17.7 % des conflits.

La typologie de ces conflits montre que 8.8% d’entre eux concernent directement la femme sous forme de conflits d’héritage liés à des unions polygamiques (5.9%) ou de contestations de succession liées aux relations de genres (2.9%)6. Il en va de même des orphelins : l’enquête du CED-Caritas a établi que 3.8% des 33 764 conflits qu’elle a recensés étaient liés à l’occupation des parcelles d’orphelins par des parentés.

L’atomisation des terres limite aussi les possibilités de modernisation des exploitations et explique partiellement les faibles capacités d’exportation de l’économie agricole. Elle entraîne également une surexploitation des parcelles génératrice d’un appauvrissement des terres résultant de l’érosion et de l’impossibilité d’appliquer les techniques culturales comme la jachère et la rotation, mais également du très faible accès des agriculteurs aux engrais organiques ou chimiques.

Le morcellement excessif des terres est enfin responsable du sous-emploi qui prévaut en milieu rural. Le mouvement de plus en plus important des jeunes ruraux vers les milieux urbains, de même que le regain d’intérêt pour les petites activités artisanales souvent informelles, témoigne de cet état de sous-emploi dans les campagnes et de la faible rentabilité du secteur agricole.

Le fragile équilibre entre croissance démographique et croissance de la production agricole qu’on était parvenu à conserver s’est brutalement rompu depuis le déclenchement de la crise en octobre 1993. Le niveau actuel de production vivrière ne permet plus à l’offre alimentaire de suivre le rythme d’accroissement démographique. Si l’adoption des cultures à forte capacité de bourrage mais à faible potentiel nutritif permet de résister à la sous-nutrition, elle ne contribue pas moins à aggraver la malnutrition.

En 1982, la superficie agricole utilisée était de 792.510 hectares sur 1.674.810 hectares de superficie agricole utile. Si on compare la situation de 2007 à celle de 1982, on constate que la production agricole globale a augmenté de 24% contre 45% pour la population. Conséquemment, la production annuelle brute en vivres par habitant a baissé de 26%. En conséquence, près de 85% des ménages font quotidiennement face à une insécurité alimentaire. Le taux de malnutrition aiguë est supérieur à 10% et l’apport calorique journalier par habitant se trouve bien en deçà des normes requises (1.650 calories contre 2.250 recommandées)7.

Les spécialistes estiment qu’environs 68% des Burundais seraient aujourd’hui au seuil de l’insécurité alimentaire : en effet, les résultats de la même enquête du PAM révèlent que 34% de la population souffrent d’une vulnérabilité extrême en ce sens qu’ils consomment moins de 1400 kilocalories par jour ; de même que la malnutrition chronique concernait 52.7% des enfants de moins de cinq ans, 8.4% étant dans une situation de malnutrition aiguë.

La précarité alimentaire et nutritionnelle résultant de la raréfaction des terres a d’évidentes retombées sur le développement : elle se traduit par un regain des niveaux de morbi-mortalité et de retour de certaines endémies qu’on était parvenu à maîtriser. Outre le relèvement du niveau de mortalité générale et infanto-juvénile, la sous-alimentation affecte la santé des adultes mais plus encore celle des enfants. Enfin, la persistance des états morbides entraîne des dépenses de santé élevées, tandis que l’insécurité alimentaire structurelle détourne les énergies novatrices vers des préoccupations existentielles plus immédiates, et contribue pour ainsi dire à l’anéantissement du capital humain.

L’autre conséquence et non des moindres, est l’épuisement du capital forestier : les ressources forestières et agro-forestières occupaient près de 211.000 ha (8 % du territoire national) en 1992. Le Burundi ne dispose plus aujourd’hui que de 133 500 ha et le sous-secteur forestier et agro forestier contribue pour environ 2 % du PIB , fournit 6 % d’emplois et 95,4 % de l’énergie nationale consommée. En effet, depuis l’éclatement de cette crise, les végétations naturelles et forestières régressent : de 1990 à 2004, la surface boisée a fortement diminué, passant de 8.2% à 6.23% de la surface émergée et le rythme de déboisement est aujourd’hui estimé à 2% l’an8.
_________
1 {A savoir Ngozi, Kayanza, Bujumbura, Gitega, Kirundo, Muramvya et Mwaro}
2 {A savoir : Cankuzo, Rutana, Ruyigi, Bururi et Makamba}
3 {Estimation du Département de l’Aménagement du Territoire}
4 {WFP, "Food Security Analysis. Comprehensive Food Security and Vulnerability Analysis" – Burundi, December 2008}
5 {Conseil pour l’Education et le Développement}
6 {UNOPS-PNUD, op. cit., p. 40}
7 {On consultera à ce sujet la "Stratégie Nationale Agricole"}
8 {Stratégie Nationale Agricole}, 2007-2012.

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