Mardi 25 février 2025

Politique

Crise régionale : où est l’EALA ?

25/02/2025 0
Crise régionale : où est l’EALA ?
L’EALA est aujourd’hui paralysée par une crise de trésorerie en son sein.

Au moment où la République démocratique du Congo (RDC) est en proie à un conflit majeur impliquant plusieurs acteurs régionaux, l’Assemblée législative de l’Afrique de l’est (EALA) est aux abonnés absents. Considérée comme moteur d’intégration et de gouvernance régionale, cette institution se trouve aujourd’hui à l’épreuve d’une crise de trésorerie. Cela l’a déjà contrainte à suspendre temporairement ses activités. À l’heure où les pays membres concentrent leurs efforts à la résolution de ce conflit, l’EALA ne risque-t-elle pas de demeurer une « coquille vide » comme la plupart des organisations internationales africaines ? Analyse

C’est un secret de Polichinelle. L’Assemblée législative de l’Afrique de l’Est, censée être un moteur d’intégration et de gouvernance régionales, est aujourd’hui paralysée par une crise de trésorerie en son sein. Ses activités pour le premier semestre de l’année 2025 sont de nouveau suspendues. Un communiqué daté du 7 février 2025 annonce le « report temporaire des activités de l’EALA en raison de défis de financement » et précise que cette décision a été prise « lors d’une séance de la Commission et des présidents des comités de l’EALA tenue le 6 février 2025, pour examiner le calendrier de l’Assemblée ».

Cette situation entraîne un couac au sein de l’Assemblée. Dans un communiqué de presse sorti le 10 février 2025, Joseph Ntakarutimana, actuel président de l’EALA, semble cacher cette hémorragie. « Je tiens à préciser à l’ensemble des populations de la Communauté d’Afrique de l’est qu’aucune activité de l’EALA n’a été reportée malgré les défis financiers auxquels fait face la Communauté ». Pourtant, il indique que les hauts responsables de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) sont saisis de la question et des consultations sont déjà entamées en vue de trouver une issue rapide.

Et de renchérir d’ailleurs que « l’EALA reste attachée à sa mission d’atteindre l’ordre du jour d’intégration régionale par le biais de la législation, de la surveillance et de la représentation continues de la population de l’Afrique de l’Est pour favoriser l’intégration économique, sociale, culturelle et politique ».

L’EALA : une institution paralysée face à une crise régionale

Des réfugiés de guerre en RDC continuent de franchir la frontière burundaise

En vertu de l’article 49 du Traité mettant en place l’EAC, l’EALA est un organe législatif. Bref, la mission de l’EALA est de légiférer sur les questions régionales, d’encourager l’harmonisation des politiques et de promouvoir la paix et la stabilité.

Or, dans un contexte de la guerre en RDC, avec « le risque d’un embrassement régional », l’EALA reste aux abonnés absents. Alors qu’elle vient de suspendre temporairement ses activités, même les députés de cette institution ne savent plus à quel saint se vouer. « On avait discuté sur une possible implication de l’institution dans cette crise, mais les moyens financiers ne nous le permettent pas. Nous sommes en chômage. Certains ont même proposé à ce qu’on aille au moins à la rencontre des réfugiés avec nos propres moyens, mais le message n’est pas passé clairement », confie une source à l’EALA.

Selon cette source, les cercles concentriques de cette hémorragie financière de l’Assemblée restent les mêmes. Certains États, révèle-t-elle, notamment le Burundi, la RDC et le Soudan du Sud figurent parmi les principaux retardataires dans le paiement de leurs contributions. Ce qui plombe les activités de l’Assemblée. « Le Burundi enregistre par exemple des arriérés allant environ à 20 millions de dollars alors que la RDC, depuis son entrée dans la Communauté, n’a contribué qu’un million de dollars », lâche tristement une autre source à l’Assemblée.

Ce dysfonctionnement met en lumière un problème plus vaste et peut-être consubstantiel à l’Afrique. De nombreuses organisations internationales africaines, bien qu’ambitieuses sur le papier, manquent de moyens et de volonté politique pour jouer pleinement leur rôle. À l’heure où la République démocratique du Congo (RDC) est plongée dans un conflit majeur impliquant plusieurs acteurs régionaux, l’inaction de l’EALA illustre le vide institutionnel qui caractérise plusieurs structures africaines. Ces institutions, conçues pour favoriser l’intégration et la stabilité du continent, se retrouvent souvent incapables d’agir lorsque leur intervention est la plus nécessaire.

Le problème de liquidités n’est pas nouveau pour cette Assemblée. De par le passé, une paralysie financière a déjà contraint l’EALA à suspendre ses sessions législatives et d’autres activités essentielles. Mais, si la région des Grands lacs est aujourd’hui en ébullition, les Etats membres devaient doubler leurs efforts pour permettre l’exercice du rôle central de l’EALA dans le conflit à l’est de la RDC. Celui de faciliter les discussions entre les parties prenantes, promouvoir des résolutions de paix et exercer une pression politique sur les gouvernements impliqués. Il reste à savoir si les Etats membres, dont leur préoccupation est visiblement centrée sur ce conflit, vont régulariser leurs arriérés en vue de permettre la reprise des activités de cette Assemblée.

Cette crise budgétaire révèle par ailleurs plusieurs failles structurelles de taille. À titre d’exemple, cette dépendance de l’EALA aux États membres la prive de ressources propres. Ce qui la rend vulnérable aux caprices des gouvernements nationaux. Ensuite, disposant d’un faible pouvoir de coercition, l’EALA n’a pas la capacité d’imposer des décisions contraignantes aux États membres réduisant ainsi son influence à des résolutions non contraignantes. Un manque de volonté politique fait enfin que les États membres utilisent souvent l’institution comme une vitrine symbolique plutôt que comme un instrument de gouvernance effective.

Des institutions africaines fragiles et inefficaces

L’EALA n’est pas un cas isolé. Plusieurs organisations africaines souffrent du même mal. Des structures créées pour renforcer l’intégration régionale, mais qui, faute de moyens et de volonté politique, restent largement inefficaces. Des exemples sont légion. Plusieurs observateurs critiquent l’Union africaine, la considérant comme un géant aux pieds d’argile.

Pour justifier leur position, ils montrent d’abord qu’une dépendance aux financements étrangers réduit son indépendance et sa marge de manœuvre. Ils évoquent également son incapacité à imposer ses décisions. L’UA n’a pas les moyens coercitifs pour faire respecter ses résolutions. Ce qui la rend souvent inefficace face aux crises (Soudan, Libye, Sahel, RDC). Enfin, ils soulignent un dysfonctionnement bureaucratique, c’est-à-dire trop d’organes décisionnels avec des compétences mal définies. Ce qui ralentit les processus d’action.

Pour rappel, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a tenté récemment de réagir face à la résurgence des coups d’État au Mali, en Guinée et au Niger, en imposant des sanctions. Toutefois, ces mesures ont eu peu d’effet concret et ont souvent aggravé la situation économique des populations sans véritablement contraindre les dirigeants militaires.

Ce sont les mêmes maux dont souffrent la SADC et la CEEAC. Qualifiées d’« organisations en retrait », leur rôle dans la résolution des conflits internes (Mozambique, RDC, Tchad) reste limité, malgré des mandats clairs en matière de paix et de sécurité.

D’ailleurs, la Communauté de Développement de l’Afrique australe (SADC) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) sont souvent absentes des grandes crises qui secouent leurs régions respectives, faute de moyens ou de volonté politique.

L’histoire de l’intégration régionale dans les Grands lacs est récente. Il convient toutefois de rester mesuré, puisque celle-ci est avant tout une intégration de papier. Avec le silence et l’inefficacité des organisations régionales face aux problèmes contemporains dans la région, la situation risque de s’enliser. Certains observateurs craignent d’ailleurs le risque d’une désintégration.

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