Vendredi 28 février 2025

Politique

Crise humanitaire : Des vies en danger

Crise humanitaire : Des vies en danger
Le stade de Rugombo est plein de réfugiés congolais

Selon le Haut-Commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (HCR) au Burundi, c’est la première fois qu’on voit une crise humanitaire de cette ampleur depuis plus de 20 ans. Le 26 février 2025, le bilan était de 47 632 réfugiés congolais qui sont arrivés sur le sol burundais. A Cibitoke, on enregistre déjà des morts. Le HCR estime qu’une réponse immédiate s’impose, car la situation humanitaire se détériore rapidement au Burundi avec une augmentation des arrivées quotidiennes.

« Jusqu’à aujourd’hui, nous avons déjà enregistré cinq morts, dont quatre enfants et un adulte. Ce qui est tellement déplorable », a indiqué Firmin Habumuremyi, secrétaire permanent de l’administrateur communal de Rugombo.

Dans un entretien accordé à Iwacu le mardi 25 février 2025, il a précisé que d’après les tests médicaux, ces enfants sont morts de la rougeole. Il souligne que la situation dans laquelle se trouvent ces réfugiés peut aussi être la source des maladies et des morts. « Vraiment, être réfugié est un malheur. En effet, quand les gens fuient en masse, ils rencontrent beaucoup de difficultés : la fatigue, le stress, le traumatisme, etc. Beaucoup d’enfants sont arrivés très fatigués, épuisés, affamés, malades. C’est vraiment très triste. »

Dans les lieux d’accueil comme le stade de Rugombo, les salles de classe, les conditions hygiéniques sont déplorables. « C’est vraiment très difficile d’avoir des toilettes suffisantes pour plus de 20 mille personnes. Or, c’est normal que quand on a mangé, on ait besoin par après d’un endroit pour se soulager. »

Des toilettes improvisées

Sur le terrain, la réalité est cauchemardesque. Au niveau du stade de Rugombo où est rassemblée la majorité des réfugiés, c’est une vie en promiscuité. Pas d’espaces inoccupés. Certains réfugiés ont des tentes, d’autres s’abritent dans un petit hangar. Le soleil est tellement accablant.

Sur les lieux, il faut être prudent pour ne pas poser le pied dans un tas de défécations humaines, surtout près des murs servant de clôtures. Quand le vent souffle, une odeur nauséabonde envahit cet endroit désormais bondé de monde. Des enfants jouent comme si de rien n’était. D’autres crient pour demander de la nourriture sous les yeux impuissants de leurs parents.

A côté du manque de nourriture, ils déplorent les conditions hygiéniques. « On vit comme des animaux. Il n’y a plus d’intimité. Le pire, c’est de manquer de WC. Ils ont installé des toilettes mobiles, mais elles sont insuffisantes et se remplissent très vite. Ce qui est encore frustrant, elles ne sont pas rapidement vidées. Ce qui rend l’endroit invivable », se lamente une réfugiée rencontrée sur place. Elle affirme que pendant la nuit, les gens se soulagent tout près des murs. « En fait, pendant la journée, on peut se déplacer et aller se soulager dans des habitations environnantes ou dans les toilettes des écoles. Mais quand ce besoin se fait sentir pendant la nuit, c’est le calvaire. On n’a pas d’autres choix. On se met à côté et on fait. » Un autre réfugié congolais abonde dans le même sens. « C’est grave. Nous sommes tellement nombreux de telle sorte que le respect des conditions hygiéniques est impossible. Nous courons un grand risque des maladies comme le choléra. »

Des écoles transformées en sites de réfugiés

Une salle de classe transformée en dortoir pour les réfugiés à l’Ecofo Rugombo II

Le secteur éducatif est sérieusement affecté par la présence de ces réfugiés congolais à Cibitoke. A titre illustratif, l’Ecole fondamentale de Rugombo II vient de passer deux semaines sans fonctionner. Actuellement, les salles de classe sont occupées par des réfugiés. C’est là qu’ils ont installé des nattes pour s’abriter. Des salles de cours sont devenues des dortoirs pour les réfugiés. Les bancs-pupitres ont été mis dehors. La cour grouille désormais de monde.

Ce qui frustre les écoliers. « On n’étudie plus. Nos écoles sont occupées. Or, d’autres écoles, d’autres écoliers se préparent déjà pour le test de la 9e année. En tout cas, ça ne sera pas facile pour nous », déplore une écolière de l’Ecofo Rugombo II.

Au Lycée communal Rugombo II, il y a aussi des perturbations. « Comme les réfugiés dorment dans nos salles de classe pendant la nuit, il n’y a plus de cours l’avant-midi. Nous attendons qu’ils déplacent leurs affaires et réarrangent les salles de classe. Nous venons étudier dans l’après-midi », confie avec tristesse un élève de cette école. Dans ces conditions, il dit que l’apprentissage n’est pas facile : « D’abord, l’endroit est devenu très puant. Car, ils cuisinent devant les salles de classe. Il n’y a plus de propreté. Les toilettes sont débordées, leurs enfants se soulagent n’importe où. C’est vraiment grave. »

La situation est identique au Tribunal de résidence de Rugombo. C’est dans la cour du tribunal que ces réfugiés cuisinent leur nourriture, qu’ils étalent leurs matelas usés et habits. La fumée envahit les bureaux. L’hygiène laisse aussi à désirer.

Une préoccupation pour l’administration

Firmin Habumuremyi, secrétaire permanent de l’administrateur de Rugombo, reconnaît que la situation hygiénique s’est détériorée depuis l’arrivée de ces réfugiés congolais. « Nous avons seulement quelques toilettes au niveau des écoles. Cela ne peut pas suffire. Ce qui fait qu’on trouve ici et là des défécations humaines. Ce qui provoque la puanteur partout. »

Pour essayer de faire face à cette situation, il signale que le 19 février 2025, il y a eu une réunion avec les agents du HCR. « Nous avons eu 25 toilettes mobiles données par Unicef. Ça a en peu allégé le calvaire, mais ça reste tellement insuffisant. C’est insignifiant. » Il précise qu’au niveau des écoles aujourd’hui occupées par des réfugiés, les toilettes sont débordées.

Et de lancer un appel : « Si c’est possible, il faut augmenter le nombre de ces toilettes mobiles surtout que là où on devrait creuser les toilettes, les espaces servent de lieux d’abris pour ces réfugiés. »

Le risque des maladies préoccupe également le HCR. « Il y a beaucoup de risques. Parce qu’avec les intempéries, on ne blague pas. On essaie de conseiller, d’orienter. On continue toujours à demander de l’aide. Certaines familles ont des couvertures qu’elles ont amenées de chez elles, mais elles sont peu nombreuses. Mais, pour la plupart, elles ont tout perdu », dit Félix Ndama, le chargé de l’information au HCR et point focal du HCR pour la gestion du site de Rugombo.

Dans un entretien accordé à Iwacu le 21 février 2025, il a souligné qu’il y a un grand souci pour les latrines : « Certaines organisations ont amené des latrines mobiles qu’on essaie de placer dans les coins et d’entretenir aussi afin d’éviter des maladies comme le choléra et autres. »

D’après Egide Ndayishimiye, médecin du district sanitaire de Cibitoke, les plus exposés aux maladies sont les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées. Ainsi, pour essayer d’y faire face, il annonce l’instauration des centres de santé mobiles dans tous les sites hébergeant des réfugiés. « Suite au manque de moustiquaires, le paludisme vient en tête des maladies déjà enregistrées sur place. »

« Il faut une réponse dans l’immédiat. »

S’exprimant après une visite effectuée sur le terrain le mercredi 26 février 2025, Brigitte Mukanga-Eno, représentante du HCR au Burundi a indiqué que 47 632 réfugiés congolais ont été déjà enregistrés dont 20 632 au stade de Rugombo, 6 000 au Lycée communal Rugombo II, 9 000 à l’Ecofo Rugombo II, 8 000 hébergés dans différentes églises et 4 000 qui se trouvent à la zone Cibitoke. « Parmi eux, il y a 2 500 femmes enceintes, 7 000 enfants, 4 femmes qui ont subi des violences sexuelles et 3 cas de rougeole. » En ce qui est des latrines, elle a expliqué que seulement 35 latrines mobiles sont déjà disponibles, soit une latrine pour 50 personnes.

Des bancs-pupitres servent désormais de séchoirs au Lycée communal Rugombo II

Dans cette descente, elle était accompagnée par les représentants d’autres agences onusiennes et d’autres partenaires. Elle a ainsi fait savoir que le nombre des réfugiés continue d’augmenter à Rugombo. « Chaque jour, il y a de nouveaux réfugiés qui arrivent. C’est beaucoup et les besoins sont énormes. » En effet, a-t-elle mentionné, les femmes enceintes et allaitantes ont des besoins spécifiques. Il en est de même pour les 7 000 enfants déjà enregistrés. « Beaucoup ne sont pas avec leurs parents. Ils sont venus avec des voisins. Ce sont donc des enfants qui ont besoin d’un encadrement particulier. »

Avec le ministère, poursuit-elle, nous allons voir comment mettre des écoles de rattrapage assez rapidement. « Mais également, le plus urgent pour le moment c’est de finir avec l’enregistrement. Dès que nous aurons des données, nous allons transférer tout le monde au niveau du site de Musenyi dans la province de Rutana et du site de Mwaro qui sont les deux sites que le gouvernement a alloués pour le moment. »

« Que ce soit le PAM, l’Unicef et le HCR, nous avons tous besoin de ressources pour pouvoir continuer à appuyer de façon décente et humaine cette population massive. Par rapport à ce que le Burundi avait comme population de réfugiés avant, c’est vraiment la première fois qu’on voit une crise de cette ampleur depuis plus de 20 ans », a encore indiqué Brigitte Mukanga-Eno. D’après elle, il faut une réponse dans l’immédiat.
La représentante du HCR au Burundi fait savoir que ces réfugiés viennent essentiellement de deux directions : il y a l’axe Rugombo qui est fait de tous les réfugiés qui ont traversé la rivière Ruzizi à pied. « C’est là où nous avons le plus grand flux des personnes. »

L’autre axe, c’est au niveau de la frontière à Gatumba. « Il y a également même beaucoup de Burundais qui sont en train de revenir. Ils étaient basés en RDC. Certains sont des commerçants ou des agriculteurs. Mais, il y a également une bonne partie des personnes qui étaient des réfugiés là-bas qui sont en train de revenir de façon précipitée à cause de la situation en RDC. Les personnes sont souvent rongées par la dépression. Il y a des gens qui ont subi beaucoup de violences ou qui ont vu des membres de leurs familles exécutés devant leurs yeux. »

Brigitte Mukanga-Eno a indiqué que les besoins sont énormes. « Nous avons mis en place un plan de contingence inter-agences pour que le moment venu, on puisse le déployer. Le plan est là, mais ce sont les moyens de sa mise en œuvre qui nous manquent actuellement. » Et d’ajouter que « Même pour donner les repas chauds, les partenaires sont débordés. Nous appelons toutes les organisations à venir en aide pour appuyer cette réponse, ne fût-ce que pour donner des repas à tout le monde, doter à ces gens des installations sanitaires afin de prévenir d’autres catastrophes sanitaires. C’est vraiment difficile. Il faut une réponse dans l’immédiat. »

Difficile relocalisation

Selon Brigitte Mukanga-Eno, le gouvernement leur a donné l’autorisation de commencer la relocalisation de ces réfugiés vers les sites de réfugiés de Musenyi en province de Rutana et à Mwaro.

D’après elle, ils ont commencé, le week-end dernier, avec la relocalisation des gens vers le site de réfugiés de Musenyi en province de Rutana avec près de 1 100 personnes. Les équipes sont actuellement à Rugombo en train de faire les enregistrements. « La réponse est en train de se mettre progressivement en place mais, elle n’est pas encore suffisante. C’est pourquoi nous demandons à toutes les parties de nous accompagner dans ce processus pour faire le transfert qui a commencé. Il faut bien-sûr des infrastructures d’accueil du côté de Musenyi à Rutana, et également Mwaro qui n’est pas encore développé pour le moment, car c’est un terrain vide. Il a besoin d’être aménagé et ça demande beaucoup de ressources. »

Un chemin d’exil miné

La majorité des réfugiés congolais se trouvant en province de Cibitoke sont arrivés au Burundi après moult épreuves dangereuses. Venant globalement des localités situées entre Kamanyola jusqu’à Sange au niveau de la plaine de la Rusizi, territoire d’Uvira, ils ont franchi la frontière à travers différents points de passage non officiels. Il s’agit d’une dizaine de points d’entrée dont les principaux sont Rukana, Rusiga, Ruhagarika et Kagunuzi respectivement dans les communes Rugombo et Buganda.

Les réfugiés se sont lancés dans les eaux de la rivière Rusizi. Même ceux qui ne savaient pas nager. Les risques de noyade ou d’être dévoré par les crocodiles et les hippopotames étaient élevés. Sans préciser le nombre de victimes, ces réfugiés témoignent que pendant leur traversée, il y a eu des noyades. Certains réfugiés ont dû payer de l’argent aux passeurs burundais pour traverser la rivière Rusizi. Ces passeurs se servaient des bidons en plastique pour les faire traverser la Rusizi. Faute d’argent, les réfugiés payaient en nature. Ils donnaient par exemple une chèvre aux passeurs.

A travers les points de passage officiels, de nombreux réfugiés congolais débarquent par pirogues au niveau de Rubenga de la commune Rugombo et Kaburantwa via le nouveau pont reliant les deux pays en instance de réhabilitation. Avant de fuir, certains ont pu récupérer quelques objets ménagers, du petit bétail et d’autres matériels usuels.


Rumonge : L’insécurité au sud Kivu frappe les petits commerçants

Le commerce transfrontalier entre Rumonge et les différentes localités du Sud Kivu est au point mort. Les Burundais qui y exerçaient diverses activités regagnent le bercail malgré eux. Le terrain de football de la commune Rumonge est aujourd’hui occupé par des réfugiés. Les boissons Brarudi ne sont plus exportées vers le Sud Kivu. Beaucoup de personnes souhaitent la fin des hostilités pour que les échanges reprennent.

Les conséquences de la guerre qui sévit dans la province du Sud Kivu en République démocratique du Congo sont ressenties à en province de Rumonge. Les échanges commerciaux entre Rumonge et les différentes localités du Sud-Kivu sont aujourd’hui à l’arrêt. La suspension des activités d’exportation, via le port de Rumonge, des produits Brarudi vers le Sud-Kivu est une triste réalité suite à l’insécurité qui y prévaut.

Des réfugiés congolais dans le centre de transit de Makombe

L’afflux des réfugiés congolais à Rumonge engendre des problèmes d’hygiène, d’assainissement, de maladies et de suspicion chez certains locaux.

De nombreux Burundais qui exerçaient différentes activités dans la province du Sud Kivu rentrent au pays en masse malgré eux. Certains d’entre eux ne savent pas comment ils vont entretenir leurs familles qui ne vivaient que de ces activités.

Des arrestations de Burundais qui rentrent dont l’identification prête à confusion sont opérées selon des sources policières à Rumonge.

Les dockers qui exerçaient les activités de chargement et de déchargement des bateaux de marchandises en provenance du Sud Kivu sont au chômage avec toutes les conséquences pour leurs familles.

Des enfants non accompagnés issus de familles dont l’un des parents est un Burundais vivent des problèmes de réunification familiale dans un contexte de conflit armé.
Le manque à gagner est énorme chez les commerçants et au niveau de l’OBR par rapport aux échanges commerciaux.

Une commission d’accueil mise en place

Léonard Niyonsaba, gouverneur de la province de Rumonge indique que certaines conséquences de l’insécurité qui prévaut aujourd’hui dans cette province voisine du Sud Kivu se répercutent sur la province de Rumonge. Il indique qu’une commission d’accueil et de gestion des problèmes résultant du flux des réfugiés en province de Rumonge a été mise en place.

D’après lui, la province dispose d’un centre de transit des réfugiés sur la colline Mutambara où des réfugiés sont accueillis avant qu’ils soient transférés dans les camps des réfugiés en provinces de Rutana, Mwaro, Ruyigi et Muyinga.

La commission s’attèle, pour le moment, à trouver des solutions aux problèmes auxquels sont confrontés les réfugiés qui sont en phase d’identification pour savoir s’ils sont réellement des réfugiés afin d’accéder au statut de réfugiés.

Le gouverneur de la province fait savoir que plus de 200 réfugiés congolais sont rassemblés au stade de Rumonge.

Ces réfugiés sont confrontés à de multiples problèmes, car ils passent la nuit à la belle étoile. Ils ont besoin des couvertures, de l’eau, de la nourriture. Les humanitaires tardent à intervenir pour offrir de l’assistance.

Les organisations de la société civile indiquent que les conséquences de l’insécurité dans la province du Sud Kivu sont très ressenties à Rumonge.

Un bon nombre de personnes à Rumonge ne vivaient que des échanges commerciaux avec certaines localités du Sud Kivu.

Ces organisations soulignent qu’il s’observe des conditions difficiles d’accueil des réfugiés congolais à Rumonge pour ceux qui n’ont pas eu accès au centre de transit des réfugiés, un centre qui est géré par le HCR. Les conséquences vont augmenter tant que l’insécurité va perdurer au sud Kivu.


Spectre d’une guerre ?

Le 7 février 2025, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations-unies aux droits de l’Homme, a alerté : « Si rien n’est fait, le pire est peut-être encore à venir pour les habitants de l’Est, mais aussi au-delà de la RDC. (…) Le risque d’escalade de la violence dans toute la sous-région n’a jamais été aussi élevé. » Depuis quelques mois, des propos de certaines autorités alimentent des velléités du Rwanda à attaquer le Burundi. Toutefois, les forces de l’ordre et de sécurité tranquillisent et assurent qu’elles sont prêtes à défendre le pays.

S’exprimant sur la Radiotélévision nationale de Burundi (RTNB) le 24 février 2025, le porte-parole de la Force de défense nationale du Burundi (FDNB), Général de Brigade Gaspard Baratuza, a fait savoir qu’il n’y a pas un torchon qui brûle sur toute l’étendue du territoire en ce qui concerne la sécurité. « La sécurité est bonne sur les frontières. Que ce soit au nord, au sud, à l’est et à l’ouest. La population vaque à ses occupations quotidiennes. Il n’y a aucun problème. »

Gaspard Baratuza: « Etre capable de rétablir la
paix dans un pays étranger, il en déduit que la sécurisation de notre pays est une conséquence
simple pour la FDNB. »

Concernant le discours du président Evariste Ndayishimiye en province de Kirundo qui dénonçait des velléités du Rwanda à attaquer le Burundi, Gaspard Baratuza a indiqué que ce que le chef de l’Etat a évoqué est tout à fait logique et normal. « La force de défense nationale du Burundi vaque quotidiennement à ses occupations. Pendant la période de paix, les militaires se préparent à faire la guerre. Et pendant la guerre, ils font la guerre. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation d’accalmie totale, de paix. Les militaires sont toujours aux entraînements. Il y a les centres d’instruction, les centres de performance et les écoles spécialisées. On ne fait que ça. » Et d’ajouter : « S’il advenait qu’il y ait un ennemi qui se présente, nos militaires sont toujours prêts. Vous savez, nos militaires sont expérimentés. C’est une armée professionnelle qui a exercé pas mal de missions reconnues internationalement. »

Il donne l’exemple de la Mission de maintien de la paix en Somalie qui a débuté en 2007, « où nos militaires ont conquis des zones très difficiles en combattant et en chassant al-Shabaab qui était redouté par la communauté internationale. Aujourd’hui, la Somalie est calme grâce à l’apport de nos militaires. Etre capable de rétablir la paix dans un pays étranger, on en déduit que la sécurisation de notre pays est une conséquence simple pour la FDNB. »
Il a rassuré les Burundais. Pour lui, la paix et la sécurité sont une réalité. Toutefois, il a demandé de la vigilance. « S’il y a quelque chose qui ne va pas, il faut le signaler. C’est ce qu’on demande à la population. »

Le porte-parole de la FDNB s’est aussi exprimé sur les messages qui circulent sur les réseaux sociaux. « Il y a des messages qui ont l’intention de déstabiliser la population. Nous demandons à la population de rester toujours sereine et d’être toujours vigilante. Sinon, tout le monde voit que ce sont des messages erronés. Lorsqu’on dit que l’aéroport est assiégé alors que les avions atterrissent et décollent en bonne et due forme, vous comprenez que les auteurs de ces messages ont d’autres buts et sont loin de la vérité. Que la population ne donne aucune valeur à ces messages !»

Le lendemain, sur les mêmes ondes, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, Lt. Col de Police Pierre Nkurikiye, a abondé dans le même sens. Selon lui, aucune personne, que ce soit de l’AFC/M23 ou du Rwanda n’a tenté d’attaquer le Burundi. Il a demandé aux Burundais de rester sereins, car, selon lui, les forces de sécurité sont parfaitement préparées et capables de gérer toute situation.


Interview avec Gratien Rukindikiza : « Cette guerre n’était pas nécessaire et elle pouvait être évitée. »

Ancien officier de l’armée burundaise connu pour ses analyses des questions sécuritaires, ni le Rwanda ni l’AFC/M23 n’ont aucune intention d’attaquer le Burundi. Mais, nuance-t-il, tout dépendra du comportement du pouvoir burundais.

Les autorités burundaises évoquent des velléités d’attaques du Rwanda contre le Burundi. Pensez-vous que cela est possible ?

Je ne pense pas que le Rwanda attaque le Burundi. Mais, si le Burundi s’implique dans le soutien des FDLR et FLN rwandais qui aimeraient attaquer le Rwanda à partir du Nord du Burundi, il n’est pas exclu qu’il y ait des attaques sporadiques dans la partie Nord du Burundi par l’armée rwandaise.

Pourquoi, selon vous, le gouvernement burundais a envoyé des troupes pour combattre l’AFC/M23 ?

A mon avis, le gouvernement burundais a envoyé les militaires au Congo pour combattre l’AFC/M23 pour plusieurs raisons principales. La première raison est pécuniaire. C’est un secret de polichinelle que le président Félix Tshisekedi verse un montant donné par militaire burundais et par mois sur le modèle de l’Amisom.

Sauf que cette fois-ci, il s’agirait d’un accord confidentiel. Le chiffre avancé serait de 5 000 $. En plus, ce montant ne rentre pas dans les caisses de l’Etat. La deuxième raison est une erreur de jugement.

Comment ?

Le pouvoir du Burundi a mal jugé la situation. Il a cru que la victoire de l’AFC/M23 serait une victoire ethnique, plus précisément tutsi. Je dis bien qu’il y a eu une erreur de jugement car les Rwandophones congolais sont des Tutsi et des Hutu. Ces rebelles se battent pour leurs droits et non pas pour une victoire d’une ethnie. La preuve, le président de l’AFC/M23 Corneille Nanga n’est pas du Kivu et n’est ni Tutsi, ni Hutu. Cette mauvaise lecture de la situation n’aide pas à l’amélioration des relations de bon voisinage avec le Rwanda.

La troisième raison est celle de l’anticipation militaire. En effet, le pouvoir burundais a bien compris que l’armée congolaise est trop faible, corrompue et désorganisée. Il était convaincu que, sans un soutien extérieur solide, l’effondrement serait rapide. L’avancée militaire du mouvement rebelle congolais pourrait signifier un renforcement des moyens du mouvement rebelle burundais RED-Tabara. En lançant dans la bataille 19 bataillons, le pouvoir burundais a trop misé sur sa victoire. L’anticipation est devenue un échec.

Désolé d’insister : était-il donc nécessaire d’envoyer des troupes burundaises en RDC ?

La décision d’envoyer les militaires burundais se battre au Congo est une grande erreur du gouvernement burundais. L’erreur a été amplifiée par le tri des militaires à envoyer. L’armée a dilué la force des bataillons envoyés sur le champ de bataille, car les militaires étaient rassemblés par dizaines à partir des différentes unités militaires. Le tri est basé sur des critères subjectifs. Or, la force d’une unité militaire est sa cohésion.

Quelles sont les conséquences de telles erreurs ?

Cela laisse l’armée burundaise secouée par ces défaites militaires à Goma, Bukavu et Kamanyola. L’armée a perdu une grande partie de son armement dans cette guerre. Le pays manque de devises et a du mal à s’approvisionner en carburants. Il lui sera difficile de combler la consommation des munitions, sans parler de l’artillerie lourde détruite ou abandonnée au Congo.

Après cette guerre, l’armée ne va plus attirer les volontaires. Adieu la Somalie et ses devises, bonjour le Congo et ses défaites. Cette guerre n’était pas nécessaire et elle pouvait être évitée. Les stratèges anticipent sur les événements. Dans le Kivu, il y a beaucoup de paramètres qu’il faut bien analyser sans être aveuglé par le billet vert.

Est-ce que la présence des troupes burundaises en RDC ne peut pas pousser l’AFC/M23 à attaquer le Burundi vu que, dernièrement, il avait demandé leur départ ?

Je pense que l’AFC/M23 n’a pas vocation d’attaquer le Burundi. Il a d’autres chats à fouetter comme on dit. Cependant, l’AFC/M23 aura très probablement le contrôle de la frontière entre le Burundi et la République démocratique du Congo. Les deux belligérants, à savoir le l’AFC/M23 et l’armée burundaise, seront des voisins méfiants, agressifs ou paisibles. Tout dépendra du comportement du pouvoir en place au Burundi. Deux options se présentent.

Lesquelles ?

La première option serait l’agressivité du pouvoir burundais. Le pouvoir pourrait continuer à soutenir le gouvernement de Kinshasa avec des attaques en provenance du Burundi. C’est la pire des options.

L’AFC/M23 a pris possession des armes d’une portée de plus de 30 km dans les stocks de l’armée congolaise à Goma. De la ville d’Uvira, ce mouvement rebelle congolais pourrait détruire complètement l’aéroport et le port de Bujumbura qui ne disposent pas de défense aérienne contre les obus.

Afin d’avoir les coudées franches, l’AFC/M23 pourrait être tenté de conquérir une partie de la ville de Bujumbura, surtout la partie industrielle. Il pourrait déstabiliser l’armée burundaise pour qu’elle n’ait plus la force de reconquérir le terrain. Je me garde de détailler le côté militaire.

Cette situation pourrait entraîner un coup d’Etat afin d’arrêter la saignée de l’armée burundaise et de négocier avec ce mouvement rebelle congolais pour qu’il quitte le territoire burundais en échange de la neutralité dans cette guerre congolaise. Cette option est à éviter.

L’autre scénario ?

La deuxième option serait de retirer les militaires burundais de RDC et d’entrer en contact avec l’AFC/M23 pour lui signifier que le Burundi adopte la neutralité dans ce conflit. Le président Evariste Ndayishimiye devrait en ce cas déplacer les réfugiés congolais très loin de la frontière à plus de 70 km après avoir désarmé les militaires congolais. De même, pour apaiser la situation, il devrait améliorer les relations avec le Rwanda en ouvrant les frontières. Il devrait aussi renvoyer les éléments des FDLR présents au Burundi.

Dernièrement, une centaine de policiers congolais se sont réfugiés au Burundi. Qu’en pensez-vous ?

D’après mes informations, ce ne sont pas que des policiers qui ont fui vers le Burundi. Il y a aussi des militaires congolais. Ce fut une scène digne d’un film de Hollywood quand les militaires et policiers congolais désertent et fuient vers le Burundi au moment où les militaires burundais continuent de se battre pour la RDC.

Est-ce que cette situation ne peut pas être une source de tension ?

La présence des policiers et militaires congolais sur le sol burundais est déjà une source de tension. Ils sont habitués à un certain niveau de désordre qu’ils ne pourront pas se conformer à la situation burundaise. En plus, ils savent que le Burundi est l’allié de la RDC. Vont-ils confondre le Burundi et la RDC afin de garder les mêmes avantages ?

Il semblerait que le pouvoir congolais aurait exigé du Burundi de renvoyer au Congo ces policiers et militaires qui ont fui vers le Burundi. Espérons qu’ils seront renvoyés au Congo.

RDC

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