Les grossistes hésitent à passer de nouvelles commandes à l’étranger. Entre-temps, ils spéculent sur les prix des produits restant dans les stocks.
« Laisser le temps au temps ». Ainsi se résume l’attitude de la plupart des commerçants qui s’approvisionnent dans les pays frontaliers ou asiatiques.
Au marché de Ngozi, la plupart de commerçants ont stoppé de se rendre en Chine et en Ouganda. Tous veulent croire aux lendemains qui chantent : la baisse du dollar.
Entre-temps, ils écoulent les stocks existants. A la faveur de la fièvre due à la flambée du dollar, les grossistes du marché de Ngozi ont majoré les prix. Conséquence : les habituels clients, de petits commerçants des provinces voisines pour la plupart, hésitent à s’approvisionner ou achètent de petites quantités. Ils savent que les paysans du fin fond de l’intérieur supporteront difficilement la majoration de prix sur certains produits par ailleurs catalogués « non essentiels » pour eux.
Situation mutatis mutandis semblable à Muyinga. Le représentant des commerçants du marché de Muyinga, Haquim Ndayavugwa affirme que depuis trois semaines les commerçants ont suspendu de s’approvisionner à Kampala. Les derniers se sont rendus dans la capitale ougandaise quand le dollar s’échangeait encore contre 2450 Fbu.
Pire, à la flambée du dollar est venue se greffer la hausse du shilling tanzanien. Il faut 124 Fbu pour 100 shillings. Si un commerçant se hasarde à s’approvisionner en Tanzanie, le coût de vente serait insupportable vu la faiblesse du pouvoir d’achat de la population. Le commerce transfrontalier avec ce pays était donc quasiment au point mort même avant l’annonce officielle par Tanzanie mardi 19 juillet de la mesure de suspension de l’exportation du haricot, du sucre, du riz, du maïs et du manioc.
Hésitations chez les grands importateurs
Selon Antoine Muzaneza, président de l’Association des commerçants du Burundi (Acobu), même les grands grossistes du quartier asiatique ont suspendu les importations. Ce sont notamment les importateurs de matériaux de construction, ceux d’articles d’habillement et ceux des produits divers que l’on trouve dans les boutiques, notamment le sel de cuisine.
Selon lui, la montée spectaculaire du dollar de ces dernières semaines n’a fait qu’empirer une situation déjà critique. Un commerçant qui a une licence d’importation peut passer trois mois ou même plus sans avoir les devises dans les banques commerciales. « Rares sont ceux qui importent. Une fois les marchandises mises sur le marché, ils gagneront beaucoup d’argent en monnaie locale. Mais où trouveront-ils encore des devises pour passer de nouvelles commandes ? », nuance M. Muzaneza.
Pour lui, il faut une rencontre entre les opérateurs économiques, les ministères concernés par les questions du commerce et la banque centrale pour analyser ensemble la façon de dispatcher le peu de dollars. La BRB devrait rendre disponible les devises parmi tous les importateurs et non seulement privilégier les importateurs du carburant, des médicaments et des fertilisants.
Notons que selon bien des commerçants, les conséquences de la flambée du dollar se feront sentir d’une façon plus ardue dans les deux mois à venir, temps nécessaire entre l’expédition et la réception des marchandises commandées.
Bienfaits du marché parallèle
Nombreux sont ceux qui préfèrent échanger leurs monnaies ou cherchent les devises au marché parallèle. Motif : C’est rapide et pas d’exigences.
« Le taux de change sur le marché parallèle est généralement plus élevé que dans les banques, mais je préfère m’approvisionner à ce marché plutôt que de me hasarder dans ces banques », lâche M.K. , un déclarant.
Il fait savoir qu’à la banque centrale, il est impossible d’avoir des devises en quantité et dans le temps souhaités. « La banque centrale exige beaucoup de documents et ça prend beaucoup de temps pour la vérification », s’indigne-t-il, avant d’ajouter : « C’est une perte énorme alors que dans le business, le temps c’est de l’argent ».
Pour lui, s’approvisionner au marché parallèle c’est comme si c’était à la boutique. « Il n’y a pas de montant exigé pour les échangeurs de monnaie ambulants ou pour ces cambistes ».
Même constat chez J.H., un importateur de matériels de bureaux. « Je n’ai jamais eu autant de devises que je veux ni à la banque centrale ni aux banques commerciales. De plus, ces dernières exigent plusieurs documents qui, à leur tour, font traîner les choses, » indique-t-il.
N.J. un autre importateur de différents produits alimentaires, avoue que les banques n’octroient pas suffisamment de devises pour faire du business. « Si je ne veux pas perdre la crédibilité de mes clients et fournisseurs, je dois faire recours au marché noir », souligne-t-il, avant de poursuivre : « Il est vrai que ces devises sont chères mais c’est facile d’avoir le montant voulu dans le temps et dans l’espace escomptés plutôt que d’estomper mes activités. »
Ils en voudraient qu’ils n’en auraient pas
Bien des opérateurs économiques disent souvent se rabattre au marché noir puisque sous la pression de leurs fournisseurs. Ces derniers leur envoient des marchandises à crédit après l’aval de leur banque et nanti de la licence d’importation. C’est le système dit « crédit documentaire » ou « crédoc ». Mais une fois les marchandises livrées, la facture du fournisseur peut passer deux ou trois mois à la banque commerciale sans être honorée.
Des fois, les fournisseurs menacent de ne plus livrer des marchandises par crédit aux opérateurs économiques burundais. D’autres fixent des plafonds de quantité de marchandises à expédier par crédit documentaire.
Dans pareilles circonstances, les opérateurs économiques sont obligés de se rabattre au marché noir ne fût-ce que pour avoir une certaine quantité de devises pour calmer les fournisseurs.
D’autres qui fréquentent trop le marché noir sont les commerçants moyens qui font le commerce transfrontalier ou qui s’approvisionnent en Chine. Selon des sources concordantes, ils prennent d’assaut les bureaux de change, surtout les jeudi après-midi pour avoir la devise le plus rapidement possible pour ne pas rater l’avion.
Les bureaux de change sont aussi fréquentés par ceux qui veulent aller se faire soigner à l’étranger ou ceux qui envoient leurs enfants aux études à l’étranger.
Pour ceux qui veulent vendre leurs devises, ils préfèrent évidemment le marché noir par le fait qu’il propose un taux toujours supérieur au taux officiel. Signalons que d’après Audace Niyonzima, le marché noir finance 20% des exportations du pays.