Depuis plusieurs mois, obtenir ces précieux liquides pour les Burundais est devenu un véritable parcours du combattant. Cette situation semble créer un phénomène d’approvisionnement « à deux vitesses ». Des stations-services sont réservées aux Very Important Persons (VIP) au détriment d’une autre catégorie sociale, qui, désespérée et au bord d’une panne sèche, est obligée de s’approvisionner dans des milieux « officieux ». Une situation qui soulève un débat houleux. Reportage.
Par Pascal Ntakirutimana
Chaque matin, Iwacu tient une réunion de rédaction. Après la réunion, un message tombe sur le téléphone d’un journaliste : « Est-ce que vous êtes au courant que les députés viennent d’avoir leur propre station d’essence ? 4000 litres de carburant y sont déjà stockés. » Il faut vérifier l’information.
Un coup de fil à un de nos « élus ». « Je ne connais pas bien la quantité stockée, mais à ce que je sache, la station est déjà construite. Elle se trouve dans les enceintes de l’Assemblée nationale. Elle est pleine de carburant », confie-t-il.
Douter. Toujours douter. Notre devise. Un petit tour du côté de l’Hémicycle de Kigobe pour voir si réellement une station-service y est érigée. L’endroit est bien surveillé. À première vue, la vue est bloquée par des arbres à l’intérieur de la clôture de l’Hémicycle. Mais en épiant, on se rend compte qu’il y a effectivement une station-essence. Et notre source de nous narguer gentiment avec un petit sourire : « Ce qu’un prince réclame, il l’obtient à coup sûr. »
L’existence d’une station-service réservée aux élus du peuple semble être une jouissance pour certains d’entre eux. Mais eux aussi ne sont pas sortis de l’auberge. « C’est une bonne chose pour nous les députés. Malheureusement, plus de deux mois sont passés sans nous communiquer sur la suite de ce carburant », déplore un autre député.
On tente de contacter Ferdinand Sindarironka, secrétaire général de l’Assemblée nationale du Burundi et chargé de la gestion des stocks, pour lui demander des détails. Mais celui-ci nous recommande, sans raisons, de l’appeler plus tard. On réessaye dans l’après-midi, son téléphone sonne mais il ne décroche pas.
Pour rappel, lors de la séance plénière du 28 décembre dernier, les députés burundais avaient réclamé une station-service qui leur soit exclusivement réservée. Pour éviter d’être « méprisés par la population quand ils vont faire la queue comme les autres et pouvoir se rendre facilement au travail de terrain. »
« Où vous procurez-vous le carburant, monsieur le ministre ? N’est-il pas possible que nous aussi, députés, puissions nous procurer le carburant à votre station ? », a interrogé Neema Niyibitanga, député de la circonscription de Cibitoke issue de l’association Unissons-nous pour la Promotion des Batwa (UNIPROBA).
Après avoir exposé le calvaire vécu par les parlementaires en ce moment de crise de carburant, surtout lorsqu’ils allaient s’approvisionner aux stations-services, elle a ensuite demandé une station réservée aux élus du peuple. « La parole de Dieu nous demande d’aider les autres, je voulais vous demander, monsieur le ministre, de nous aider afin de nous donner une station uniquement pour les parlementaires. Je sais que vous en êtes capable. Prenez ce problème en main et aidez-nous. »
Des stations pour des VIP
La persistance de la pénurie de carburant au Burundi et les difficultés liées à l’approvisionnement ont suscité, à tort ou à raison, un tollé dans l’opinion. « C’est le sauve-qui-peut », s’indignent certains taximen rencontrés.
La station Delta se trouve à la RN4, Bujumbura-Gatumba, entre le rond-point Chanic et le pont de la rivière Mutimbuzi. Il est 9 heures, la station semble être à sec mais des véhicules VIP font la file indienne. « On est ici depuis hier. Ici, c’est la station pour les hauts dignitaires de l’État et grands commerçants », glisse une source rencontrée aux environs.
Cette même source précise que lors de la distribution du carburant, la hiérarchie est respectée. « Un véhicule d’un cadre au ministère ou d’un commerçant ne peut pas être servi avant celui d’un ministre ou d’une autre haute autorité. La hiérarchie est observée. » Il arrive, regrette une personne empruntant régulièrement cette route, que la circulation soit interrompue pendant plusieurs heures à cause de la distribution « anarchique » du carburant de cette station-service. « Personne ne descend pour demander le passage. On doit attendre jusqu’à nouvel ordre. »
Ce n’est pas tout comme stations-VIP. Un taximan croisé au marché de Cotebu raconte : « À côté de la station Delta de Kajaga, l’Interpetrol, une autre station-essence à côté de l’entreprise Metalusa constitue également une source d’approvisionnement pour les VIP. »
Une « élitisation » de l’approvisionnement en carburant
D’après certains conducteurs de bus et taxis croisés aux stations-service, la persistance de la pénurie de carburant et la manière dont le peu de carburant disponible est distribué créent un « désenchantement ». « Il est devenu indécent d’en parler. Je viens de passer six jours devant la station-essence. Un collègue, conducteur de camions transportant le carburant depuis l’extérieur du pays, m’avait signalé que onze camions étaient en route. Je me suis précipité pour aller faire la queue. Malheureusement, depuis lors, aucun signe de carburant sur cette station », témoigne un taximan à la station de l’avenue Moso dans le quartier Rohero.
Il indique qu’il ne comprend pas pourquoi ils ne sont pas servis alors que le carburant est « régulièrement » distribué sur des stations dites VIP. « Au niveau de l’approvisionnement de carburant, on dirait qu’un mur se dresse entre les élites et la population. On peut même parler d’une fracture sociale déguisée. Qu’ils pensent à nous aussi, le bas peuple. »
À Nyamitanga, les récits des propriétaires de véhicules venus s’approvisionner choquent. Il est 10 heures, nous sommes dans la zone Ndava. Sur cette colline frontalière avec la RDC, nous sommes accueillis par des jeunes vendeurs de carburant. Des chauffeurs de Hiaces se précipitent pour remplir les réservoirs de leurs engins. « Je fais toujours le trajet Bujumbura-Gitega. J’ai vu dans le groupe WhatsApp que notre source d’approvisionnement vient d’être fermée. Je me suis précipité pour venir m’approvisionner à temps avant que les choses ne changent. »
Un jeune lauréat de l’université, propriétaire d’un taxi rencontré sur le lieu dénonce ce qu’il qualifie de « déconsidération » d’une certaine catégorie de la population. « Avez-vous déjà vu un véhicule d’un cadre de l’État ou d’une autre haute personnalité prendre la direction de Nyamitanga pour s’approvisionner en carburant ? »
Avant de faire remarquer que l’approvisionnement en carburant au Burundi s’apparente aujourd’hui à une sorte d’élitisation. « Nous sommes dans un contexte de sauve-qui-peut. Nos élites, qui vraisemblablement n’ont pas de problème d’approvisionnement en carburant, s’en fichent du reste de la population. Écoutez leurs discours, vous vous en rendrez compte. »
Signalons que cette mesure d’interdiction de trafic du carburant à travers les pistes frontalières débouchant sur la rivière Rusizi à destination du Burundi vient d’être levée ce 11 juillet 2024.
Imbroglio
Au Burundi, le discours des autorités sur la crise de carburant que traverse le pays crée une confusion au sein de la population. Les discours du président de la République, de son Premier ministre, des ministres de l’Énergie et des Mines, du Commerce, et du président de l’Assemblée nationale sont largement incohérents et sèment un embrouillamini.
Le 9 juillet 2024 en province de Cibitoke, le président de la République a déclaré que la question de la pénurie de carburant ne concerne que ceux qui possèdent des véhicules. « Si tu te lamentes qu’il y a une pénurie de carburant, c’est que tu possèdes un véhicule. Comment peux-tu savoir s’il y a du carburant si tu n’en as pas ? »
Récemment à Nyabihanga, en province de Mwaro, lors de la « croisade d’action de grâce » organisée en marge de ses quatre ans de pouvoir, le président Ndayishimiye a révélé la présence d’une haute autorité derrière la pénurie de carburant.
« Il y a une personnalité qui a ameuté tout le monde, prétendant qu’il y a un coup d’État en préparation et qu’il ne faut surtout pas faire la livraison de carburant au Burundi. Cette personne est allée jusqu’à bloquer les documents requis pour le bateau contenant le carburant à destination du Burundi. Cette autorité a même consigné qu’une fois la livraison de carburant faite, le Burundi ne serait pas en mesure d’en assurer la contrepartie. Mais je lui ai pardonné. »
Tout en indiquant que « ce n’est pas à cause d’un manque d’argent qu’il y a pénurie de carburant. Ce sont plutôt les manigances diaboliques des possédés qui sont à l’origine de cette situation. »
Gervais Ndirakobuca, son Premier ministre, en revanche, a reconnu, le 24 avril dernier devant les parlementaires réunis en congrès, qu’il n’était pas en mesure de donner une solution à la récurrente pénurie de carburant qui perdure au Burundi depuis plus de deux ans. « En tant que Premier ministre, je n’ai aucune solution à vous soumettre. » Par ailleurs, il a indiqué que c’est la carence de devises qui paralyse ce secteur, tout en proposant d’accroître la production pour exporter davantage.
Dans le même ordre d’idées, devant les sénateurs le 20 décembre 2023, Chantal Nijimbere, ministre du Commerce, a avoué que la pénurie de carburant est due à la carence de devises. « Il n’y a pas assez de devises. Sinon, on aurait pu constituer des stocks stratégiques pour plusieurs mois, voire une année. »
Ibrahim Uwizeye, ministre de l’Hydraulique, de l’Énergie et des Mines, le 19 juin, au Sénat pour répondre aux questions des sénateurs et malgré son pessimisme concernant la crise du carburant, a déclaré : « Le Burundi n’a jamais connu une crise complète du carburant ». Il a fait appel aux opérateurs économiques pour augmenter la production afin de pouvoir exporter et rapatrier des devises, avançant vers l’autosuffisance. Cela montre qu’il reconnaît également que la carence de devises reste un défi à surmonter pour avoir du carburant.
Cependant, lors de l’émission publique à Makamba, le 28 juin dernier, le même ministre, pour justifier la crise actuelle du carburant, a déclaré que « les Burundais doivent comprendre que depuis 2020, l’indice d’importation de véhicules a largement augmenté et les équipements exigeant la consommation de carburant se sont multipliés à un degré très accru. »
Lors de la séance plénière du 14 juin 2024, Daniel Gélase Ndabirabe, président de l’Assemblée nationale, a accusé certaines personnes de cacher le carburant chez elles. « Vous dites qu’il n’y a pas de carburant alors que parmi vous, certains le cachent dans leurs maisons ou chez leurs amis, mais vous ne dites rien. »
Il ajoute, en regrettant, que certains vendent le carburant burundais au Rwanda. « N’y a-t-il pas de Burundais qui vont à l’étranger pour interdire la livraison de carburant au Burundi, prétextant que le pays n’est pas solvable ? Pourquoi ne les dénoncez-vous pas ? C’est le gouvernement qui donne les devises pour importer le carburant, mais certains le stockent pour le revendre au Rwanda. »
Signalons qu’en février 2022, l’importation du carburant avait été officiellement confiée à la société REGIDESO. Constatant peut-être qu’il n’y a pas eu d’avancées, la Société pétrolière du Burundi (SOPEBU), chargée de garantir l’approvisionnement en carburant, a été créée le 3 janvier 2024, laissant des doutes dans l’opinion avant même son opérationnalisation.
Réactions
Gabriel Rufyiri : « Lorsque les élites corrompues sont érigées au sommet de l’État, on assiste à de tels résultats. »
Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, dénonce les dirigeants qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts : « Comment les dirigeants peuvent s’octroyer des stations-service au moment où le reste de la population ne savent pas à quel saint se vouer ? » Pour lui, ériger des stations pour une poignée d’individus pendant que les gens ne peuvent pas se déplacer montre une crise grave de leadership et de mauvaise gouvernance. « Nos dirigeants ne sentent pas cette douleur et il leur est difficile d’envisager des solutions durables. » Il ajoute que « des gangs en cravates » sont en train de se développer dans le pays et prévient que « le Burundi risque de tomber en banqueroute. »
Aloys Baricako : « Ce n’est pas un problème que les hautes personnalités du pays aient des stations-service »
« Ce n’est pas un problème que les hautes personnalités du pays aient des stations-service où elles s’approvisionnent en carburants sans difficultés. Cela s’observe partout dans les démocraties. » Aloys Baricako, président du parti Ranac, estime que la justice commutative justifie que les élites aient des privilèges. « Un représentant du peuple peut être considéré différemment par rapport à d’autres citoyens. » Cependant, il admet qu’il faut aussi considérer le bas peuple qui passe des jours devant les stations-service et propose de recourir à la diplomatie bilatérale pour obtenir des devises et signer des conventions avec des pays frères ou des fournisseurs.
Gaspard Kobako : « C’est oublier le peuple »
Pour Gaspard Kobako, président de l’Alliance nationale pour la démocratie (AND), la gestion actuelle du carburant au Burundi montre une situation de « sauve-qui-peut, de fracture communautaire et de développement séparé. »
Il critique les stations-service réservées aux VIP comme une manière de se moquer de la population. « Le sauve-qui-peut ne peut pas être une solution. » Kobako appelle à des solutions globales et constate des contradictions dans les discours des autorités, suggérant un manque d’unicité dans la conduite de l’action gouvernementale concernant le carburant. « La vraie cause devrait être consensuelle pour nos dirigeants. Sinon, on ne devrait pas tergiverser ni se leurrer qu’il y aura des solutions miracles. »
« sauve-qui-peut » je n’ai même pas à réagir ! station vip? nakamaramaza nukuri! ubu rero abo bakuru biyunguruze natwe bato dupfire mugisagara no mumisozi! président ngo: uvuga ivyigitoro kuko ufise imodoka? ntuze, murumva mvuge! ivyo naravyumvise ndumirwa!! ubu umuntu yahora aja kwisoko akagura imboga za 500 ubu azigura 10000 adorera 3000 kumusi. afise Rand lover?
@Nkurunziza
Nanje naratangaye mukumva ingene umukuru w’igihugu yasiguye icateye ikibazo c’ukubura igitoro.
@Nkurunziza
Aho numva « uvuga ivyigitoro kuko ufise imodoka? » naciye numva ko hari icahindutse muburyo umukuru w’igihugu abona ikibazo c’igitoro.
Ubu ntakibona akamaro ko mugisata co gutwara ibidandazwa canke kunguruza abantu, UWUFISE IYO MODOKA (BIRAMURABA) NIYIMENYERE AHO AYIKURIRA IGITORO.
Mugabo mumezi aheze aho yabona ko ari ikibazo kinini kubuzima bw’igihugu, yari yavuze ko we nyene agiye kwicarira ikibazo c’ugukena kw’igitoro.
Les dépités devraient avoir honte.
Il faut qu’ils souffrent comme le commun des mortels.
Comme cela abadutwara bavuze ko turi muri Eden, bababuze kubuvuga.
Twebwe ntitubashikira ivyo bihangange bidutwara
Jewe n’ubu sinumva ingene umuntu azi, abona ingorane ubu abarundi barimwo yoshobora kuguma avuga ngo abatemera ko Uburundi bugiye kuba Eden ari abantu batemera amasezerano y’Imana.
Jewe sinzi ko iBurundi bemera ko Imana icisha amasezerano yayo kumuntu kanaka. Ejo ahavuye uwuzomusubirira sinzi ko ivyo vy’amasezerano azobikurikiza.
Mubindi bihugu indongozi zateje imbere ibihugu vyabo baricaye hamwe n’abahinga hanyuma bariyumvira une strategie. Nka Peresida Jean-Baptiste Bagaza (n’aho jewe nemeye kuja mubuhungiro kuntwaro yiwe plutot que de rentrer au Burundi apres mes etudes en Union Sovietique) we yarashoboye kuja hamwe n’abahinga b’abadagi hanyuma aragira ivyo yubaka mugihugu.
@Musavyi.
Depiter.
« Causer à quelqu’un du dépit, de l’amertume, de la rancœur ; vexer : Cet échec m’a profondément dépité… »
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9piter/23791
Shame on Kobako
Dans quels pays démocratiques avez vous de telles choses?
Les députés sont grassemement payés et pourraient s’approvisionner au marché noir ou à Uvira.
Pourquoi la pénurie n’est qu’au Burundi.
Il y a du carburant au Rwanda, Zaïre, même la Somalie en a.
Donnez du carburant aux seuls dépités est juste honteux
3n effet honteux
It happens only in bananas Republic.
Nous sommes la risée du monde entier