Des chiffres et des témoignages qui font froid dans le dos, tel est le contenu d’un rapport d’étape exercice 2020 présenté par la CVR devant le Parlement, jeudi 7 janvier. Un rapport apprécié par les experts en résolution pacifique des conflits.
De prime abord, Pierre Claver Ndayicariye a expliqué aux élus que le rapport concerne exclusivement la période de 1972. « Le travail de documentation des fosses communes et d’excavation des restes humains a permis les résultats importants. 8 grandes fosses communes ont été découvertes en province Karusi avec des restes de 7.348 victimes, 11 à Gitega avec des ossements de 3.630 victimes, 34 à Makamba avec 1.680 victimes, 16 fosses communes à Rumonge avec 813 victimes et 7 à Ngozi avec 113 victimes », a tenu à détailler le président de la CVR.
Au cours des auditions de l’année 2020, fait-il savoir, la commission s’est entretenue avec 374 personnes ressources, soit 181 au centre du pays, 113 à Makamba et 80 à Rumonge. La Commission a eu accès à des informateurs de première main, des acteurs actifs des violations massives des droits de l’homme de 1972 et des victimes ayant une moyenne d’âge de 60 ans.
Parmi les personnes auditionnées, tient-il à préciser, figurent d’anciens bourreaux et d’ex-prisonniers qui ont fait partie des équipes de tueurs et d’accompagnateurs des camions qui transportaient des victimes vers les fosses communes. Et d’ajouter que la Commission a aussi interrogé les rescapés des tueries et des personnes qui sont sorties vivantes des fosses communes.
« Les victimes passaient dans des centres de transit et étaient tués à coup de machette, de gourdin, de baïonnette ou par balle avant d’être jetées dans des fosses communes », a-t-il dit.
En plus, poursuit-il, les familles ont été dépouillées de leurs biens et leurs femmes violées. « Personne n’était autorisé à observer le deuil ni pleurer pour le sien».
Le rapport présenté devant les élus du peuple est composé de 6 livres dont un noyau qui retrace les origines des violations graves et massives des droits de l’Homme en 1972, le rôle de l’Etat et ses organes, le nombre provisoire des victimes et des témoignages et des auditions déjà faits. Les 5 autres livres sont des collections des photos des fosses communes, des restes excavés et des témoins.
Quid du mode opératoire ?
S’adressant aux élus du peuple, le président de la CVR s’est interrogé : «Comment est-ce que les tueries peuvent commencer au sud du pays à Nyanza-lac avec l’invasion des Mulele et le lendemain les listes des gens à tuer sont connues à travers tout le pays ? Quand est-ce qu’elles ont été préparées, avec quels moyens? »
Et de préciser qu’il y avait des gens chargés d’établir les listes. « Certes qu’ils avaient eu des profils de personnes à inscrire sur ces listes. Ce qui veut dire qu’il y avait une catégorie des planificateurs ». La CVR a essayé de chercher à savoir quel était le mode opératoire dans ces violations massives des droits de l’Homme.
Au niveau des arrestations sommaires, fait savoir M. Ndayicariye, la commission a décelé trois types : des arrestations individuelles opérées sur les lieux de travail ou à domicile, des arrestations massives ou rafles, généralement dans les établissements publics et des arrestations sur les barrages routiers.
Selon lui, les arrestations étaient confiées aux militaires, à l’administration provinciale, communale ou locale. Elles étaient aussi confiées aux jeunes gens de la JRR, mais aussi aux comités locaux constitués par des gens choisis parmi les civils, fonctionnaires.
Par ailleurs, le président de la CVR s’interroge aussi pourquoi l’intervention militaire a tardé pour sauver des vies humaines : «Les attaques ont duré 3 jours sans que l’armée n’intervienne. Elle était au courant de l’attaque avant même qu’elle ne commence.»
« Ces activités ne visent pas à raviver la haine »
Contrairement à ceux qui déclaraient que les activités de la CVR sont de nature à raviver la haine, Ndayicariye se veut rassurant : « Les activités visent à faire émerger la vérité longtemps cachée. Elle permet de réhabiliter ceux qui étaient qualifiés de traitres, de criminels par le gouvernement. Ce qui a fortement impacté le Burundi, c’est la globalisation ».
Pierre Claver Ndayicariye tient à préciser qu’après 48 ans de silence sur 1972, certains Burundais ont décidé de libérer la parole et de témoigner : « Ce geste participe à une démarche de détraumatisation individuelle, familiale et communautaire. La vérité libère et guérit.»
La CVR demande au Parlement de voter une loi pour laver l’honneur des victimes de 1972 qui ont été traités injustement de tous les maux. Ériger un mémoriel national et instaurer un deuil national mais aussi permettre aux familles éprouvées de faire la levée de deuil définitive. « Rien ne peut justifier de tels massacres ».
En plus, il a rappelé que les massacres de 1972 ont été préparés et exécutés par le gouvernement de l’époque. Et de demander au gouvernement actuel de présenter des excuses aux familles des victimes et des rescapés.
Un rapport apprécié
« Le rapport de la CVR est en train d’éveiller l’esprit des gens par rapport à notre histoire socio-politique, même si son travail n’est pas encore achevé », apprécie Chartier Niyungeko, expert en résolution et transformation des conflits. Il reconnaît que le Burundi a connu une histoire sombre dont les faits sont interprétés de différentes façons.
A propos de témoignages, cet expert reconnaît aussi qu’ils peuvent être lacunaires mais, pour lui, « l’essentiel est qu’il y ait au moins un processus qui vise à découvrir la vérité sur ce qui s’est passé ». Toutefois, il fait savoir qu’il y a la vérité des faits car ils sont relatés par des rescapés ou des témoins oculaires. Et de marteler : « Il faut connaître la vérité, non pas dans l’esprit de vengeance, mais dans l’esprit de réparation, de réconciliation ». Pour lui, la CVR constitue un cadre d’expression. Tout le monde doit se sentir concerné.
« C’est très important que la CVR communique à la population ce qu’elle a déjà découvert», indique Achel Niyonizigiye, expert en leadership. Selon lui, il ne faudra pas que la CVR fasse un travail qui ne sera pas accepté par la population. « Il est très important qu’elle puisse avoir accès aux informations ».
« La méthodologie peut être améliorée »
Pour cet expert, la méthodologie qui consiste à déterrer les restes permet de comprendre finalement ce que le peuple a vécu dans le passé. Et de faire observer : «Il ne suffit pas de déterrer les restes, mais il faut aussi savoir interpréter ce que vous découvrez.»
Il suggère d’associer d’autres spécialistes. Ces derniers viendront analyser ces restes et partant pourront exposer d’autres aspects de l’histoire. « Leurs interprétations viendront combler les vides en termes de découverte de la vérité ». Selon lui, si ces vides ne sont pas comblés, les gens vont faire leurs propres interprétations. Et de marteler : «La méthodologie est bonne, mais elle n’est pas complète. Elle peut être améliorée.»
Quant aux témoignages, cet expert ne nie pas leur importance. Mais il recommande d’écouter tout le monde (victimes, bourreaux) afin de déceler une vérité plus au moins objective.