Vendredi 22 novembre 2024

Société

Crédit collectif : le revers de la médaille

19/01/2022 2
Crédit collectif : le revers de la médaille
Salomon Nsabimana : « Le risque se couvre par la caution solidaire.»

Faute d’hypothèques, certains consommateurs des produits et services bancaires sont attirés par des crédits collectifs. Une pratique non sans risque à cause de la malhonnêteté éventuelle de membres du groupe bénéficiaire du crédit. Un acte d’engagement est proposé comme solution.

Prendre un crédit collectif est plus qu’un risque selon nos sources en mairie de Bujumbura. M.N., travailleur d’une société de gardiennage à Bujumbura, en a payé le prix. Après avoir contracté un crédit collectif avec 16 de ses collègues, il lui a fallu quatre ans de remboursement du crédit au lieu de trois ans. Motif : il devrait payer pour cinq de ses collègues qui ont refusé de payer dont quatre qui ont pris la poudre d’escampette et un qui a été licencié par son employeur. « Après avoir retiré toute la somme empruntée, ceux qui étaient nos amis et collègues ont éteint leurs téléphones, on les contactait sans aucune chance de les trouver », regrette M.N. D’après lui, ‘’les traîtres’’ se la coulent douce à Bujumbura, sauf un seul qui est à l’étranger. Ces jeunes confient qu’en contractant des crédits, ils voulaient investir dans l’agriculture et l’élevage. Mais, se désolent-il, les crédits qui semblaient les aider dans un premier temps sont devenus par après un fardeau. « Il nous est devenu impossible de payer à la fois notre propre crédit et celui de nos anciens collègues de travail », témoigne notre source. D’après lui, la vie était devenue intenable.

C’est après ce constat amer qu’ils ont choisi d’adresser une correspondance à la banque créancière pour lui demander de payer d’abord leur crédit. Une demande exaucée. Mais la banque exigera que le reste soit payé avec des intérêts de retard. « Le crédit a été inutile », observe un des jeunes qui a bénéficié de ce crédit. Il indique qu’il s’était procuré une vache qui a d’ailleurs mis bas après. Pourtant, il déplore avoir passé une année entière à payer un crédit qu’il n’a pas contracté, ce qui l’a amené à renoncer à l’essentiel de son projet.

Des recours en justice

M.N. et ses collègues estiment que les banques devraient les aider pour contraindre tout bénéficiaire de crédit collectif à payer. D’après lui, poursuivre en justice ceux qui se dérobent à leurs engagements n’est pas chose aisée. Or, déplorent-ils, les banques se protègent assurant uniquement des crédits dont les bénéficiaires sont morts ou devenus invalides. « Pour d’autres clients qui refusent de payer délibérément, la banque ferme les yeux».

Le cas de ces jeunes qui ont perdu leurs illusions quant aux crédits collectifs n’est pas isolé. Un journaliste d’un grand média burundais nous a confiés que lui et ses collègues s’étaient organisés en groupe pour bénéficier de crédits collectifs. «Dans mon groupe, nous étions une trentaine et certains n’ont pas payé leur crédit. Parmi eux, deux avaient contracté un gros crédit », a-t-il confié. Ce vétéran journaliste constate que les crédits collectifs favorisent les banques. Car, dit-il, elles doivent recouvrer leur argent quand bien même ceux qui payent seraient moins nombreux que ceux qui n’ont pas pu payer. Il précise, néanmoins que lui et ses amis ont pu s’en sortir en faisant le recours directement au procureur général de la République : « Le procureur a convoqué les épouses de ceux qui sont à l’étranger et ceux qui sont ici qui ont refusé de payer, et petit à petit le problème a trouvé une solution. Aujourd’hui, les concernés viennent de passer à peu près une année en train de payer. » Ce professionnel des médias victime de la trahison de certains de ses collègues conseille aux personnes qui remboursent des crédits pour d’autres de déposer plainte en justice contre eux. Et d’insister : « Nous, nous avons réussi à le faire.»

Les témoignages similaires sont nombreux. Certains clients des banques estiment par ailleurs que la Banque de la République du Burundi (BRB) devrait intervenir afin de protéger la population.

« La banque ne peut rien faire »

Bellarmin Bacinoni, affecté au service de la communication de la BRB, explique que la Banque centrale ne peut pas intervenir dans ce type d’affaires. Les clients et les banques, souligne-t-il, signent des contrats librement et sur base de conditions convenues. D’après lui, les banques en octroyant des crédits à leurs clients, ont besoin de garanties. A défaut des bâtiments et parcelles, la banque accepte la solidarité comme garantie. « Si une personne devient insolvable, d’autres payent à sa place, car ils ont choisi la solidarité comme garantie ». Selon M.Bacinoni, cela arrive quand aucun des clients d’une banque réunis dans un crédit collectif n’est crédible. Il soutient que la Banque ne peut rien faire sur cela : «Elle se dit, ce n’est pas grave, ce sont des amis, des connaissances qui ont signé des conventions. »

Ce cadre de la banque des banques du Burundi fait savoir que la protection des consommateurs des crédits collectifs par la banque se limite à l’explication des conventions pour savoir à quoi une personne s’engage. «La banque ne peux rien faire si les clients se trahissent au sein d’un crédit collectif. Les clients devraient plutôt être vigilants en achetant une assurance », insiste Bellarmin Bacinoni. Il conseille aux consommateurs de crédits collectifs d’être plutôt vigilants en assurant les risques de leurs crédits et en respectant leur engagement. Comme les banques se concertent avec les maisons d’assurances pour assurer les crédits des clients morts ou devenus invalides, il trouve que les clients en groupes peuvent faire de même pour prendre des assurances de leurs crédits collectifs. Ce dernier fait savoir, néanmoins, que la banque centrale peut intervenir en tenant compte de la réalité, mais ajoute que les crédits collectifs sont pratiquement gérés par des contrats.

Quelques pistes de solutions

D’après Salomon Nsabimana, spécialiste en macro-économie, les banques, en octroyant des crédits collectifs aux clients, considèrent que ce qu’une personne ne peut pas avoir individuellement elle peut l’avoir en se regroupant avec les autres. Au niveau des banques, analyse-t-il, le risque se couvre par la caution solidaire. Il reconnaît pourtant l’existence d’un risque individuel : «Tu t’exposes à un risque, car tu ne sais pas le degré d’honnêteté des personnes avec qui tu demandes un crédit collectif.»

Audry Prévert Ajeneza : « Il n’existe pas de solution prêt-à-porter. »

Pour se protéger du risque de malhonnêteté de la part d’amis ou collègues dans le cadre d’un crédit collectif, Audry Prévert Ajeneza, juriste et avocat d’affaires, affirme qu’il n’existe pas de solution prêt-à-porter. D’après lui, les avantages que procure le recours au crédit collectif sont contrebalancés par des difficultés de remboursement en cas de défaut de paiement par un des membres du groupe emprunteur. Mais il assure que quelques pistes peuvent être envisagées ».

Au civil, il propose une mesure qu’il juge relativement efficace pour se prémunir de la malhonnêteté de membres du groupe emprunteur : «Chaque membre doit, préalablement à l’obtention du prêt, signer avec son conjoint, un acte d’engagement qui comporte, entre autres clauses, l’opposabilité de l’acte d’engagement à tout nouvel employeur ou créancier ainsi que son accord pour la saisie de ses biens afin de rembourser le montant dû.» M.Ajeneza soutient qu’un tel acte d’engagement a un double bénéfice : il dissuade les emprunteurs véreux d’une part, et donne les moyens suffisants aux membres du groupe pour intenter une action en justice aux fins de remboursement, d’autre part.

Au pénal, explique-t-il, les membres du groupe peuvent saisir le ministère public, s’ils sont convaincus que le membre défaillant a frauduleusement organisé son insolvabilité. « Il s’agit de l’une des innovations apportées par le Code Pénal de 2017 en son article 307 », a-t-il souligné.


La parade de certains établissements de crédit

D’après Audry Prévert Ajeneza, Juriste et Avocat d’affaire, les établissements de crédits n’exigeant pas de garantie matérielle, font le recours à d’autres types de cautions et de garanties le plus souvent cumulatives : une souscription d’une assurance du solde restant dû par les preneurs d’assurance, une garantie financière d’un pourcentage retenu sur le montant global du crédit matérialisé par le dépôt en compte du collectif emprunteur et une caution solidaire entre les membres du groupe emprunteur doublée le plus souvent d’une domiciliation des salaires.
Ainsi, en cas de défaut de paiement de l’un des membres du groupe, l’établissement de crédit en analyse la cause pour se fixer sur les moyens de remboursement. Si le défaut de paiement, fait suite à un sinistre couvert par la police d’assurance, l’assureur prend en charge le remboursement du crédit. Dans la plupart des cas, les risques couverts sont les suivants : le décès, la perte d’emploi involontaire, l’invalidité permanente. Il est à noter que ces risques sont assortis de conditions.

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Il faut aussi penser à l’ assurance crédit collectif pour faire face aux difficultés de remboursement, c’est l’ une des meilleurs voies

  2. Nkina

    Malheureusement, nous analysons encore nos projets uniquement sur le court terme. En effet, lors des demandes de crédits, les personnes sont friandes des montants qu’elles convoitent sans trop se soucier des conditions de remboursements. On n’anticipe pas assez les problèmes.
    Il faut savoir que la confiance au départ ne doit pas exclure le contrôle et la vérification des possibilités de remboursements.

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