Avec trois cas déjà déclarés de Covid-19, le Burundi est plus que jamais sur le pied de guerre. 50 lits avec respirateurs sur tout le territoire national, l’opinion se demande si le Burundi est suffisamment armé pour faire face à cette pandémie.
Une femme de 26 ans a été testée positive au Covid-19. C’est l’annonce faite par le ministre de la Santé, Thaddée Ndikumana, à l’issue d’un point de presse tenu ce jeudi 2 avril dans la soirée.
Le ministre a révélé que des tests avaient été effectués sur vingt-trois « personnes contacts » des deux patients récemment testés positifs au Covid-19. M. Thaddée Ndikumana a ensuite déclaré que sur ces vingt-trois personnes dépistées, vingt-deux ont été testées négatives. « Un seul cas est revenu positif. Une jeune fille de 26 ans qui cohabitait avec un des deux patients récemment testés positifs », a précisé le ministre Ndikumana.
Cette patiente, d’après le ministre, est actuellement suivie au ‘’Centre de traitement du Covid-19’’ à la Clinique Prince Louis Rwagasore. « Son état général est bon », a souligné le ministre.
C’est un ministre de la Santé, d’habitude très à l’aise avec la presse, qui, lors de l’annonce des deux premiers cas de malades testés positifs au Covid-19, ce mardi 31 mars, a semblé quelque peu crispé, évasif…Sans doute mesure-t-il la tâche titanesque qui l’attend.
Cette nervosité semble attester qu‘au plus haut niveau, la situation n’est pas entièrement sous son contrôle malgré les assurances.
En témoigne aussi, sa dernière sortie médiatique dans la soirée du mercredi 1er avril, s’empressant de rassurer la population : « Les usagers de la Clinique Prince Louis Rwagasore ne doivent en aucune manière avoir peur d’être contaminés. Puisque toutes les dispositions ont été prises pour séparer le centre de traitement du Covid-19 avec les autres services de soins de l’hôpital ». Et de préciser : « Le travail d’identification et de mise en quarantaine des cas-contacts des 2 personnes testées positives au Covid-19 se poursuit normalement.»
Malheureusement, se désole H.N, un expert en santé publique, cette mobilisation est loin de suffire, tant que persistent certaines habitudes.
Pour lui, plus que jamais, il est grand temps que les autorités habilitées décrètent des mesures claires empêchant le rassemblement des gens dans des endroits susceptibles d’accueillir beaucoup de monde. Idem pour les transports en commun. « C’est bien que la prière affermit la foi. Mais, à ce stade, à tous les échelons, les administratifs se doivent d’éviter d’être laxistes et comprendre l’urgence de la situation ». Si besoin, cet expert n’exclut pas la pulvérisation quotidienne de tous les bus assurant le transport en commun. Les frontières poreuses de certaines provinces avec les voisins (RDC, Tanzanie, Rwanda) sont l’autre maillot faible dans la lutte. « Une bombe à retardement au plus vite qu’il faut désamorcer au risque de voir la maladie se propager à l’intérieur du pays ».
Malgré les cas déjà avérés, soutient Alain, chauffeur d’une ONG : «Il reste une large frange de la population qui ne veut pas se plier aux mesures d’hygiène.» Pour lui, une preuve à suffisance qui montre qu’à l’instar des centres urbains, une importante sensibilisation doit être entreprise.
Un arsenal loin de suffire
Avec quatre extracteurs (machines servant à tester le Covid-19) de l’INSP dont deux à mesure de faire 96 tests en même temps toutes les 3 heures et deux autres capables de traiter 32 échantillons, si l’on s’en tient aux propos de M. Ndikumana, diagnostiquer la maladie ne serait pas un problème. Malheureusement, déplore l’expert en Santé publique interrogé par Iwacu, ce discours est loin de refléter la réalité tant le nombre de laborantins aptes à faire ces tests est loin d’être suffisant.
Idem pour l’accessibilité des gens de l’intérieur du pays à des centres de dépistage. « Au risque d’abandonner leur poste d’attache, il est clair qu’avec trois laborantins à mesure d’effectuer le test de PCR, l’on ne peut se targuer d’être suffisamment préparés pour faire face à beaucoup de cas ». Comme les extracteurs à 32 échantillons sont mobiles, estime-t-il, il devrait y avoir des équipes de laborantins mobilisables dans chaque province. « Cela préviendrait les complications de la maladie puisque les dépistages se feraient en temps réels ».
Quid de la capacité d’accueil en cas d’hospitalisation ? Autour de 50 lits équipés (respirateurs compris) sur tout le territoire national. Des experts de l’OMS, s’exprimant sous anonymat, sont unanimes : Un nombre très insuffisant. « Si nous tenons compte des habituelles projections pour se préparer en cas de pareille pandémie, ce chiffre est 24 fois inférieur aux prévisions ».
Une question d’arithmétique. Prenant l’exemple de la ville de Wuhan (Chine) dont la population est estimée à 12 millions (population équivalente à celle du Burundi), 10% de cette population a contracté la maladie. 80% de cette population y ont résisté à la maladie et n’ont donc pas développé des symptômes susceptibles d’être traités à l’hôpital. Sur les 20% restants, 5% ont vu leur état se dégrader au fil du temps, développant une détresse respiratoire. Cette dernière a entraîné l’utilisation de respirateurs mécaniques. La ville a fait feu de tout bois pour trouver 12 000 lits avec respirateurs. D’après cet expert, ce chiffre correspond à l’effectif de lits dont devrait disposer le Burundi pour faire face au Covid-19.
Des projections qui font peur
A ses débuts, considérée comme une maladie dont les victimes sont principalement des gens âgés (généralement plus de 60 ans), les décès d’adolescents (France et Belgique) ainsi que celui d’un bébé de six mois (aux USA), montrent que la maladie peut frapper tout le monde. Un taux de létalité, d’après les études de l’OMS, qui va croissant quand les défenses immunitaires sont amoindries. Eu égard à cette situation, laisse entendre C.N, un statisticien contacté, cette maladie fera des ravages énormes au Burundi, si jamais elle venait à se généraliser sur tout le territoire national. Allusion faite au taux de malnutrition chronique avoisinant les 60% chez les enfants âgés de 0-59 mois dans plusieurs localités de l’intérieur du pays. Avec 30 % de la population burundaise dont l’âge est compris entre 15 -25 ans, ce statisticien ne cache pas que c’est la jeunesse qui serait frappée de plein fouet.
La quarantaine pour les voyageurs, une mesure chancelante
Pour faire face au Covid-19, le ministère de la Santé a notamment annoncé il y a plusieurs semaines, la mise en quarantaine pour les voyageurs arrivant des pays affectés par la pandémie. Une mesure dont l’application laisse entrevoir des failles énormes.
U.T. est arrivée de Belgique le 16 mars pour le deuil d’un proche. Quatre jours plus tôt, le ministère de la Santé a décrété que les passagers en provenance de tous les pays de l’Union Européenne seront placés en quarantaine.
U.T., comme d’autres voyageurs, sera ainsi transférée à l’hôtel Méridien Source du Nil. « Des membres du personnel soignant dotés de masques venaient nous prendre la température le matin et le soir », raconte cette femme d’une quarantaine d’années.
U.T. précise que les repas étaient servis dans les chambres. Cependant, selon cette Burundaise établie en Belgique, une légèreté s’observait dans le respect de la distanciation sociale de la part des pensionnaires de l’hôtel. « Beaucoup de gens là-bas n’éprouvaient pas l’envie de rester confinés dans leurs chambres respectives. Du coup, comme tout le monde voulait sortir ‘’pour prendre de l’air’’, nous nous retrouvions souvent dehors, à plusieurs ! ».
Toutefois, la mère de famille juge que « les autorités sanitaires ont fait de leur mieux dans la prise en charge des personnes confinées à cet hôtel».
L.J. est un jeune burundais effectuant ses études secondaires au Rwanda. « Quand nous avons appris le premier cas de coronavirus au Rwanda, nous nous sommes dépêchés de rentrer au Burundi. Nous formions un groupe de 24 élèves, tous de la même école », raconte cet adolescent.
Mais ce retour sera jalonné d’obstacles. « A notre arrivée à la frontière, nous avons été stoppés net par des militaires rwandais » Pour le groupe, c’est un retour à leur établissement, escortés par les soldats rwandais. L.J. et ses amis ne renoncent pas pour autant à retourner dans leur pays natal. Au bout de six jours, ils retentent un départ vers le Burundi. Bingo ! Cette fois-ci, les militaires rwandais les laissent franchir la frontière qui sépare les deux pays.
A ce moment-là, les autorités burundaises n’ont pas encore décrété la fermeture des frontières avec les pays voisins, tous déjà atteints par le coronavirus. « Aucune mesure de confinement ne nous a été appliquée à notre arrivée sur le sol burundais. On nous a juste pris la température et il nous a été ensuite permis de regagner nos familles », témoigne cet adolescent.
L.J. révèle ensuite que d’autres personnes ont pu franchir la frontière burundo-rwandaise le même jour, sans être soumises à un isolement. « Quand nous avons constaté que le confinement nous a été épargné, nous avons pris le soin de prévenir d’autres personnes qui, à leur tour, se sont empressées de rentrer au Burundi. Certaines avaient déjà fait marche arrière en direction de Kigali », affirme l’élève.
Alphonse Yikeze
Coronavirus : les prix des denrées alimentaires grimpent en flèche
Suite à l’annonce de cas positifs au COVID-19, les prix de certaines denrées alimentaires sont en hausse. Les consommateurs sont angoissés. Les commerçants, eux, soutiennent que leurs stocks sont vides.
Mercredi 1er avril, au lendemain de la déclaration du ministre de la Santé, il s’observe des mouvements d’achat frénétiques de denrées alimentaires non périssables.
Au marché City Market communément appelé chez Sion, les citadins viennent s’approvisionner et remplissent des sacs de produits alimentaires.
« C’est vraiment compliqué », se plaint Jeannette, une femme rencontrée sur la place. Elle fait savoir que les commerçants profitent de cette pandémie pour augmenter les prix des produits. Les prix qui flambent sont ceux des produits alimentaires de première nécessité tels le riz, le haricot et l’huile de cuisine.
Cette situation inquiète Jeannette. « 1 kg de haricots appelés Kinure qui s’achetait 1600 BIF avant la déclaration de la pandémie est passé à 2300 BIF »
D’après elle, le prix des haricots jaunes qui était à 2200 BIF, se vend actuellement à 2700 BIF le kilo. Les haricots de type « Kirundo » s’achètent aujourd’hui à 2000 BIF le kilo alors qu’ils se vendaient à 1600 BIF le kilo le 31 mars.
Pour l’instant, cette femme qui peinait déjà à joindre les deux bouts avant la pandémie, se retrouve dans une situation délicate et a du mal à cacher sa tristesse. « J’étais venue me procurer 10 kg de riz et 10 kg de haricots. Mais j’ai découvert que mon budget n’est pas suffisant »
Cette maman défend ne pas vouloir laisser ses enfants mourir de faim. « Je n’achèterai que la moitié de ce que j’avais prévu. » Et d’ajouter que si elle avait assez d’argent, elle se constituerait un stock de vivres. « De toutes façons, personne ne sait quand ce coronavirus va s’arrêter ».
Les consommateurs angoissés
Divine est aussi dans le désarroi. Elle veut acheter de l’huile de cuisine appelée « Golden ». Mais, elle constate que le prix de ce produit a augmenté : « En une seule nuit, le prix d’une quantité de 5 litres est passé de 22 mille à 27 mille BIF. »
Aujourd’hui, conclut-elle, seuls ceux et celles qui disposent de moyens peuvent s’en procurer. Pour elle, les faits sont têtus. Les personnes aisées se préparent au pire en cas de propagation du Covid-19. Mais les pauvres, quant à eux, en manque d’argent, ne peuvent se le permettre.
Selon un commerçant rencontré à ce marché, cette hausse est provoquée d’une part par les consommateurs eux-mêmes. Plus la peur du coronavirus se répand, plus les consommateurs se ruent vers les marchés pour constituer des réserves d’urgence. Les stocks se vident, et les commerçants ne peuvent répondre à la demande. Or, la situation continuera probablement de s’aggraver, les importateurs assurant ne pas en avoir fait de commande.
Selon lui, lorsque les stocks baissent, les prix montent parce que les articles les moins chers se vendent plus rapidement. Les consommateurs n’ont donc d’autre choix que de finir par acheter ces mêmes produits à des prix plus onéreux.
D’autre part, les commerçants peuvent profiter du déséquilibre entre l’offre et la demande pour hausser les prix. Ils peuvent aussi les faire grimper par le fait des fournisseurs. Cela étant la conséquence de la hausse des coûts au niveau de la chaîne d’approvisionnement. En gros, le stress engendré par le coronavirus suscite la rareté d’un certain nombre de produits. Par voie de conséquence, un vice se profile : la spéculation.
Le commerçant appelle ainsi le gouvernement à suivre de près l’évolution des prix afin d’endiguer la spéculation pouvant survenir du fait de cette pandémie.
Pierre Claver Banyankiye
Gaston Sindimwo : « Ceux qui aident à sortir les personnes mises en quarantaine sont assimilables à des criminels.»
« Ceux qui aident à sortir les gens qui sont en quarantaine, trois ou quatre jours après, tout en versant des pots-de-vin, sont assimilables aux criminels », a lancé Gaston Sindimwo, premier vice-président de la République. C’était ce jeudi 2 avril dans une interview accordée à Iwacu.
M. Sindimwo souhaite la fermeture des frontières. « Le personnel travaillant aux frontières doit rentrer et travailler chez lui. », a tranché le candidat de l’Uprona à la présidentielle.
Pour le premier vice-président de la République, c’est la meilleure des solutions pour se prémunir contre le coronavirus.
Il appelle également les forces de l’ordre à être vigilantes pour l’intérêt du peuple burundais. « Sinon, ils seront poursuivis par la loi », a-t-il prévenu.
Quant aux Burundais vivant à l’étranger et voulant rentrer durant cette période, il leur demande de s’en abstenir. « Ils devraient attendre une date ultérieure pour rentrer au pays », a-t-il ajouté.
Dorine Niyungeko