L’administration de Makamba arrête un couvre-feu. Les bistrots du chef-lieu de la province doivent fermer à 22h00. Propriétaires et clients dénoncent une décision arbitraire et injuste.
Il est 16h, lundi 24 mai. Dans la fraîcheur du soir, plusieurs bistrots sont ouverts dans différents coins du chef-lieu de la province Makamba. Ceux qui rentrent du travail se retrouvent autour d’un verre. L’heure est aux grillades de viande de chèvre ou de bœuf. Des bistrots sont bondés. L’ambiance est bon enfant. Les clients sont assis en petits groupes pour bavarder. Le couvre-feu de 22h reste sur toutes les lèvres.
Une décision de l’administration est tombée comme un couperet le 18 juin 2019 : désormais tous les bistrots doivent fermer à 22h00. Joseph Ntungwanayo, administrateur communal de Makamba menace : quiconque enfreindra cette mesure, sera puni conformément à la loi. Cette décision, dit-il, vise à préserver la sécurité dans ce centre qui ne cesse de s’agrandir. Une autre motivation serait un appel à la responsabilité sociale des vendeurs et consommateurs de la bière. Ici le vendeur et les clients sont mis dans le même sac.
«Il est irresponsable de passer toute la nuit au bistrot. C’est un gaspillage des ressources familiales», explique Joseph Ntungwanayo, administrateur de la commune Makamba. Par ailleurs, cet administratif fait savoir que cette mesure vise aussi à préserver la force du travail du lendemain. Car, enchaîne-t-il, celui qui a passé toute la nuit à s’enivrer ne peut pas vaquer normalement à ses activités.
« C’est une décision unilatérale et injuste »
Pour les tenanciers des cabarets, cette mesure est un coup dur pour leur commerce. M. K., gestionnaire d’un bistrot des produits Brarudi sur la route Makamba-Mabanda, communément appelé « Kubuyezi », n’en revient pas : « C’est une décision unilatérale et injuste dont on ignore les visées.» Pour lui, la décision en soi n’a pas raison d’être au moment où la paix et la sécurité sont une réalité. « Nous devrions travailler 24 sur 24 h pour être compétitifs dans l’EAC». Il appelle les autorités à lever cette mesure qui met à mal le commerce, afin de les laisser travailler tranquillement.
Selon un serveur du bar situé en face de la paroisse catholique de Makamba, les bistrots ouvrent d’habitude à 12h. Entre 20h et 22h, c’est l’affluence des clients. « Il devient alors difficile de refouler un client qui a déjà pris place. C’est mettre notre commerce en danger», se lamente ce jeune homme.
Même son de cloche pour un rôtisseur au snack-bar Makamba Paradise, qui abrite parfois des karaokés et concerts. Cette décision, dit-il, a été un coup dur. Il croit que leur commerce sera fortement affecté. « Nous perdrons nos clients, la plupart viennent pour passer des soirées dansantes. » L’air désespéré, il fait savoir qu’ils se sont pliés à cette mesure. « A 21h30 les portails sont fermés pour ne pas se faire avoir.»
Une autre catégorie d’habitants s’inscrit en faux contre cette mesure. Les amateurs du ballon rond. Ces derniers ont l’habitude d’assister au foot en décapsulant une bière. Pour cette coupe d’Afrique des Nations, il y a eu des aménagements dans certains bistrots, souffle un jeune adolescent, afin de bien suivre des matches qui peuvent dépasser l’heure de fermeture décidée par les autorités « Après la CAN, tous se soumettront à la volonté des autorités administratives».
Les tenanciers des bistrots ne sont pas les seuls à se lamenter. Les clients ne cachent pas leur indignation. « C’est un moment propice pour se divertir et oublier le stress du travail et nous sommes déstabilisés par la police», se désole Joseph Bigirimana, un trentenaire. Et d’ironiser aussitôt: « L’administration ne croit même plus en la paix et la sécurité qu’elle vante toujours. »
Abu Mohamed, un jeune du quartier Swahili, lui explique qu’il serait « suicidaire » de se promener aux environs de 21h compte tenu d’un nombre impressionnant des policiers dans les rues.
La décision a déjà fait des victimes
Un jour avant que la décision ne soit prise par l’administrateur, des individus ont été arrêtés et incarcérés.
Valentine Niyonzima, l’une d’elles, vend de la bière locale dans un bistrot se trouvant dans le quartier Rugarama. Tout a commencé le lundi 17 juin, à 21h 30, raconte-t-elle en larmes. « J’attendais le boutiquier chez qui je conserve mes bidons de boissons. Aussitôt le véhicule du commissaire provincial est arrivé. Aucun client n’était au cabaret. Ce dernier a embarqué de force tous ceux qui s’y trouvaient. Du coup, il commença à nous tabasser …»
Elle déplore d’avoir été tabassée et incarcérée arbitrairement alors que le Burundi est un Etat de droit. Après 24h, au cachot de la police sans interrogatoire, les tenanciers des bistrots ont été infligés d’une amende de 20mille BIF tandis que les autres ont payé 10 mille. « La décision du lendemain est venue pour légitimer l’injustice dont nous avons fait l’objet», considère la quinquagénaire.
Joseph Ntungwanayo, administrateur de Makamba, balaie toutes ces accusations. Il rassure et rappelle que la décision n’est pas nouvelle : « Ce n’est qu’un rappel, car les gens commençaient à exagérer.» Pour lui, l’administration ne veut pas bloquer les vendeurs et les consommateurs de boissons, mais plutôt les rappeler à la responsabilité.
Face aux inquiétudes suscitées par cette décision dans une localité en sécurité, M. Ntungwanayo s’explique: « Quand la paix et la sécurité est une réalité, les malfaiteurs en profitent pour accomplir leur sale besogne. Nous devons être vigilants».
Pour les policiers observés dans les rues du chef-lieu de la province, surtout la nuit, l’administrateur communal tranquillise, « c’est leur travail de routine cela ne devrait inquiéter personne».
Pour toute personne lésée, M. Ntungwanayo se veut clair : « elle n’a qu’à saisir les autorités compétentes !»