Mercredi 27 avril, le ministre en charge de la Sécurité publique a annoncé le retrait de tous les policiers affectés à la protection de certaines personnalités de l’Etat. Une mesure qui, selon un expert en sécurité, doit s’accompagner d’un cadre légal.
Par Abbas Mbazumutima et Alphonse Yikeze
Au cours d’une rencontre avec les nouveaux cadres nommés par décret, le ministre Gervais Ndirakobuca a précisé qu’il y aura des exceptions, cette mesure de retrait des policiers chargés d’assurer la sécurité des certaines autorités ne concernant que les personnalités dont la sécurité n’est pas en danger.
« Nous avons pris la résolution qu’il n’y aura plus de policiers chargés de la protection de certaines personnalités, ils vont rejoindre les casernes avec leur matériel. C’est pour que ces camps fassent un suivi en cas d’affectation. Il faut que nous sachions en cas de déploiement, leur provenance et leur poste d’attache », a-t-il martelé.
Selon le ministre Gervais Ndirakobuca, le constat est qu’il y a beaucoup de policiers chargés de la sécurité de certaines personnalités alors que leur affectation n’est pas claire, ce qui rend leur contrôle assez difficile.
D’après le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, cette décision intervient dans le but de permettre que ces policiers fassent leur travail « au lieu de rester cloîtrés dans les résidences de ces autorités ».
Eclairage / Gérard Birantamije : « Il faut un cadre légal »
Le professeur d’université et spécialiste des questions de sécurité estime que la décision du ministre en charge de la Sécurité publique va permettre de repenser la restructuration de la police et du travail de la police.
Comment évaluez-vous la décision du ministre ?
Dans l’hypothèse que cette mesure sera observée et mise en œuvre, je vois deux avantages et un inconvénient.
Le premier avantage est qu’elle va permettre de repenser la restructuration de la Police et du travail de la Police. Dans un audit que le projet de professionnalisation de la police avait mené dans les postes de police pilotes du projet, l’audit mettait en exergue le fait qu’un agent de la police n’a pas de travail planifié, que parfois il ne savait pas ce qu’il allait faire le lendemain.
C’est un passage anodin mais qui en dit long. Le fait que des policiers s’adonnent joyeusement à l’escorte de différentes personnalités, tel le chef de colline, tel le commerçant du coin, tel autre le chef local du parti, n’est pas moins un signe d’oisiveté. Bien évidemment d’autres facteurs comme le salaire, la pauvreté… justifieraient ce type d’attrait. Donc si la mesure est prise au sérieux, elle va permettre de dégager des effectifs importants qui vont être mis à la disposition des citoyens.
Le deuxième avantage est que la mise en œuvre va donner lieu à une disposition légale. Cette dernière va permettre d’en savoir plus sur les droits, sur les dangers qui peuvent motiver cette demande de protection personnelle ainsi que la contrepartie si le service est donné par exemple aux acteurs privés ( un homme d’affaires, une autorité religieuse, un étranger, etc.).
Bref, c’est une carence de cadre légal régissant cette activité policière qui donne lieu à des pratiques que l’autorité gestionnaire de la police peine à contrôler.
Qu’est-ce qui explique un tel vide juridique ?
Cela remonte à la création de la police nationale. C’est comme si la mauvaise pratique décriée a été déjà institutionnalisée. Dans mes recherches de la décennie 2010 sur la réforme de la police, j’avais montré que l’escorte policière était une pratique assez moins réglementée et qu’elle posait d’énormes problèmes de gestion des effectifs, qui par ailleurs demeuraient assez moins précis, le recensement effectué avec l’appui de l’International Center for transitional Justice(ICTJ) ayant été quasiment un fiasco.
En substance, que le problème se pose en 2022, c’est encore plus compréhensible si on fait une translation sur l’axe du temps. D’une part les recrutements ont continué mais ont visé beaucoup plus la catégorie des officiers, d’autre part, il y a eu des départs à la retraite et des décès, et enfin la crise de 2015 a sans doute chambardé les schémas de gestion de ressources humaines, avec la création de nouvelles unités spécialisées ou encore les problèmes de doublon dans le commandement qui ont été observés et décriés.
Mais au-delà, la question de qui bénéficie d’une escorte policière se pose avec acuité. Il en est de même de celle de la garde des habitations des dignitaires. Il n’y a pas de cadre légal qui le précise, sauf pour les sommets de l’Etat. Et je pense qu’il ne s’agit pas de ceux-là que le ministre évoque dans sa dernière sortie.
Cela est d’autant plus grave que certains crimes qui se commettent tels que les cambriolages et les vols à main armée sont de plus en plus imputés à la police. Les criminels sont en tenue policière et parfois se déplacent avec des véhicules connus pour être ceux de la police. Il est donc légitime que le ministre sorte de ses réserves, mais encore faut-il qu’il ne se limite pas aux paroles prononcées.
Il faut un cadre légal qui montre dans quelle circonstance une autorité, de la base au sommet, peut faire recours aux services de l’escorte policière. Sinon, comme le dit l’écrivain Emmanuel Bove : « Il n’y a rien de plus trompeur que la bonne intention, car elle donne l’illusion d’être le bien lui-même.»
N’y aura-t-il pas des effets sur les autorités qui se verront retirer leur escorte policière du jour au lendemain ?
En revanche, si l’escorte policière serait liée à l’insécurité rampante que l’autorité peine à assumer, le retrait va avoir un effet sur la psychologie des acteurs et des autorités jusqu’ici protégés individuellement par la police. L’histoire nous montre qu’en de telles circonstances ce genre d’acteurs se rabat à la sécurité privée. Or, cette dernière n’est pas structurée au Burundi pour offrir les mêmes services que ceux recherchés à la police, notamment le port d’armes qui reste tout de même un facteur de dissuasion qu’on est bien protégé. Ce qui chemin faisant, ouvre la vanne à l’armement ou au réarmement des populations civiles, du moins ceux qui le peuvent.
Je m’interroge si réellement les différents haut cadres de l’Etat ( certains directeurs généraux, certains directeurs, …) et même certaines personnalités du secteur privé , bénéficient d’une escorte par nécessité ou par mégalomanie ou folie de grandeur comme on dit. Certains parmi eux, avec souvent une camionnette d’escorte pleine de policiers, ne supportent même pas d’attendre sur la file dans les embouteillages. Les policiers sifflent, priiiii, dégagez, laisser la place au chef! Et les automobilistes s’exécutent non sans grogne timide. Et on a des dizaines de cas chaque jour à Bujumbura.
Et on ne peut pas ne pas avoir des questions. Toutes ces personnalités, se sentent -elles vraiment en insécurité pour avoir une escorte de policiers? Y-a-t-il une analyse préalable de la menace sécuritaire avant d’accorder une escorte ? Ces cadres ou autorités de l’Etat , qui probablement pour des raisons d’insécurité se déplacent avec deux, trois, quatre, ………..douze véhicules , ne s’agit-il-pas d’une malversation pure et simple?
Imaginez le cout d’une escorte de 2,3,4,5,…….12 véhicules pour une bonne dizaine de cadres et autorités de l’Etat! Imaginez le cout à charge du contribuable qui paie la facture! N’est-ce pas honteux! Même s’il y a des menaces d’insécurité, on doit gérer en suivant le principe d « une gestion efficace et efficiente ». Si la sécurité peut être assurée par une escorte de deux ou trois véhicules, pourquoi on en apporte une dizaine. Cette gestion très laxiste du patrimoine de l’Etat est tout mais elle n’est ni bonne, ni rationnelle. Elle est un cas typique de malversation économique, elle traduit une absence de reflexe de bonne gestion pour nos gestionnaires.
Ils devraient savoir qu’ils sont là pour bien gérer le patrimoine commun de l’Etat, dans l’intérêt Général de tous les citoyens. Et ce phénomène traduit également une répartition inéquitable des moyens de l’Etat.
Vous avez déjà vu les moyens de déplacement mis à la disposition des policiers qui assurent le respect de la règlementation de la circulation routière? C’est pathétique! Et à la fin du travail, après le boulot, ils font parfois de l’auto stop.
@JIGOU MATORE
« Certains parmi eux, avec souvent une camionnette d’escorte pleine de policiers, ne supportent même pas d’attendre sur la file dans les embouteillages. Les policiers sifflent, priiiii, dégagez, laisser la place au chef! »
Cela ressemble un peu à la mentalité coloniale; n’est-ce pas?
Jewe naratangaye kumva ko hari uwutashimye ivyo uwundi yariko aramuhanura hanyuma amwishura ati:« Iyo twoba turi i Burundi nokweretse… »
Yari azi yuko mu gihugu arimwo, umuntu akomerekeje canke yishe uwundi, igipolisi kigira amatohoza hanyuma inkozi y’ikibi igafatwa.
Lero mbona i Burundi bigoye kumenya uwukwiye gukingirwa. Nko kurugero, woshobora kuba indongozi yo kurwego rw’intango nko ku mutumba, mugabo ukarwa mu mporero y’ivyo abayobozi bo hejuru bagirizwa/une cible facile kuko utaba ufise abapolisi bakingira ubuzima bwawe.
« […] cette mesure de retrait des policiers chargés d’assurer la sécurité des certaines autorités ne concernant que les personnalités dont la sécurité n’est pas en danger. »
Comment est-ce possible que dans un pays où les dirigeants assurent au monde entier que la paix règne, qu’il n’y a plus de raison que des Burundais vivent en exil, etc. l’on puisse affirmer qu’il y a des personnalités dont la sécurité est en danger?
@Arsène
Allez ! Supposons qu’il s’agit des personnalités dont le protocole exige une garde. A part cela, vous avez complètement raison.
@Murwi
J’assistais à l’ouverture de l’année académique à l’Université de Genève quelques années en arrière et le discours d’ouverture était prononcé par la présidente de la Confédération suisse cette année-là (Mme Ruth Dreifus). Les prises de paroles se succédant, un des orateurs du jour nous fit remarquer que la présidente de la Confédération était venu en bus et sans garde du corps. Les conseillers fédéraux suisses (comme sont appelés les ministres), dont un d’entre eux est en même temps président de la Confédération, n’ont pas de garde-du-corps.
Quelques années plus tard, en 2014, une photo a fait le tour du monde. On y voit le président de la Confédération seul sur le quai d’une gare (où il attendait le train), ses yeux rivés sur son smart phone.
https://www.lenouvelliste.ch/suisse/une-photo-de-didier-burkhalter-prise-en-gare-de-neuchatel-fait-le-buzz-342564