Les confédérations syndicales Cosybu et CSB s’indignent contre l’annonce récemment faite par le Premier ministre ordonnant la suspension des retenues à la source des cotisations syndicales. Elles demandent au gouvernement de suspendre cette mesure et de recourir au dialogue social.
« Sur base de quoi un syndicat retire à la source des cotisations des travailleurs ? Je vais parler avec le ministre du Travail et de l’Emploi pour que le retrait à la source des cotisations syndicales soit suspendu », a fait savoir le Premier ministre Gervais Ndirakobuca, lors d’une descente effectuée en province Makamba, ce 3 février.
Pour lui, un travailleur qui veut cotiser dans son syndicat le fera de son propre gré, après avoir retiré son salaire : « Il ne faut pas que le gouvernement facilite le vol perpétré par les syndicats à l’endroit des travailleurs. Cela est un vol ».
Et de demander pourquoi des syndicats sont dirigés par des retraités. Pour lui, on ne peut pas représenter un employé ou employeur alors qu’on travaille nulle part.
« Toutes ces déclarations n’ont d’autres visées que d’empêcher définitivement l’organisation et le fonctionnement des syndicats du Burundi, en violation flagrante de la législation nationale du travail et les conventions internationales de l’Organisation internationale du travail (OIT) que le Burundi a ratifiées », fait savoir Célestin Nsavyimana, président de la Confédération des syndicats du Burundi (Cosybu), dans une conférence de presse animée ce 8 février.
Selon lui, la retenue à la source des cotisations syndicales des travailleurs syndiqués est un processus qui a été défini de commun accord entre les syndicats et le ministère du Travail, en application de la convention n° 135 de l’OIT relative aux facilités à accorder aux travailleurs : « Une fiche d’engagement individuel a été confectionnée par le service de la gestion des traitements en collaboration avec les syndicats ».
Et de souligner que cette fiche est signée par tout adhérant à une organisation syndicale pour manifester sa volonté et sa liberté à adhérer dans une organisation de son propre choix, ainsi que le montant qu’il cotise mensuellement.
Pour les syndicats Cosybu et CSB, suspendre la retenue à la source des cotisations des travailleurs syndiqués viole la convention no 98 de l’OIT sur le droit d’organisation et de négociations collectives et la Convention no 144 sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail.
Selon elles, toutes les menaces perpétrées à l’endroit des organisations syndicales et leurs initiatives sont des manœuvres d’échapper aux doléances des travailleurs régulièrement soulevées par leurs syndicats : « Cela prouve à suffisance l’ingérence du gouvernement dans l’administration et le fonctionnement des syndicats ».
Elles rappellent que les travailleurs burundais font actuellement face à une extrême pauvreté occasionnée par la cherté de la vie, la dévaluation de la monnaie et l’inflation, le non-respect des accords conclus dans les secteurs de l’éducation, santé, justice et dans certains établissements publics et parapublics.
Les deux confédérations syndicales demandent au gouvernement de suspendre cette mesure et recourir au dialogue social pour régler « toutes les incompréhensions observées entre le Premier ministre et les organisations syndicales des travailleurs du Burundi ».
Pour elles, tout acte qui viole les principes de la Charte nationale de dialogue social et ceux des normes nationales et internationales du travail leur obligerait à faire une saisine auprès du président du Comité national de dialogue social (CNDS), des instances habilitées du Bureau international du travail (BIT), sans oublier des actions à mener conformément à la loi.
Que dit la loi burundaise ?
L’alinéa 4 de l’article 595 de la loi no 1/11 du 24 décembre 2020 portant révision du code du travail du Burundi stipule que les membres chargés de l’administration et de la direction d’un syndicat doivent exercer ou avoir exercé la profession ou le métier.
Pour le président de Cosybu, Célestin Nsavyimana, s’attaquer aux représentants syndicaux chargés de l’administration et de la direction des syndicats sous prétexte qu’ils ne travaillent nulle part est une volonté délibérée d’infantiliser les travailleurs dans l’optique de nuire à leur dignité et légitimité de représenter les membres de leur organisation qui leur ont assigné ces fonctions et phagocyter le mouvement syndical burundais.
« Peut continuer à faire partie d’un syndicat professionnel, quiconque a quitté l’exercice de sa fonction, de sa profession ou de son métier sans distinction de sexe ou de nationalité », lit-on dans l’article 591 du code de travail du Burundi.
Selon l’article 589 du même code, les pouvoirs publics, les organisations d’employeurs et de travailleurs doivent s’abstenir de tous actes d’ingérence des unes à l’égard des autres dans leur formation, leur fonctionnement et leur administration.
Mais où est le problème?
Le gouvernement n’empêche pas aux syndicats de percevoir les cotisations, il refuse la corvée et les frais bancaires éventuels liés aux opérations de dépôts ou d’émission des chèques aux syndicats. Les syndicats appellent cela des « facilités accordées aux travailleurs» conventionnées. Quelle nuance de points de vue!
La corvée peut aller du déchiffrage de l’écriture sur ce fameux formulaire, à la vérification de son authenticité et la correction des erreurs, la saisie des donnée, le traitement et le suivi des plaintes, etc. Prenez tout cela, multipliez-le par le nombre de salariés (et de faux salariés), le nombre d’agences bancaires et celui des syndicats (n’oubliez pas que ceux nommés ci-dessus sont des confédérations de syndicats). Ensuite, divisez cela par le nombre d’employés du gouvernement qui s’occupent de « la corvée» (gestion des traitements salariaux). Rappelez-vous aussi qu’il y a des coûts liés à la gestion « physique » de ces formulaires : classement, déplacements, entreposage, archivage, destruction, changements d’emploi et de syndicat, etc.Et les gens se plaignent quand il y a des retards de versements de salaires!
Ces retraités, ils vont commencer à travailler ou ils choisiront la retraite pour de bon. Quel mal y a-t-il à cela? D’après ce qu’on lit souvent dans les nouvelles, les syndiqués aiment leurs syndicats et ils n’auront presque pas problème à leur céder leur cotisation.
Au lieu de percevoir à la source, les syndicats peuvent faire le prélèvement automatique à même le compte bancaire des membres. Sinon certains de ces derniers vont rechigner avant de leur céder une partie de leur salaire, peu importe les raisons personnelles. Sous réserve de me tromper, il n’y a pas de loi qui « oblige » chaque employé de l’État d’être syndiqué. Ni celle non plus qui oblige le gouvernement de retenir les cotisations syndicales à la source.
C’est une bonne décision, à condition qu’elle s’applique uniquement aux salariés de la fonction publique. Et je n’ai pas encore entendu parler de syndicats du secteur privé.
Soit dit en passant, les syndicats ne sont pas supposés s’enrichir aux dos de leurs membres. Ils ont besoin d’un budget de fonctionnement et des fonds pour indemniser les membres lors de grèves. Les surplus sont censés être retournés périodiquement aux cotisants. Il serait temps que… une idée est née!
Selon Célestin Nsavyimana, « s’attaquer aux représentants syndicaux chargés de l’administration et de la direction des syndicats sous prétexte qu’ils ne travaillent nulle part est une volonté délibérée d’infantiliser les travailleurs dans l’optique de nuire à leur dignité et légitimité de représenter les membres de leur organisation qui leur ont assigné ces fonctions […] »
Je crois que s’attaquer aux représentants syndicaux n’est pas seulement une façon de s’ingérer dans l’organisation de ces associations en violation flagrante de la loi, c’est à mon avis principalement dans un autre but que nous avons connu au Burundi et connaissons depuis longtemps, à savoir celui de faire taire toute voix discordante et toute revendication. On sait combien, même au sein des entreprises, les représentants syndicaux sont les cibles faciles des licenciement abusifs lorsqu’ils osent dénoncer ce qui ne marche pas. Un retraité ne sera pas licencié en cas de revendication, il tient de ce fait le couteau par le manche. Cela ne fait pas plaisir aux autorités.