Accusés d’ «imputation dommageable», deux représentants des syndicats Sygepebu et Sepeduc sont emprisonnés à Bujumbura. A l’origine, la résistance de ces syndicats à adhérer de force dans la Cossesona, la coalition des syndicats des enseignants. C’est la panique chez les autres affiliés…
Réalisé par Edouard Nkurunziza & Rénovat Ndabashinze
Les deux syndicalistes, désormais prisonniers, n’auraient jamais pensé que cela allait prendre une telle ampleur. Gérard Niyongabo et Antoine Manuma, successivement représentants nationaux du Sepeduc et du Sygepebu peu avant leur arrestation, pensaient débattre avec le représentant légal de la Cossesona, Victor Ndabaniwe. La discussion au sujet du retrait mensuel de 500 BIF sur les salaires de tous les enseignants était animée.
Selon les témoignages, Victor Ndabaniwe, était alors tenant d’un «forcing compréhensible». Les deux syndicalistes eux avançaient une autre opinion privilégiant « le choix et la volonté» pour intégrer un syndicat. Bref, la liberté d’association.
Le patron de la Cossesona leur opposait une «solidarité à tout prix». «Ndabaniwe disait que tous les enseignants, membres ou non de la Cossesona, doivent contribuer pour le bien de tout le monde», rapporte un témoin.
Pas question de se soustraire de cette bonne initiative, expliquait-il., D’après lui, le Cossesona a aussi réclamé des avantages pour tous les enseignants sans exception aucune. Il évoquait notamment la réclamation et la lutte sans merci contre les disparités salariales dont les premières victimes étaient des enseignants. Sauf que Gérard Niyongabo et Antoine Manuma savaient que lors de ces réclamations, Cossesona n’avait pas encore vu le jour…
Une pétition, la goutte qui fait déborder le vase
Dans ce débat, Victor Ndabaniwe semblait ne pas comprendre pourquoi seuls Sepeduc et Sygepebu ne veulent pas adhérer dans cette coalition qui compte pourtant déjà les 7 autres syndicats des enseignants. Les deux demeuraient en effet intransigeants : «L’adhésion à une organisation syndicale est personnelle et le virement permanent d’un montant du salaire d’un employé est conditionné au consentement de tout un chacun, lui-même attesté par une signature.»
Le débat a continué à qui mieux mieux… Mais Niyongabo et Manuma, tous les deux de nature hostiles à toute décision non consensuelle selon les témoignages, ont menacé de porter plainte devant la justice si Cossesona retire unilatéralement les 500 BIF des salaires.
Avant cette étape néanmoins, ils ont voulu savoir s’ils n’auraient pas tort. «Personne ne peut et ne pourra retirer de l’argent sur nos salaires sans notre consentement, faute de quoi, toutes les mesures prévues par la loi seront envisagées.» : cette pétition est lancée lundi 30 décembre indistinctement aux enseignants affiliés aux deux syndicats, à ceux syndiqués ailleurs ou non syndiqués. Très vite, la pétition va recueillir plusieurs signatures, les représentants de la Cossesona sont furieux contre ces représentants des Sepeduc et Sygepebu décidés à torpiller le projet. Leur persécution va commencer.
Des arrestations en cascade
Antoine Manuma est arrêté mercredi 8 janvier vers 18 h, non loin des bureaux de la province de Rutana. Au même moment, en province Mwaro, Gérard Niyongabo se fait arrêter à Ndava.
Les informations recueillies au chef-lieu provincial de Rutana soutiennent qu’Antoine Manuma a été arrêté par le chef des services de renseignements en cette province. Ce dernier aurait expliqué au prévenu qu’il est arrêté sur plainte de Victor Ndabaniwe et Emmanuel Mashandari, respectivement président et vice-président de la Cossesona. Il a été ensuite emmené manu militari au cachot du commissariat de police de Rutana.
Ceux qui ont assisté à cette arrestation ont alerté sa famille. Désarroi et panique générale dans cette famille qui ne s’était pas encore remise de l’emprisonnement d’Antoine Manuma en 2015. Panique et désespoir encore une fois, en cette soirée du 8 avril, surtout que les mobiles de cette arrestation sont inconnus. Un membre de la famille qui a voulu garder l’anonymat s’étonne : « Incompréhensible que Mashandari soit parmi les commanditaires de cette arrestation. Il était depuis longtemps parmi les principaux amis de Manuma.»
Selon leurs proches, des membres de cette famille restent encore traumatisés. Dans cette fratrie de 5 enfants, le cadet, aujourd’hui malade, refuse de prendre des médicaments. «Quand sa mère tente de les lui administrer, il lui répond qu’il ne peut pas les prendre tant que son père n’est pas là. C’est ce dernier qui les lui donnait d’habitude».
Chaque matin, au petit déjeuner, il refuse de prendre le pain. «Il exige qu’il soit servi par son père».
Le second-né de la famille, depuis sa visite au commissariat de police de Rutana, n’a pas pu gérer l’emprisonnement de son père. «Il pleure à chaque souvenir».
Les deux seront conduits, deux jours plus tard à Bujumbura. Infraction ? « Imputation dommageable ».
Dans l’entretemps, Cyriaque Manirakiza, représentant provincial du Sepeduc à Muramvya sera arrêté lundi 13 janvier. Cet enseignant de Maths au Lycée Communal de Shombo, en commune et province Muramvya est détenu au commissariat de police de Muramvya. Contrairement aux deux autres syndicalistes, il est accusé d’ «atteinte à la sureté intérieure de l’Etat».
Une crise qui ne date pas d’hier…
Selon les informations recueillies auprès des membres des deux syndicats, la crise remonte en 2017. En réaction à la crise alimentaire déclarée dans certaines communes de la province Kirundo, suite à la sècheresse, Cossesona a prélevé unilatéralement à tous les enseignants, une somme de 2000 BIF, en mars et en avril.
A l’époque, les enseignants semblaient le comprendre en raison de la compassion qu’inspirait cette catastrophe naturelle. L’incompréhension ne tardera pas. Suite à l’ «opacité» de la gestion du montant collecté, différents syndicalistes ont introduit des plaintes. «Nous avons demandé le total du montant collecté, les dépenses faites et le solde qui reste dans les caisses », indique un des représentants du Sepeduc.
Cossesona n’a pas su néanmoins répondre aux doléances. 2017 est passé, 2018 également. Des prélèvements unilatéraux reviendront dans les mois de février et mars 2019 pour, expliquait Cossesona, « assistance sociale. » Un retrait mensuel et à la source de 2500 BIF durant les deux mois selon toujours nos sources. Elle avançait notamment la nécessité d’appuyer les enseignants qui se retrouvent dans « l’obligation de se faire soigner à l’étranger. »
Une opération qui a révolté les enseignants, pour la plupart non membres de la coalition, avec en tête ceux des syndicats Sepeduc et Sygepebu. En réaction, Sepeduc a porté plainte, septembre 2019, au niveau du ministère de la Fonction publique. Des doléances qui n’ont pas eu de suite.
Le Sygepebu écrira à son tour début octobre au même ministère avec les mêmes plaintes. En réponse, ce dernier leur dira que l’adhésion à un syndicat est volontaire et personnelle et la cotisation consensuelle.
La déclaration par la Cossesona, en novembre 2019, d’un prélèvement mensuel de 500 BIF sur les salaires de tous les enseignants a été perçue comme un couteau qu’on tourne dans la plaie, commente un des représentants de la Sygepebu.
ECLAIRAGE/ Célestin Nsabimana : « Les questions syndicales se résolvent par les négociations et les concertations»
Emprisonnement des syndicalistes, adhésion à un syndicat, retrait à la source des salaires, intimidations à l’endroit des enseignants non membres de la Cossesona, Célestin Nsabimana, président de la Confédération des syndicats du Burundi (COSYBU) fait le point.
Que dites-vous sur l’emprisonnement des trois syndicalistes ?
C’est dommage que des syndicalistes soient emprisonnés surtout sur plainte d’autres syndicalistes. C’est cela qui fait mal. Pire encore, l’emprisonnement a eu lieu alors que nous étions dans des pourparlers pour trouver une solution au différend.
Que savez-vous sur ce conflit et les différents protagonistes ?
C’est en rapport avec la cotisation que la Coalition demande à ses affiliés. Nous voulions faire rencontrer toutes les parties. J’avais été contacté par le président de la Cossesona et le président de la confédération des syndicats libres du Burundi qui est aussi membre de cette coalition. Egalement, les deux syndicats non encore membres de la Cossesona à savoir Syndicat des enseignants professionnels de l’éducation (Sepeduc) et Sygepebu m’ont contacté. Nous avions fixé une rencontre au 15 janvier 2020, à 8 h 30 pour harmoniser les points de vue.
Qu’est-ce qui s’est passé ?
D’abord, moi-même je soutiens l’initiative de la Cossesona. La solidarité est une très bonne chose. Certains syndicats ont accepté d’adhérer avec des conditionnalités : ils ont besoin de savoir quel sera le mode de mise en œuvre de cette solidarité. Comment est-ce que la contribution sera retirée, payée et gérée ? Payée ? Et ils ont raison.
De notre côté, nous avions même avancé plus loin. Nous proposions que la première étape soit de faire adhérer tout le monde à cette idée. Puis l’élargir à d’autres secteurs, la santé, l’agriculture, etc. Enfin, aller vers une solidarité santé pour tous les travailleurs. Comme c’est le cas pour les autres pays, nous pourrions créer des coopératives pharmaceutiques. Et ce, dans le cadre de l’économie solidaire.
Et le dialogue a été court-circuité. Par surprise, trois syndicalistes ont été emprisonnés.
Qu’avez-vous fait après ?
J’ai appelé le président de la Cossesona. Il m’a dit que ces syndicalistes essaient de les traîner dans la boue via les réseaux sociaux, qu’ils les ont injuriés. Et il m’a affirmé que lui et son vice-président Emmanuel Mashandari ont porté plainte à la Police judiciaire.
Quelle a été votre réaction ?
Je lui ai répondu : c’est votre droit le plus élémentaire, mais on était dans les négociations. Je vous conseille de suspendre la plainte et qu’on poursuive la médiation. S’ils vous ont injurié, c’est à titre individuel. Ici, je dois remercier la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (Cnidh) pour son implication dans la résolution de ce conflit. Sous sa houlette, , nous avons échangé en toute transparence avec ceux de la Cossesona qui ont accepté d’enclencher le processus de retrait de la plainte. J’attends la réponse d’Emmanuel Mashandari, vice-président de cette coalition qui avait promis de s’investir.
Parmi les points de divergence, il y a la question de retrait de cotisation à la source. Est-ce légal de faire cette opération sur un salaire de quelqu’un sans son accord ?
Le salaire d’un employé est sacré. Il faut y toucher avec son consentement écrit et signé. Même dans nos contributions syndicales, surtout ceux qui sont à la fonction publique, ils signent eux-mêmes, mettent leurs noms, le numéro matricule et le montant à cotiser. Le salaire est individuel. Pour y toucher, le concerné doit être consulté individuellement et donner son avis favorable.
Qu’en-est-il de l’adhésion à un syndicat ?
Elle est volontaire. Tout adhérant, tout affilié le fait sans forcing. Pour les cotisations, il donne son autorisation pour que le syndicat bénéficie de sa contribution.
Quel est votre commentaire sur ce phénomène où des défenseurs des droits des travailleurs font emprisonner d’autres syndicalistes ?
C’est dommage. Avant c’étaient les services de l’Etat qui faisaient peut-être arrêter des syndicalistes. Maintenant les choses tournent autrement. Ce sont des syndicalistes qui font emprisonner d’autres syndicalistes C’est vraiment étonnant. Les questions syndicales se résolvent par les négociations et la concertation et pas par la police. Et c’est cela qu’on avait commencé.
Certains enseignants se disent intimidés par des administratifs pour adhérer dans la Cossesona. Qu’en dites-vous ?
C’est déplorable. Je demande aux administratifs de ne pas se mêler des questions syndicales. Ils représentent l’employeur. C’est un clin d’œil que je leur fais. Il faut interdire cette ingérence de certains directeurs communaux ou provinciaux de l’éducation dans les affaires des syndicats.
Qu’est-ce que vous demandez concrètement pour ces syndicalistes ?
Nous demandons leur libération immédiate et sans condition. La coalition Cossesona a le droit de porter plainte. Mais, est-ce que c’est vraiment du flagrant délit pour que les gens soient détenus ? Est-ce qu’ils ne pouvaient pas répondre aux convocations librement ? Je ne pense pas que les trois syndicalistes allaient s’enfuir ou quitter le pays à cause de cette plainte. Si j’ai bien lu le Code pénal, la détention est une exception. Il y a la présomption d’innocence.