Depuis 2005, la Constitution accorde trois députés et trois sénateurs à la communauté Batwa au sein du Parlement. Quel regard porté par la communauté Batwa à la base sur ces cooptés ? Quel bilan ? Quid du maintien de leur cooptation ?
« La cooptation a incité le reste de la communauté à avoir l’estime de soi» se réjouit Emmanuel Nengo, président de l’association « Unissons-nous pour la promotion des Batwa » (Uniproba). Selon lui, tout commence en 1998 avec Libérate Nicayenzi, une seule représentante à l’Assemblée nationale dans le gouvernement de transition. Avec l’Accord d’Arusha, il y a eu cooptation de deux sénateurs. Depuis 2005, la Constitution réserve trois députés et trois sénateurs cooptés conformément au code électoral.
Pour lui, la cooptation a permis un changement de mentalité. « Nos représentants ont eu droit à la parole. Auparavant, quand nos représentants soulevaient la question des Batwa, leurs collègues riaient. La compréhension a pris du temps ». Et d’ajouter que la stigmatisation de la communauté Batwa tend à disparaître. Il fait savoir qu’il y a un débat contradictoire autour de la question des Batwa. Ces questions ont été débattues et des solutions ont vu le jour, même si les problèmes subsistent. Selon lui, les questions épineuses, telles la scolarisation, les problèmes fonciers, les mariages illégaux, ont connu des progrès. « Ces parlementaires leur ont servi de modèle », conclut ce défenseur des droits des Batwa.
Evariste Ndikumana, un des cooptés de 2010 et de 2020, salue la cooptation. « En tant qu’une émanation de l’Accord d’Arusha, la cooptation a permis aux représentants des Batwa de participer dans la mise place des lois et dans le contrôle de l’action gouvernementale au même titre que les autres députés ».
Quid du maintien de la cooptation ?
Emmanuel Nengo estime qu’il n’est pas encore temps de supprimer la cooptation. Il indique que la cooptation existe partout. Et de préciser qu’elle vient corriger les injustices, les inégalités et les déséquilibres dans la société. « On pourra y songer quand la discrimination et l’exclusion disparaîtront ».
Le député Ndikumana, quant à lui, estime qu’il faut un autre mécanisme pour remplacer la cooptation. Il suggère l’instauration des quotas : « Nous avons proposé que 10% soient réservés aux Batwa.» Pour lui, la cooptation interviendrait, si les équilibres ethniques ne sont plus respectés. Et de marteler : « Il faut permettre aux Batwa d’occuper les positions politiques au même titre que les autres communautés.» Et de proposer l’intégration des Batwa dans les partis politiques.
Le représentant légal de l’Uniproba fustige les leaders des partis politiques : « Il y a des Batwa affiliés à des partis politiques, mais on ne pense jamais à placer un Mutwa sur une position utile.»
N. B., un Mutwa de la mairie de Bujumbura, confie qu’il n’est pas temps de supprimer la cooptation. Pour lui, elle a porté beaucoup de fruits. Il demande plutôt de revoir à la hausse le nombre des cooptés : « Six députés au Parlement est un nombre insignifiant pour représenter toute une communauté.»
J.N., quant à lui, fustige la cooptation. Il interpelle les autres membres de la communauté à mettre en avant la culture du mérite : « Nous voulons une compétition et non une éternelle cooptation. C’est comme si nous étions des incapables.»
Par ailleurs, ce jeune s’insurge contre le fait que ce sont les mêmes figures qui sont cooptées. « Cela risque de frustrer les générations montantes ».
Une visibilité qui décroît sur le terrain
Les Batwa rencontrés saluent l’intégration des membres de leur communauté dans les institutions, mais dénoncent l’inaction de certains parmi leurs représentants. « Nous avions bien accueilli l’intégration des Batwa dans les institutions. Avant, ils plaidaient pour nous. Nous recevions des aides, mais maintenant les choses ont changé», se plaint Claudine Shurweryimana qui réside dans le village des Batwa en zone Buterere, commune Ntahangwa.
Pour elle, cette intégration lui a ouvert les yeux. « Mes enfants fréquentent les écoles au même titre que les autres communautés ».
Aline Nahimana, elle aussi, est une habitante du village, depuis 2000. Elle dénonce l’inaction de leurs représentants sur le terrain : « Nous entendons dire que nous avons des représentants dans les institutions, mais nous ne les voyons pas sur le terrain. Ils ne viennent pas recueillir nos doléances.»
Interrogé sur ces griefs, Emmanuel Nengo reconnaît ce relâchement de la part de leurs représentants : « Ceux qui nous représentent ont maintenant une casquette partisane. Il leur est difficile de prendre une décision sans l’aval de leurs partis d’appartenance. C’est pourquoi vous ne les voyez plus sur le terrain. » Ils viennent sur le terrain pour le compte du parti et non pour recueillir les doléances des Batwa.»
Il regrette que le bilan de l’équipe de la législature sortante soit presque nul. « La représentation des Batwa est maintenant très politisée. Nous n’avons plus la latitude de désigner nos représentants ».
Cet activiste des droits des Batwa conseille aux Batwa, en général et à leurs représentants en particulier, d’être des acteurs et non des observateurs.
Quant à ceux qui se lamentent que ce sont les mêmes figures qui reviennent, le député Evariste Ndikumana fait savoir que de nouveaux visages figurent dans l’équipe de 2020. Il précise qu’il y a encore un problème de Batwa instruits. « Je n’y vois aucun problème, si les mêmes visages reviennent », lâche-t-il, avant de nuancer : « Pourvu que ces représentants soient capables d’accomplir leur mission.»