L’Union européenne (UE) a annoncé le lancement du processus de révocation de la suspension de la coopération financière. L’annonce de Claude Bochu, représentant délégué de l’UE au Burundi, a surpris plus d’un. Et interprétée d’ailleurs de plusieurs manières. Pour certaines organisations de défense des droits humains, la situation actuelle n’est pas propice au dégel des relations bilatérales.
Par Fabrice Manirakiza, Alphonse Yikeze, Rénovat Ndabashinze et Callixte Ndayiragije
La 3ème session de dialogue entre l’UE et Gitega a été relancée ce jeudi 24 juin. « C’est un élément très important de la normalisation du réchauffement des relations entre le Burundi et l’UE. Je dirai même que la façon dont il se passe et dont il progresse, de session en session, me rassure sur le fait que c’était définitivement le bon choix », a indiqué Claude Bochu après le dialogue.
Franchement, poursuit-il, il y a des choses qui ne sont pas nécessairement agréables à entendre mais c’est comme ça qu’on doit faire.
Quant aux attentes de l’UE en matière de réformes de la gouvernance et de promotion des droits de l’Homme, l’Ambassadeur Bochu affirme que l’Union européenne partage les valeurs communes avec le Burundi. « L’union européenne a l’impression d’être écoutée quand elle parle avec le gouvernement burundais de ces sujets et des défis que le ministère de la Justice rencontre au Burundi comme ailleurs. La levée des sanctions financières sera effective en fonction du respect des droits de l’Homme. »
« Le contexte de 2015 et le contexte actuel sont diamétralement opposés. »
Albert Shingiro, ministre burundais des Affaires Etrangères, assure que l’UE et le Burundi sont sur la « bonne trajectoire », vers la levée de ces sanctions qui ont été prises par l’UE dans un contexte différent et particulièrement difficile. « Nous pensons que le contexte de 2015 et le contexte actuel sont diamétralement opposés. Nous devons fermer cette page sombre de 2015 pour ouvrir une autre page de très bonnes relations. Il faut retrouver les relations ‘’amoureuses d’antan’’ entre l’UE et le Burundi. » Le ministre Shingiro pense que l’étape déjà franchie au niveau des groupes de travail des Etats membres de l’UE qui recommandaient la levée de ces sanctions contre le Burundi mais aussi que tous les ambassadeurs membres de l’Union basés à Bujumbura sont unanimes sur cette recommandation. « C’est une procédure qui est en train de prendre un bon chemin. Nous pensons que dans les prochaines semaines, prochains mois, cette bonne décision sera une décision bénéfique entre le Burundi et les Etats de l’UE. Il n’y a pas de « pays enfant », chaque pays a quelque chose à donner à l’autre, quel que soit le niveau de développement, la taille du pays ou la puissance militaire. »
Il pense également que la coopération entre UE et le Burundi va prendre une vitesse supérieure à la levée de ces sanctions. « Nos relations ne sont pas basées seulement sur ces séries de dialogue pour la levée des sanctions mais aussi, au-delà des sanctions, nous devons poursuivre notre coopération dans un climat de bonne entente. Les relations entre les pays c’est comme un champ de fleurs qui nécessite d’être sarclé, arrosé. C’est ce que nous allons faire. »
Mise en garde des organisations internationales
Le 21 juin dernier, l’Ambassadeur Claude Bochu avait rencontré le président Evariste Ndayishimiye. « Il y a une orientation de travailler afin que soit révoquée la mesure qui suspendait l’aide financière aux pouvoirs publics burundais ». C’étaient les mots de l’Ambassadeur Bochu. « C’est sur base des évolutions positives qui ont été initiées par le président de la République en termes de bonne gouvernance et d’Etat de droit et de droits de l’Homme que ces mesures ont été prises. »
L’Ambassadeur Claude Bochu a apporté toutefois une certaine nuance : « Il y a une étape nécessaire qui a été franchie par les groupes de travail à Bruxelles, ce n’est pas une étape suffisante. Il faut que le texte juridique soit établi et adopté. Cela prendra encore un peu de temps. Le train a définitivement quitté la gare, il est parti. Il n’y a plus de conditionnalités ».
La déclaration de M. Bochu a été différemment appréciée. Ainsi une douzaine d’organisations internationales de défense des droits de l’Homme a un autre avis. « Le Conseil devrait maintenir sa position selon laquelle la progression durable et visible de l’ouverture de l’espace politique et civique et la lutte contre l’impunité sont indispensables pour résoudre les problèmes fondamentaux en matière de droits humains au Burundi. » Pour elles, l’UE ne devrait pas se fier aux promesses de réformes liées aux droits humains formulées par les autorités burundaises. Elle devrait plutôt insister pour que celles-ci remplissent des critères concrets, attestant leur engagement à garantir la responsabilisation et le respect des droits humains.
« Pendant la première année de mandat d’Evariste Ndayishimiye, quelques améliorations limitées ont eu lieu. » Ces organisations donnent les exemples de la grâce accordée aux quatre journalistes d’Iwacu, le dialogue avec les représentants des médias conduisant à la levée de certaines restrictions, la libération de plus de 5 000 prisonniers. « Mais bon nombre des promesses répétées d’Evariste Ndayishimiye pour rendre justice et favoriser la tolérance politique n’ont toujours pas été tenues. » Même si les signalements de violations graves des droits humains ont diminué, poursuivent-elles, les organisations de défense des droits humains continuent à documenter des cas de torture, de mauvais traitements et d’arrestations arbitraires, et des corps non identifiés retrouvés dans différentes parties du pays.
Pour ces organisations, l’UE ne devrait en aucun cas laisser entrevoir qu’elle est disposée à passer outre ses propres critères et principes fondamentaux dans une volonté d’améliorer les relations diplomatiques. « L’UE et ses Etats membres devraient signifier au gouvernement burundais que des progrès durables et démontrables de la lutte contre l’impunité et de la restauration des libertés publiques ainsi que mettre fin à la torture sont primordiaux pour reprendre la coopération avec l’UE en vertu de l’Accord de Cotonou. »
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Agathon Rwasa : « A quoi servira ce déblocage si la population demeure dans la détresse ? »
« L’Union européenne a des intérêts autant que n’importe quel pays. Et si on y regarde de plus près, ces intérêts sont un poil au-dessus des principes que l’UE prétend défendre », affirme le candidat au scrutin de 2020.
D’après lui, rien ne justifie la fin des sanctions de l’UE. « A ce jour, des assassinats se produisent, des médias rapportent même que plus de 10 personnes se sont fait tuer rien que la semaine passée ! Sachant qu’il n’y a souvent aucune poursuite, que rien n’est fait pour enrayer cela, que vise alors ce processus de levée des sanctions ? Y a-t-il un droit de l’Homme au-dessus du droit à la vie ? »
Pour lui, le processus de déblocage des fonds n’est pas mauvais en soi mais il se demande à quoi celui-ci servira si la population demeure dans la détresse. « Un tel processus aurait pu se justifier si les Burundais vivaient dans la dignité, s’ils avaient accès à une justice impartiale et des procès équitables, mais compte tenu de la situation actuelle, j’ai du mal à comprendre les visées d’un tel processus de levée des sanctions »
Selon le leader du Cnl, le Gouvernement est plus dans la stratégie de la séduction que dans une réelle transformation. « On nous parle de médias rouverts mais pouvant être poursuivis pour des informations diffusées, c’est en réalité le genre de mesures destinées uniquement à séduire »
Olivier Nkurunziza : « Qu’il y ait respect mutuel entre les deux parties ».
« Nous nous réjouissons de tout ce qui pourrait mener à une levée des sanctions sans oublier que cela entre aussi dans le cadre du renforcement des relations diplomatiques », estime le secrétaire du parti Uprona.
Olivier Nkurunziza tient à encourager les deux parties à poursuivre le dialogue pour aboutir à des résultats palpables.
Selon lui, le Burundi se doit d’accéder aux exigences de l’UE reposant sur la démocratie, les droits de l’Homme, l’ouverture de l’espace politique, la lutte contre la corruption, … Et que l’UE, de son côté, tienne compte du désir de souveraineté du Burundi. « Bref, qu’il y ait respect mutuel entre les deux parties ».
Gaspard Kobako : « Tout n’est pas gagné »
Tout en se félicitant de l’annonce faite par l’ambassadeur de l’UE, le porte-parole du Cndd estime que le chemin à parcourir reste assez long. « Il faudrait que les raisons qui ont prévalu à la prise des sanctions ne soient plus d’actualité. Il y avait des questions de respect des droits de l’Homme, les libertés politiques, … Certes, il y a eu quelques avancées comme la libération de prisonniers politiques et de droit commun, mais tout n’est pas gagné »
Quant au communiqué d’organisations des droits de l’Homme, l’ancien ministre des travaux publics et de l’équipement plaide pour l’intérêt de la population. « Aussi longtemps que les sanctions persistent, c’est la population qui en sort perdante ».
Déo Rwazemba : « Ces sanctions n’auraient jamais dû être prises »
Pour le secrétaire du Rassemblement pour le peuple Burundais (RPB), proche du pouvoir, ce fut une joie immense. « Nous avions toujours milité pour la levée de ces sanctions qui n’auraient jamais dû être prises »
Déo Rwazemba explique pourquoi il s’opposait aux sanctions. « De telles sanctions n’impactent pas l’Etat, c’est la population qui en paie le prix ». Et de dire que l’aide auparavant fournie par l’UE aidait dans les projets de développement, créait de l’emploi, …
Zénon Nimubona : « Que le gouvernement ne dorme pas sur ses lauriers »
Le président du parti Parena salue l’étape franchie dans le dialogue entre l’UE et Gitega. Ce leader tient cependant à indiquer que l’Etat actuel est, d’après lui, dans une impasse qui l’oblige à engager un dialogue avec l’UE. Selon M. Nimubona, l’ancien président, feu Pierre Nkurunziza a laissé d’énormes dettes notamment sur le plan local. « Le précédent gouvernement faisait preuve d’une grande irresponsabilité. Il a entraîné la suspension de la coopération, chassé des ONG. De telle façon à ce que le Gouvernement actuel ne peut financer le développement local avec des emprunts locaux. Et se voit ainsi obligé de se tourner vers l’extérieur ».
Le président du Parena considère en outre que ce processus enclenché est une incitation claire à agir envoyée au Gouvernement burundais. « Que le Gouvernement ne dorme pas sur ses lauriers, ça n’est qu’un processus qui ne signifie pas la fin du dialogue ».
Gabriel Banzawitonde : « Que l’UE n’en profite pas pour émettre des exigences supplémentaires »
Pour le président de l’APDR, proche du pouvoir, l’annonce faite par l’ambassadeur de l’UE est un signal positif mais émet des réserves. « Nous espérons que l’UE n’en profitera pas pour formuler des exigences supplémentaires ». Lesquelles ? « Demander par exemple la libération des putschistes de 2015 », assure G. Banzawitonde.
Quant aux organisations des droits de l’Homme qui ont publié un communiqué qu’elles ont signé conjointement, M. Banzawitonde les juge déconnectées de la réalité du Burundi. « Ces organisations ignorent la réalité de la situation actuelle du pays. Elles restent cramponnées sur l’année 2015 ». Et d’appeler l’UE à ne pas prendre en compte les doléances exprimées par ces organisations « qui nous fait faire un pas en arrière alors que nous sommes deux pas en avant ».
Lewis Mudge : « Les gestes purement symboliques et les promesses de changement ne devraient pas être pris pour argent comptant »
Pour le directeur Afrique à HRW, le président Evariste Ndayishimiye tente de restaurer les relations du pays avec la communauté internationale et son programme de réforme semble faire partie de cette stratégie. « Et quoique de graves violations des droits humains aient continué à être commises sous sa présidence, il y a très peu de visibilité puisque les mécanismes de surveillance tels que la Commission d’enquête de l’ONU se voient refuser l’accès au pays. »
Il s’étonne que, malgré l’absence de progrès tangibles, le Burundi a été retiré de l’ordre du jour permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et que l’UE est actuellement engagée dans des discussions avancées sur la reprise de son aide financière directe bien que le gouvernement de Ndayishimiye n’ait pas encore satisfait de nombreux engagements sollicités par l’UE en 2016. « Beaucoup d’acteurs de la communauté internationale sont lassés de la crise au Burundi et souhaitent tourner la page. Cependant, si les causes profondes de la crise ne sont pas réglées, le pays fera face à un avenir incertain. »
Pour lui, la communauté internationale devrait communiquer clairement au gouvernement burundais que des progrès concrets en ce qui concerne la situation des droits humains dans le pays sont essentiels en vue d’une restauration des relations. « Les gestes purement symboliques et les promesses de changement ne devraient pas être pris pour argent comptant aux dépens de la redevabilité et de la satisfaction des aspirations de la population à la justice et à la liberté. »
Carina Tertsakian : « L’UE devrait baser sa décision sur une analyse objective et rigoureuse de la situation actuelle et non sur des considérations diplomatiques. »
Pour cette chercheuse à l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), les déclarations de Claude Bochu ont prêté à confusion. « Elles ont donné l’impression que l’UE a déjà décidé de reprendre la coopération. Ce n’est pas le cas car cette décision ne peut être prise qu’après l’aval du Conseil des ministres de l’UE. » Nous craignons que dans son enthousiasme, poursuit Carina Tertsakian, l’Ambassadeur Bochu minimise certaines préoccupations des droits de l’Homme. « Bien qu’il y ait eu des avancées ces derniers mois, des violations graves continuent, par exemple des cas de torture d’opposants politiques par le service de renseignement. Et il y a toujours une impunité généralisée par rapport à ces crimes. »
Pour cette chercheuse, si l’UE s’empresse à reprendre la coopération en l’absence de réformes réelles et durables, cela renforcera l’impunité. « Elle devrait baser sa décision sur une analyse objective et rigoureuse de la situation actuelle au Burundi, plutôt que sur des considérations diplomatiques. J’ai l’impression que parfois certains diplomates perdent de vue les principes des droits fondamentaux. »
Clément Boursin : « C’est aberrant de reprendre la coopération à l’état actuel des choses. »
Selon le responsable des programmes Afrique pour Acat-France, tous les Etats européens ne sont pas d’accord sur la manière de procéder. « Je pense que la France voudrait une reprise totale et rapide des liens avec le Burundi. Elle a peur du rôle de la Russie dans la sous-région. Il y a une guerre d’influence entre ces deux puissances. Et les Burundais jouent sur ce côté-là. » Clément Boursin indique que la France a vu ses intérêts au Burundi amoindris par la Russie comme en Centrafrique. « La France a peur qu’il y ait une rupture totale entre le Burundi et l’Europe et qu’il aille dans le giron de la Russie. »
Selon lui, c’est parce qu’en mars 2016 il y avait eu des violations graves des droits de l’Homme que l’UE avait suspendu sa coopération financière avec le Burundi. « Hormis des gestes symboliques avec la libération des journalistes d’Iwacu, des défenseurs des droits de l’Homme Nestor Nibitanga et prochainement de Germain Rukuki, on reste sur des actes isolés. Dans la majorité des cas, on n’a pas des actes concrets. » Pour lui, c’est aberrant de reprendre la coopération à l’état actuel des choses.
Hamza Venant Burikukiye : « Une bonne chose »
« Nous avons appris avec enthousiasme la déclaration de l’UE concernant les sanctions prises contre le Burundi. C’est une bonne chose », indique le représentant légal de l’Association Capes+. M. Burikukiye félicite le gouvernement du Burundi qui a beaucoup travaillé afin de convaincre son partenaire européen. « Le pays avance et il est stable. Cela résulte de la bonne conduite de notre leader qu’on a élu. Il a su montrer que c’est un leader responsable et qui peut bien diriger sa nation, qui peut bien encadrer sa population jusqu’à ce que les gens commencent à lui faire confiance. La communauté internationale commence à le témoigner. »
Gustave Niyonzima : « On constate que les intérêts politiques et commerciaux priment sur la vie des innocents »
« Si l’on s’en tient aux violations massives et sempiternelles des droits de l’Homme au Burundi, ce processus de la levée des dites sanctions nous paraît vraiment patibulaire et biscornu », relève ce juriste et défenseur des droits de l’Homme.
Pour Maître Gustave Niyonzima, il est incompréhensible que l’UE ne remarque et ne constate pas solennellement la continuité des violations massives des droits de l’Homme alors que des cohortes de rapports d’ONG internationales et des associations des droits de l’Homme le prouvent régulièrement. « C’est incompréhensible et préoccupant que l’UE n’interpelle pas les autorités étatiques à arrêter et à mater les auteurs des crimes odieux afin qu’il y ait la fin de l’impunité au Burundi. On constate que les intérêts politiques et commerciaux priment sur la vie des innocents mis en otage par le régime. » Pour lui, la communauté internationale doit maintenir les sanctions prises. « Il faudra que même les Nations-Unies sortent du bourbier en appliquant les résolutions déjà prises contre le Burundi. »
Eric Nsengiyumva : « Réussite de la diplomatie burundaise »
Eric Nsengiyumva, président de l’Association pour une jeunesse africaine progressiste (AJAP), dit avoir accueilli avec satisfaction cette annonce de l’Union Européenne. Il félicite la diplomatie burundaise pour cette réussite. « Nous félicitons aussi l’UE pour son engagement pour une coopération bilatérale et saine afin de soutenir les programmes du gouvernement surtout en matière de développement. » M. Nsengiyumva trouve aussi que c’est la réussite des organisations de la société civile burundaise qui n’ont cessé de réclamer la levée de ces sanctions depuis 2016.
Pour ceux qui disent qu’il existe encore des violations des droits de l’Homme au Burundi, il parle d’actes criminels qu’on peut trouver dans d’autres pays. « Il n’y a pas de violations qu’on peut coller au gouvernement. Le pays est aujourd’hui stable, calme. La population vaque normalement à ses activités. Le combat actuel est pour le développement du pays. »
Interview| Julius Seidenader : « Les mesures de ce genre sont levées étape par étape »
Selon ce politologue et spécialiste dans la politique des sanctions, la politique étrangère de l’UE et les conflits armés, plusieurs questions restent en suspens. D’après lui, l’arrivée du président Ndayishimiye a ouvert une fenêtre aux Européens.
Un lancement du processus de révocation de la suspension de la coopération financière est annoncé. Selon vous, quels sont les éléments qui motivent cette décision ?
Je crois que la raison d’envisager une levée des sanctions découle d’un argument économique et d’un rapprochement diplomatique avec le nouveau président. La mort de l’ancien président permet à l’UE de profiter d’une fenêtre d’opportunité et de tenter de relancer les relations bilatérales et d’intensifier le dialogue. Par ailleurs, M. Ndayishimiye semble mener une politique étrangère différente de celle de son prédécesseur puisqu’il a effectué plusieurs visites diplomatiques et souhaite mettre fin à l’isolement du Burundi.
Une raison supplémentaire pour l’UE de reconsidérer ses relations avec le gouvernement du Burundi est également les signaux positifs annoncés par l’Union africaine. En avril 2020, un communiqué du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine met fin à la mission d’observateurs des droits de l’Homme et d’experts militaires au Burundi. La résolution souligne globalement les développements positifs mais ne comprend aucune référence à la liberté des médias et des journalistes ou d’autres problèmes de droits humains au Burundi.
Ce processus de levée des sanctions est-il opportun ?
Habituellement, la levée des sanctions de l’UE se fait progressivement. Les mesures de ce genre sont levées étape par étape. Ce fut le cas des sanctions contre l’Iran ou le Zimbabwe par l’UE. Cela laisse le temps aux décideurs politiques à Bruxelles de réévaluer l’avancement des réformes dans le pays ciblé. Souvent, les preuves sont partagées par les délégations de l’UE sur le terrain, puis il y aura des consultations au sein du groupe de travail sur les sanctions à Bruxelles. L’évaluation reflète plusieurs questions comme les progrès en matière de droits de l’homme ou la qualité des élections pour donner des exemples. Elle a lieu tous les 6 mois et est conduite par le Service Européen de l’Action Extérieure (SEAE).
Quelles chances ce processus a-t-il d’aboutir ?
Dans le cas du Burundi, j’ai des sentiments partagés quant à savoir si les sanctions seront complètement levées et si cela se fera rapidement ou en plusieurs étapes. Le gel des avoirs et l’interdiction de voyager pour Godefroid Bizimana, Gervais Ndirakobuca, Mathias-Joseph Kazungu et Léonard Ngendakumana, font partie de la Politique Etrangère et de la Sécurité Commune (PESC) de l’UE et pourraient le rester encore quelques mois voire une autre année.
La suspension de l’aide et de la coopération dans le cadre de l’accord de Cotonou pourrait être rétablie dans un premier temps par une décision de tous les ministres des Affaires étrangères ou ambassadeurs permanents des Etats de l’UE à Bruxelles. Certaines conditions pour la poursuite des négociations pour l’Accord de Cotonou en 2016 étaient entre autres la réouverture des médias privés et le règlement des litiges relatifs aux médias privés en vertu de la loi sur la presse, la liberté d’exercer la profession de journaliste, la liberté et la sécurité de la société civile et des défenseurs des droits humains, la gestion des affaires judiciaires pendantes conformément aux engagements demandés lors du dialogue intensifié au titre de l’article 8 de l’accord de partenariat ACP-UE, la situation des détenus arrêtés lors des manifestations, la poursuite des enquêtes concernant les allégations de tortures et d’exécutions extrajudiciaires, la tenue d’un dialogue inter-burundais, en concertation avec la Communauté Est Africaine et l’Union Africaine, ou un autre médiateur international, pour faciliter un retour aux principes démocratiques, le désarmement et le démantèlement, avec l’appui d’observateurs internationaux, de toute organisation armée autre que les forces de police et de défense nationales.
Quels sont les points qui pourraient être sujets à discussion ?
Notamment la réouverture des médias privés (BBC, Voice of America) pourrait se refléter dans d’éventuelles discussions sur la levée de la suspension de l’aide ou des sanctions du PESC. Les progrès de la réforme des services de sécurité et des Imbonerakure pourraient également être discutés. La coopération entre la Commission d’enquête des Nations Unies et le gouvernement pourrait également être utilisée comme une condition pour lever les sanctions comme ce fut le cas des sanctions de l’UE contre l’Ouzbékistan en 2005.
Plusieurs organisations nationales et internationales de défense des droits de l’Homme trouvent cette annonce précipitée.
En effet, pour de nombreux observateurs, l’annonce de la levée des sanctions a été une surprise. Néanmoins, après le décès soudain de M. Pierre Nkurunziza en 2020, certains responsables de la Commission de l’UE ont annoncé qu’un changement de politique pourrait être possible. Après avoir observé les développements de l’année écoulée, il semble que les diplomates du SEAE soient optimistes que les violences de 2015/2016 ne se reproduiront pas. Que certains agents responsables seront sanctionnés ou licenciés.
Cependant, la nomination de Gervais Ndirakobuca en tant que ministre de l’Intérieur pourrait être considérée comme un revers puisqu’il a non seulement été sanctionné par l’UE mais aussi par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse pour son rôle central dans les violences en 2015. Les rapports de l’ONU ont également souligné que la politique du nouveau président sera mise en œuvre par un gouvernement composé principalement de caciques du régime de feu président Nkurunziza. Je pense donc qu’il pourrait y avoir un compromis et peut-être que seul M. Gervais Ndirakobuca pourrait rester sur la liste des sanctions tandis que d’autres mesures pourraient être levées.
Germain Rukuki, un pion dans l’affaire ?
Ce lundi 21 juin 2021, la Cour d’Appel de Ntahangwa en Mairie de Bujumbura a rendu son jugement dans l’affaire Germain Rukuki. La peine d’emprisonnement de l’activiste des droits humains, au départ condamné à 32 ans de réclusion, a été ramenée à une année de prison et d’une amende de 50 mille BIF. Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch (HRW), se réjouit de cette décision judiciaire. Toutefois, selon lui, elle laisse un sentiment mitigé. « Bien sûr, il ne devrait pas passer une minute de plus en prison. Un système judiciaire vraiment juste et impartial aurait dû l’acquitter de toutes les charges et ordonner qu’il reçoive une compensation pour le temps passé injustement en prison. »
C’est aussi l’avis d’Amnesty International : « La décision de la cour d’appel de ramener sa peine d’emprisonnement de 32 à un an est un pas dans la bonne direction. Cependant, Germain n’aurait jamais dû être incarcéré et il faut encore que la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre pour rébellion soit annulée. » Pour cette organisation, Germain Rukuki a passé quatre ans derrière les barreaux alors qu’il n’a fait qu’œuvrer en faveur des droits humains. Selon elle, il a été déclaré coupable et emprisonné pour des charges controuvées. « Le 4 juin, la Cour d’appel de Ntahangwa a annulé sa déclaration de culpabilité pour « participation à un mouvement insurrectionnel », « atteinte à la sécurité intérieure » et « atteinte à l’autorité de l’État », mais cette décision n’a été annoncée publiquement que le 21 juin. »
Pour certains, cela laisse matière à réflexion. Selon nombre d’observateurs de la vie politique burundaise, le cas de Germain Rukuki a servi, parmi d’autres, comme une monnaie d’échange dans les négociations entre Gitega et l’Union européenne. « Il semble que les défenseurs des droits de l’Homme soient utilisés comme des pions par le gouvernement et qu’il faille se réjouir lorsqu’ils ne reçoivent ’’que’’ des peines réduites plus des amendes exorbitantes pour leur travail légitime alors que d’autres sont encore en danger ou en exil », déplore Lewis Mudge.
Carina Tertsakian estime que ce n’est sans doute pas une coïncidence que la réduction de sa peine soit annoncée au même moment. « C’est bien sûr une bonne nouvelle, et nous attendons qu’il soit libéré immédiatement. » Toutefois, elle regrette que la vie et la liberté des Burundais, comme Germain, soient devenues des pions dans le dialogue entre Etats. « Ni Germain, ni d’autres prisonniers politiques ne devraient être des monnaies d’échange dans les négociations. J’ai l’impression que parfois certains diplomates perdent de vue les principes des droits fondamentaux».
Pour Clément Boursin, c’est étonnant que la réduction de la peine de Germain Rukuki tombe en même temps que la rencontre entre le représentant de l’UE au Burundi et le président de la République. « Ça montre que c’est une libération politique. Ça démontre également que son arrestation et son maintien en détention étaient aussi politiques».
Si l’on demandait l’avis du citoyen burundais lambda/ munyagihugu nyarucari, JAMAIS IL NE SOUTIENDRAIT LES SANCTIONS parce que c’est lui qui va en souffrir le plus (comme lors des sanctions économiques des années 1990).
Le même phénomène s’est manifesté en Haïti (dans les Caraïbes) où une large partie de la population a souffert de famine à cause des sanctions économiques. »
» For example, sanctions imposed on the Haitian government benefitted some wealthy individuals in Haiti, while large parts of society had to suffer from hunger as a consequence of the sanctions… »
https://www.econstor.eu/bitstream/10419/179260/1/2018-02.pdf
Les gestes du ministre Shingiro sur les photos montrent bien qu’il ne sait pas sur quel terrain il est. Il semble être seul à célébrer, s’agiter alors que les autres sont calmes et totalement pas émus outre mesure. Ils sont tous conscients de la complexité du dossier et d procédures.
Je lui souhaite bonne chance dans la suite.
N’interprétons pas la seule gestuelle de quelqu’un pour ensuite lui coller des jugements de valeur. Ça risque d’être un procès d’intention.