Lundi 04 novembre 2024

Opinions

Constitution : Liberté vs Tyrannie

24/12/2013 6

(…) Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice1 (…)

Par Amilcar Ryumeko

Sous l’initiative de l’initiative de l’Assemblée Nationale, les 19 et 20 décembre dernier s’est tenu un atelier de concertation en lien avec le projet d’amendement de la Constitution burundaise (Ci-après « Projet ») proposé par le gouvernement en octobre dernier. Plusieurs voix se sont fait entendre à travers les différents médiums burundais. D’un côté, on retrouve ceux (Société civile, les parties politiques membres de l’ADC-Ikibiri, Conférence des évêques catholiques du Burundi, etc.) qui s’inscrivent largement en faux à ce Projet arguant principalement l’absence de dialogue préalable ainsi qu’une atteinte aux Accords d’Arusha dont on sait qu’ils ont été le fruit d’un long et laborieux dialogue entre les différents acteurs politiques burundais. D’un autre côté, on retrouve ceux (le Gouvernement, certains membres de la Société civile, le FNL dirigé par Jacques Bigirimana, etc.) qui accueillent favorablement le Projet arguant principalement qu’il est nécessaire d’adapter notre Constitution aux réalités de nos jours.

La Constitution étant la Loi Fondamentale, mère de toutes les autres lois du pays, il est primordial de ne pas traiter cette question avec légèreté. Tout compte fait, pour aboutir à une nouvelle Constitution qui répond aux inquiétudes des uns et des autres, il est impératif d’aborder tous les enjeux posés par ce Projet notamment :

  • La laïcité de l’État avec l’insertion de « Dieu » dans le serment (art.13, art.23, art.29, art.33 du Projet);

  • Le conflit ou l’apparence de conflit d’intérêts entre les affaires privées du Président et ses fonctions publiques. En effet, un des articles proposés (art.11 du Projet) vient modifier l’art.101 de l’actuelle Constitution à mon avis. En éliminant le deuxième alinéa, on permet au Président de la République de poursuivre ses fonctions privées, rémunérées ou non, pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers. Or, ses activités privées peuvent l’amener des fois à transiger avec l’État, et cela risquerait de le placer en conflit/apparence de conflit d’intérêts quant à moi;

  • La représentation des groupes sous-représentés dans les institutions (Femmes, Twa, Personnes handicapées, etc.);

  • La séparation des pouvoirs;

  • Etc.

Sur invitation de mon compatriote Isaac Nzotungicimpaye dans son dernier papier, j’ai choisi pour ma part, par cet article (évidemment selon ma compréhension, ma vision de l’organisation de l’État et mes connaissances), d’apporter ma maigre contribution au débat en m’attardant sur l’enjeu liée à la séparation des pouvoirs.

La Séparation des Pouvoirs

Dans une démocratie, le principe de séparation des pouvoirs répartit le pouvoir de l’État en confiant ses diverses fonctions à savoir législative (faire des Lois), exécutive (mettre en œuvre des Lois) et judiciaire (application des Lois) à des institutions distinctes. Selon Montesquieu, l’idée inhérente à la séparation des pouvoirs est que le pouvoir concentré menace la liberté individuelle. Autrement dit, si les institutions qui exécutent la Loi sont libres de la constituer (d’agir de manière législative), et de punir (d’agir de manière judiciaire), qui les empêcherait d’en abuser? C’est ainsi que Montesquieu affirme que tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçait ces trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire)2.

James Madison3 ajoute que pour rendre effective la séparation des pouvoirs, il faut l’invalider en partie par le principe des « checks and balances », c’est à dire que le pouvoir doit arrêter le pouvoir.

« Si les hommes étaient des anges, aucun gouvernement ne serait nécessaire. Si les anges gouverneraient les hommes, aucun contrôle du gouvernement ne serait nécessaire »4.

Par ailleurs, les différentes démocraties planétaires adoptent le principe de séparation des pouvoirs à différentes degré selon le système politique qui y prévaut. D’une part, le principe d’un gouvernement responsable devant le parlement étant le socle d’un régime parlementaire, ce dernier est caractérisé par une séparation souple des pouvoirs législatifs et exécutifs, par des mécanismes qui forcent ceux-ci à collaborer puisque la survie de l’exécutif dépend du soutien du législatif (Royaume-Uni, Canada, etc.). D’autre part, les régimes présidentiels sont caractérisés par une séparation de pouvoirs stricte (États-Unis). Dans tous les cas, pour assurer un État de droit, il est impératif que le pouvoir judiciaire soit strictement séparé des deux autres pouvoirs.

Finalement, la présence d’une séparation des pouvoirs ainsi que des « checks and balances » dans une Constitution est le garant des libertés. Dans le cas contraire, on ne pourra pas prévenir la tyrannie.

 La Séparation des Pouvoirs selon la Constitution de 2005

D’un côté, une distinction claire est faite en ce qui a trait aux pouvoirs respectifs des deux institutions (art.107 à 115 et art.131 à 132 pour l’exécutif et art.158 à 159; art.187 à 191 pour le législatif). Aussi, le principe des « checks and balances » est présent (art.192 et art.194 à 204). D’un autre côté, on remarque un certain partage des pouvoirs notamment pour ce qui est de l’initiative des Lois (art.192). Néanmoins, cette séparation des pouvoirs n’est pas toujours équilibrée car l’exécutif peut par exemple établir la Loi budgétaire par décret-loi (art. 177).

Aussi, je pense que le principe inhérent au seuil exigé pour voter les Lois (art.175 et art.300) est celui de la séparation des pouvoirs dans ce sens que ce seuil vise à établir une démocratie de consensus afin de protéger et rassurer les minorités. En effet, les Accords d’Arusha ont reconnu que le conflit burundais était fondamentalement politique avec des dimensions ethniques extrêmement importantes. Pour y remédier, la voie privilégiée a été celle du partage du pouvoir et du consensus dans la prise des décisions afin que les diverses groupes ethniques et formations politiques se sentent associés dans la gestion leur pays. Donc, aucun pouvoir (exécutif ou législatif) ne peut espérer faire adopter une Loi qui ne reflète pas un consensus5. Rappelons que c’est le seuil de révision de la Constitution (art.300) qui risque de bloquer l’adoption du Projet gouvernemental.

Par ailleurs, on se rend compte que le pouvoir judiciaire n’est pas totalement indépendant de l’exécutif. Vu l’importance du Conseil Supérieur de la Magistrature (art.210, 211, 213) dans le décor du pouvoir judiciaire, il est incestueux (à mon avis) de constater que c’est le chef de l’exécutif qui le préside (art.219). De plus, on constate que l’exécutif et le législatif ont une main mise dans la nomination des juges (art.214, art.222 et art.226). Or, l’indépendance judiciaire vise à mettre à l’abri des ingérences du pouvoir exécutif et législatif. À cet égard, pour s’assurer d’un pouvoir judiciaire indépendant6, il importe d’accorder à ce dernier les trois caractéristiques suivantes :

  1. L’inamovibilité des juges

Les juges, une fois nommés, devraient rester en fonction jusqu’au terme de leur mandat. À mon avis, ce dernier devrait concorder avec l’âge de la retraite. De plus, les mécanismes de réprimande ou de destitution pour faute grave devraient être complexes.

  1. L’indépendance administrative des cours de justice

Certes, ce sont les choix budgétaires du gouvernement qui conditionnent largement l’état des ressources mises à la disposition des tribunaux. Et c’est le ministère de la Justice qui supervise l’administration de la justice au Burundi. Toutefois, la liaison avec les cours de justice devrait se faire par une structure adaptée et indépendante de l’exécutif et du législatif. Et les décisions qui sont liés à l’acte même de juger devraient être prises par la magistrature seule (assignation des juges aux causes, fixation des dates d’audition, etc.).

  1. L’indépendance financière

La rémunération des juges devrait être statuée par un comité (indépendant ou paritaire des pouvoirs exécutif et législatif) chargé de la rémunération des juges. En effet, il faut éviter que la rémunération de ces derniers dépende de l’appréciation que l’exécutif/législatif pourrait faire de leurs jugements.

Après une lecture des articles traitant des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, je n’ai trouvé nulle part dans le texte constitutionnel des dispositions qui permettent de garantir d’une manière quelconque les caractéristiques décrites précédemment et c’est ce qui me permet de croire qu’on n’est pas ici en présence d’une séparation stricte des pouvoirs exécutif et judiciaire.

Donc, il m’apparaît que la Constitution de 2005 garantit en partie la séparation des pouvoirs exécutif et législatif. Toutefois, un talon d’Achille demeure : l’indépendance du pouvoir judiciaire.

La Séparation des Pouvoirs selon le projet constitution de 2013

Alors que la Constitution actuelle ne garantissait pas totalement le principe des « checks and balances » ainsi que celui de la « séparation des pouvoirs », le projet constitutionnel proposé par le gouvernement vient les affaiblir encore plus :

  • Le Président de la République ne peut plus être déchu (art.67 du Projet);

  • Diminution du seuil requis pour voter les lois (art.42 et art.52 du Projet);

  • Suppression du contrôle que le Sénat exerçait dans les nominations à certains postes stratégiques (art.47 et art.57 du Projet);

  • L’exercice du droit de grève du pouvoir judiciaire serait désormais interdit (art.3 du Projet).

 À travers ces changements, on constate que le résultat sera un renforcement des pouvoirs de l’exécutif en réduisant le quorum exigé et en élaguant le contrôle du Sénat dans les nominations à certains postes stratégiques. D’ailleurs, c’est l’une des motivations du gouvernement tel qu’on peut le lire dans son exposé des motifs. Or, il m’apparaît dangereux de concentrer les pouvoirs dans l’un des trois types de pouvoir si on veut prévenir qu’il en abuse. Je suis d’avis avec Montesquieu qui affirmait que pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Dit autrement, lors d’une vaccination, une quantité minime de l’agent infectieux est introduite dans le sang pour permettre au corps de développer une meilleure immunité. On combat ainsi le feu biologique par le feu biologique. De la même manière, les « checks and balances » constitutionnels diluent le pouvoir par le pouvoir en invalidant en partie la séparation des pouvoirs des trois branches d’un gouvernement.

Pour ce qui est du pouvoir judiciaire, les changements proposés mettront le corps judiciaire à la merci de l’exécutif vu qu’il n’aura plus à sa portée un des moyens de pression des plus efficaces, soit le droit de grève.

Je suis d’avis que si le projet de changement de Constitution est votée tel quel, le Burundi se dirige tout droit vers une concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif, et par ricochet un risque de tomber dans la tyrannie. À titre de rappel, James Madison affirmait que l’accumulation de tous les pouvoirs chez un individu, quelques individus ou plusieurs, qu’il soit héréditaire, autoproclamé ou élu, est à juste titre la définition même de la tyrannie.

Dans ce contexte, Vu le nombre de défis que ce Projet soulève, il est impératif que nos élus à l’assemblée nationale, surtout ceux qui détiennent la balance du vote (Frodebu Nyakuri, Uprona et les Twa), se posent la question suivante lorsqu’ils se prononceront : Veut-on d’un Burundi où règne la Liberté ou veut-on d’un Burundi où règne la Tyrannie?

____________________________________________________________________________

1 Montesquieu (1995), De l’Esprit des lois, Tome 1, Gallimard, page 328
2 Ibid
3 Architecte de la Constitution américaine et ancien président des États-Unis
4 Ibid
5 Certains pourraient s’inscrire en faux, avec raison, contre cette affirmation vu les différentes lois non consensuelles qui ont été votées depuis les dernières élections. À ceux-là, je répondrai que si la plupart des partis politiques n’avaient pas opté pour le boycott du scrutin, ces Lois n’auraient probablement pas vu le jour
6 Nicole DUPLÉ (2004), Droit constitutionnel: principes fondamentaux, Wilson et Lafleur ltée, Montréal, pages 202-215

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Le president du gondwana

    La seule préoccupation des  »GENERAUX EX FDD » est seulement la candidature de leur maitre protecteur. un conseil: que tout le monde soit uni pour barrer le 3e mandat de l’actuel président.Le reste que ca soit les lois antisociales ,discriminatoires,taillées sur mesures,manipulations éventuellement futures de la CVR,etc. trouveront solution.TOUS CONTRE UN!CASSER LA NÉBULEUSE DU COMMANDANT SUPRÊME ET SES CO-PILOTES.TOUS LES INDICATEURS DU TABLEAU DE BORD DE LEUR AVION SONT AU ROUGE.courage le peuple burundais.

  2. makikiri

    Ton analyse est a la fois claire, simple mais en même temps savante. Je prie les conseillers de Nkurunziza qui savent lire de gaspiller un peu de leur précieux temps sur ton texte. Evidemment ils vont continuer a fermer les yeux pour ne pas voir et a boucher les oreilles de peur d entendre la vérité. Mais quoi qu ils fassent, il est dans l ordre normal des choses de quitter le pouvoir a un certain moment. Je n ai jamais entendu parler d un système éternel. Le drame de l Afrique ce n est pas que les présidents ne partent pas; c est qu ils attendent toujours le mauvais moment pour le faire.

  3. Mwaro

    merci pour ta contribution, qu, ils le veuillent ou pas une mauvaise loi ne triomphera jamais dans notre pays dans ce siècle, même si elle semble triompher c’est pour une courte durée et s’effondrera avec son initiateur

  4. Gondwanais Lamda

    Excellente analyse. Pour moi la seule question qui se pose maintenant est: Que faire pour arrêter cette descente aux enfers de notre nation??? Il faut se préparer à faire bloque contre la tendance tyrannique de certains membres du parti au pouvoir et de leur complice des autres partis de la mouvance. Que Dieu Protège le Burundi

  5. YAKOBO

    RYUMEKO, wavuga ntuvura, tutaravye neza CNDD iradusubiza mu ntambara,none bagomba iki
    Turahumiwe manayacu abasenga ni basenga, Kubera ivyo bagize 2010 bibaza ko bizobandanya

    Akamenyero kica inkware

  6. QUERIES

    Meric mon cher RYUMEKO!!! Iyo ba naka na ba naka baba bafata akanya ko kugira analyse nk’iyo tuba dufise espoir yo gukira…

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