Après des mois de suspens, le parti au pouvoir se tiendra finalement son congrès, ce dimanche 22 janvier à Gitega. Bien qu’il se veuille « ordinaire », à en croire certaines de nos sources, ce rendez-vous dont l’issue semble indécise, peut-être « extraordinaire ».
La marmite aura mis du temps à mijoter, comme aiment ironiser les Burundais. En effet, depuis que Révérien Ndikuriyo a pris les rênes du parti, en février 2021, le Cndd-Fdd n’avait jusqu’ici tenu aucun congrès.
Annoncé à plusieurs reprises, et chaque fois reporté, un flou a toujours été entretenu quant à la date de tenue dudit congrès. Impossibilité de se convenir sur le lieu, agenda surchargé des cadres…La cellule de communication du parti, comme à son habitude peu « bavarde » n’a jamais pipé mot, malgré les nombreuses sollicitations des journalistes. Un statu quo qui aura perduré jusque vendredi 13 janvier.
En effet, via une notification pour le moins inattendue, le ministère des Relations extérieures a rompu ce silence. A travers une note verbale, ledit ministère invite les corps diplomatiques et les missions consulaires à prendre part au congrès.
Simple oubli de la part de la très réservée cellule de communication ou pas ? Nous n’en saurons jamais la cause. Toutefois, toujours est-il que dans les coulisses, si l’on en croit, J.G, un ancien député, certains hauts cadres du parti étaient divisés à l’idée d’inviter les membres des missions diplomatiques.
Une incompréhension, car, en principe, les statuts et le règlement d’ordre intérieur de tout parti politique définissent dans quelles circonstances un tel rendez-vous est convoqué.
Cet ancien élu du peuple avec un brin moqueur, ironise : « S’il s’agissait de respecter les procédures d’usages, peu sont les rassemblements du parti de l’Aigle qui se tiendraient ».
Pour le congrès de ce dimanche, eu égard aux tensions déjà perceptibles, une autre source prévient : « A défaut d’un vote consensuel à main levée, il y a ce risque qu’il y ait forcing ».
L’avenir du poste de SG en jeu ?
Sauf surprise, notre source laisse entendre que l’avenir, surtout des prérogatives du secrétaire général, devrait figurer parmi les points à l’ordre du jour.
Entre autres interrogations, opine-t-elle : « Il s’agira de savoir si l’actuel secrétaire général sera remplacé ou que ses prérogatives en tant que SG, seront redéfinies pour avoir une marge de manœuvre réduite ? » Ce qui est d’ores et déjà certain, soutient notre source, c’est que depuis des mois, des consultations à tous les niveaux (communal, provincial) n’ont jamais cessé. Chaque camp, que ce soit les « réformateurs » ou « l’aile dure » du parti, se sont livrés à une guerre sans merci. Objectif : galvaniser leur base , histoire d’éviter que cette date arrivé étant en ordre dispersé. Une certitude, fait-elle remarquer , car, depuis que le président de la République a clairement signifié qu’il digérait mal le fait qu’un président du parti soit plus fort que le parti lui-même, notre source , indique que le camp des « réformateurs » s’est saisi de l’occasion.
L’ancien député explique qu’à plus d’une fois, « les réformateurs » ont voulu changer les textes régissant les structures du parti de la base au sommet, sans y parvenir. «Chaque fois qu’ils ont émis ce souhait, ils se sont heurtés + à un non catégorique ». Aussitôt de lâcher : « La question , c’est de savoir si ce blocage a pu être levé vu qu’ils ont fini par se convenir sur la tenue de ce congrès ou que c’est le rapport de forces qui a prévalu ? »
Pour le moment, analyse cet ex-député , ce qui est sûr , c’est que peu importe le mode vote qui sera utilisé (vote à main levée ou bulletin secret), le camp des réformateurs part gagnant. « Certes , un consensus serait l’idéal. A défaut, lorsque tu as le soutien du Commandant suprême de la Nation, qui est également président du conseil des Sages du parti, il est compréhensible que faire front , n’est pas une bonne option. Au finish , c’est le président de la République qui a le dernier mot. ».
Dans l’entretemps, avec un bureau central du parti quasi remodelé avec de nouveaux visages, dont les caciques qui venaient de passer plus de 10 ans, ont été remplacés, l’ancien élu du peuple , explique que le président Ndayishimiye possède toutes les cartes pour mener à bien sa mission. « Ce n’est pas seulement ce besoin d’insuffler du sang neuf, il y a ce besoin de signifier à quiconque que personne n’est inamovible », conclut-elle.
Ils donnent leurs points de vue :
Faustin Ndikumana : « Les vils intérêts personnels ne valent rien comparés aux intérêts de la population »
Le président de la Parcem estime qu’en tant que parti au pouvoir, ce congrès devrait être une occasion de s’autoévaluer, d’affiner leurs objectifs. « En principe, un tel rendez-vous, c’est un cadre de discussions, d’échanges pour voir dans quelle mesure trouver des réponses auxquels font face le pays. Et non, un moment pour régler les comptes, comme une partie de l’opinion commence à le craindre ».
Plus que tout, M. Ndikumana, indique qu’après bientôt 20 ans au pouvoir, les dirigeants du Cndd-Fdd doivent comprendre que les temps sont révolus. « Il n’est plus question de ressasser le passé, de rappeler qu’ils ont tant fait pour le pays, en se battant pour un Etat de droit, démocratique (légitimité historique).
Aujourd’hui, ce sont eux, les gestionnaires de l’Etat, à eux d’asseoir leur pouvoir sur la légitimité pragmatique c’est-à-dire cette capacité à trouver des réponses aux problèmes socio-économiques auxquels fait face la population burundaise. »
Et cerise sur le gâteau, analyse-t-il, avec un président de la République décidé d’en finir avec la culture de la mauvaise gouvernance, ce congrès devrait être un tremplin pour insuffler une nouvelle dynamique. « Les antagonismes entre les personnes, les divergences de vues ne peuvent pas manquer. Mais, ce qui est important, en tant que décideurs, c’est cette hauteur d’esprit : comprendre que les vils intérêts personnels ne valent rien comparés aux intérêts de la population en général ». Et de poursuivre : « Ce n’est pas pour rien que les Burundais ont les yeux braqués sur ce rendez-vous ».
Avant de conclure : « Aux congressistes qui seront présents, sachez que vous avez une grande responsabilité devant l’histoire. Ce congrès, compte tenu des enjeux, représente un tournant qu’il faut bien négocier au risque que le pays retombe dans les affres du passé ».
Gabriel Rufyiri : « Il faut séparer le parti et les institutions publiques. »
D’après le président de l’Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome), il y a des éléments qui poussent à avoir de l’espoir pour le prochain congrès du parti au pouvoir. Il fait savoir que cet espoir se fonde sur les discours politiques et quelques actions de lutte contre la corruption de la part du chef de l’Etat. « Malheureusement, ce sont des actions sporadiques qui ne peuvent en aucun cas pousser le Burundi vers des réformes profondes en matière de lutter contre la corruption et la bonne gouvernance. »
Selon le président de l’Olucome, les corrompus continuent de prendre le devant et à se montrer forts par rapport aux organes publics. « Nous sommes sceptiques, car c’est très compliqué d’engager des réformes actuellement, mais je ne dis pas que ce n’est pas possible. »
Gabriel Rufyiri rappelle que feu le président Pierre Nkurunziza avait proclamé, en 2010, la « politique de Tolérance zéro » et au sein du parti, on s’était engagé à suivre cette politique. D’après lui, il y avait une liste des corrompus qui devaient comparaître devant la justice. « Par après, les organes du parti se sont réunis et ont jugé bon de ne plus faire comparaître un cadre du parti parce que, selon eux, le parti allait éclater. Quand les corrompus sont devenus plus forts que l’Etat, la question de bonne gouvernance devient problématique. »
Le président de l’Olucome trouve qu’il y a une volonté manifeste du chef de l’Etat de lutter contre la corruption, mais cette volonté doit s’appuyer sur 4 éléments importants au moins : un discours politique qui doit être cohérent, le recrutement des experts nationaux et internationaux qui vont donner des pistes à suivre en matière de réformes, des sanctions exemplaires à l’encontre de tous les présumés corrompus pour que la chose publique soit respectée et enfin des actions concrètes. « Sur base de ces quatre éléments, nous pensons que le parti Cndd-Fdd peut aller loin. Sinon, nous allons toujours stagner. »
Réagissant sur l’invitation, pour participer au congrès, envoyée aux ambassadeurs accrédités au Burundi par le ministre des Affaires Étrangères, Gabriel Rufyiri trouve que cela prouve à suffisance que le Cndd-Fdd veut se comporter comme un parti -Etat. « Cela est l’un des éléments qui montrent que nous avons du pain sur la planche au niveau de la gouvernance. Il faut séparer le parti et les institutions publiques. C’est vrai que c’est le parti au pouvoir, mais il ne doit pas se confondre aux institutions. »
Toutefois, M. Rufyiri indique qu’il ne faut pas ignorer la manière dont le parti de l’aigle est construit. « Depuis sous le règne de Hussein Radjabu, ils ont instauré un système de commissions pour faire fonctionner le parti. Ceux qui donnent ces commissions ou ces contributions sont ceux qui bénéficient des marchés publics. Même ceux qui vont à l’étranger, il y a une part de frais de mission qu’ils doivent donner au parti. » Pour le président de l’Olucome, cela constitue un problème. « Il faut détruire tout cela.
Si nous voulons que la bonne gouvernance prenne racine, nous devons commencer par changer notre manière de penser, d’agir, de voir le monde. Qui vont participer dans ce congrès ? Qui décident réellement ? Ce sont des questions qui méritent une attention particulière. »
Tatien Sibomana : « Confondre le parti à l’Etat, c’est une hérésie ».
Tout en reconnaissant que par principe, il n’avait pas à s’ingérer dans le fonctionnement du Cndd-Fdd , car il n’en est pas membre. L’ancien député de l’Uprona explique entre autres les raisons qui le poussent à réagir: les agissements de Révérien Ndikuriy. « A travers ses faits et gestes, ses dires, on risque de croire qu’il y a confusion entre les missions et les compétences du chef du parti politique fut-il au pouvoir et celles du chef de l’Exécutif, en l’occurrence, le président de la République ».
En témoigne : la note verbale que le ministre des Affaires étrangères a adressée aux corps diplomatiques et consulaires. « Normalement, c’est un congrès du Cndd-Fdd. Alors s’il s’agit d’un congrès, fut-il du parti au pouvoir, le chef du parti en soit, certes, possède la latitude d’inviter les diplomates. Mais il ne revient pas à l’Exécutif de le faire ». Pour l’ancien élu du peuple, une aberration, car tout porte à croire qu’effectivement il y a confusion entre le parti et l’exécutif ou le parti et l’Etat. Ce qui n’est pas correct.
« Les missions de l’Exécutif sont claires. Tous les Burundais ne sont pas obligés d’appartenir aux partis politiques et encore moins, être, tous membres du Cndd-Fdd » Et d’ajouter : « Si le ministre des Affaires étrangères signe une note verbale dans ce sens , on croirait que les affaires du Cndd-Fdd sont confondues à celles de l’Etat . Confondre le parti à l’Etat, quand bien même, c’est un parti au pouvoir, c’est une hérésie ».
Concernant l’engouement autour de ce congrès, M. Sibomana, rappelle : « Aujourd’hui, le Cndd-Fdd veut se comporter comme un parti-Etat. Le SG du parti doit comprendre que le président de la République est le garant des toutes les institutions, plus que tout , qu’il est au-dessus de tous les partis politiques , y compris le parti au pouvoir auquel il appartient ». Ce politique d’ajouter : « Le président ou secrétaire général du parti, quand bien même au pouvoir, doit savoir qu’il ne peut pas rivaliser avec le chef de l’Exécutif . Ce sont deux personnalités très différentes ».
Ce que les gens ne savent pas, poursuit-il, c’est que le chef du Cndd-Fdd même est comparable à un chef du parti petit fut-il. La seule différence, c’est qu’il a l’avantage de diriger un parti au pouvoir. Sinon par rapport au traitement politique et même légal, conclut-il, il doit jouir des mêmes droits et s’acquitter des mêmes devoirs que les autres chefs des partis politiques .