Va-t-on vers la guerre ? Le pouvoir minimise les risques. L’opposition évoque la possibilité d’une conflagration. Une rébellion qui n’assume rien encore et dont personne ne connaît le leader et les réelles revendications est évoquée. Difficile de comprendre où va le Burundi. Tentative d’explication.
La situation actuelle est tout à fait spécifique, puisque d’abord les termes dans lesquels elle est posée ne sont en aucun cas identiques à ce qu’on a connu dans le passé. Il y a aujourd’hui un pouvoir issu des élections, qui fait face à une situation politique, sociale et économique très difficile.
Il y a une opposition qui, après avoir contesté la légitimité du gouvernement, semble aujourd’hui le reconnaître, puisqu’il demande des négociations.
Il y a un gouvernement qui parle d’une bonne situation sécuritaire, alors qu’il y a des morts chaque jour. C’est un engrenage de problèmes de sécurité, de violence et d’assassinats qui sont parfois l’œuvre des services de l’Etat et d’agents publics.
Bref, il y a beaucoup de phénomènes pour trouver facilement un fil conducteur. Mais les ingrédients de la guerre sont là. « Lorsqu’on affirme catégoriquement qu’il n’y a pas de bandes armées, mais des bandits, il est clair que c’est une situation qui relève de la police nationale », comme le reconnaît le constitutionnaliste Pascal Rwankara.
Pourtant, paradoxalement, quand on s’explique sur la situation de la sécurité intérieure, sans rébellion, il est étonnant que ce soit le ministre de la Défense qui le fasse, et non celui de la Sécurité publique. On peut s’interroger : pourquoi est-ce à l’armée qu’il revient d’expliquer la situation sécuritaire à l’intérieur du pays. La police est-elle dépassée ?
La milice, une force supplémentaire ?
Certaines sources évoquent aussi l’existence d’une « milice » du parti au pouvoir, les « Imbonerakure ». Ils seraient les principaux acteurs de l’ « Opération Safisha », une chasse à mort contre des FNL encore fidèles à Rwasa.
« La milice est développée pour accomplir des besognes que les forces de sécurité ne peuvent accomplir aisément, sur le plan légal, selon la nature des missions », précise Jean Baptiste Manwangari. Plus libre dans ses mouvements et ses agissements, une milice créée par un pouvoir va exécuter pour lui les missions délicates.
Quid du Burundi ? « L’Etat semble adopter une stratégie de pourrissement pour casser l’opposition à petit feu jusqu’à avoir les mains libres en 2015, sans véritable opposants », estime le professeur Siméon Barumwete, politologue.
Nier l’existence des bandes armées coupe court à toute discussion, car accepter qu’il y ait des négociations sur base de contestation du scrutin revient à admettre qu’il n’était pas irréprochable. Or, « l’axe fondamental du pouvoir est de dire qu’il a gagné haut la main les élections et qu’il faut attendre le prochain scrutin », indique le professeur Rwankara.
Si aujourd’hui le pouvoir parle de bandits armés, c’est qu’il compte sur ses capacités de les neutraliser. Sinon il devra compter avec, surtout qu’on peut se demander si la situation économique permettrait d’entretenir une nouvelle guerre.
« Lorsqu’on ignore une chose, il faut craindre le pire ! »*
Cette confusion sur le véritable état du pays pourrait aboutir à plusieurs situations. Le meilleur scénario est que les gouvernants soient suffisamment sages pour reconnaître ces problèmes et se mettent ensemble pour chercher leurs solutions, sans se voiler la face. C’est le moyen le plus profitable au pays et au gouvernement. La recherche de ces solutions serait inclusive en associant tous les acteurs de la vie nationale, en créant un cadre approprié.
Le pire scénario est que le gouvernement continue à nier ces problèmes, en pointant du doigt des gens malintentionnés. Il y alors risque que s’aggrave le désespoir face à la pauvreté et à la misère, avec un risque d’aggravation du traumatisme lié à la guerre, sans oublier les dérapages politiques. La situation peut créer des frustrations énormes et les personnes maltraitées peuvent se mettre ensemble pour revendiquer, par la force des armes.
L’autre scénario, le plus osé, serait un coup d’Etat interne au parti au pouvoir. Mais, outre le fait qu’il serait extrêmement périlleux, il est pratiquement impossible puisque les leaders des corps de défense et de sécurité sont avant tout des militants du parti au pouvoir. Il serait paradoxal qu’ils fassent un coup d’Etat contre leur propre parti. Surtout qu’il semble que le parti n’est pas dirigé par le leadership civil, mais militaire, qui était en même temps celui de la rébellion.
La situation actuelle n’arrange personne, que ce soit le pouvoir, l’opposition, et encore moins la population.
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*Cardinal de Richelieu