Un policier tire sur un journaliste. Le jour même, il est arrêté, jugé et condamné, grâce à la procédure de flagrance. La police et la justice ont fait leur travail. Mais cette diligence, quel que soit celui à qui elle s’applique, semble comporter des lacunes.
Le policier était coupable, et il a été immédiatement révoqué des forces de la police, avant d’être traduit en justice ». Déclaration d’Elie Ntungwanayo, porte-parole de la Cour suprême. Ce policier, c’est Pierre Havyarimana, accusé d’avoir tiré sur un journaliste de la RPA. Samedi 27 avril, vers 4 h du matin, Patrick Niyonkuru, alias Pajo, journaliste sportif de la RPA, rentre chez lui à Cibitoke à bord d’un tricycle dit « tuktuk. » Il s’arrête à un attroupement où des femmes s’insurgent contre des policiers qui font payer 200 Fbu à des cyclistes transportant des fruits. Alors qu’il demande ce qui se passe, un des policiers, Pierre Havyarimana, l’ayant identifié, le gifle et lui tire dessus deux fois, alors que le journaliste veut quitter les lieux en courant, comme le lui enjoint le policier. Heureusement, Pajo n’est blessé qu’au bras et il est acheminé à l’hôpital militaire. Une procédure de flagrance est alors enclenchée contre Pierre Havyarimana le jour même, pour crime flagrant. D’après le nouveau code de procédure pénale, on qualifie de flagrant un crime ou un délit qui est en train de se commettre ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, après la commission de l’infraction, la personne est poursuivie par la clameur publique. Ou, si dans un temps très voisin de la commission de l’infraction, le suspect est trouvé en possession d’un objet ou présente une trace indice laissant penser qu’il a participé à la commission du crime ou délit.
Une procédure légale, mais pas totalement …
Le conseil de discipline de la police raye donc Pierre Havyarimana de la liste des membres de ce corps et, entre 16h et 17h30, le Tribunal de Grande Instance en mairie de Bujumbura prononce contre le policier une peine de 15 ans d’emprisonnement et une amende pour la victime et la RPA dont le montant sera précisé plus tard. Pierre Havyarimana est inculpé de tentative de meurtre. A l’audience, aucun avocat ne le défend. Pourtant le prévenu en a réclamé un, ce qui lui a été refusé par le tribunal. Certes, la diligence avec laquelle ce cas a été traité par la police et le parquet est louable, mais des questions subsistent quant à la légalité de la procédure. En effet, l’inculpé n’a bénéficié d’aucune défense, alors que les articles 38 et 40 de la Constitution du Burundi garantissent que chacun sera Jugé équitablement, dans un délai raisonnable, publiquement, avec toutes les garanties nécessaires à sa libre défense. Selon Me François Nyamoya, la procédure de flagrance n’empêche pas que les droits de la défense soient assurés, au moins par un avocat commis d’office, pour assurer la régularité de la procédure : « sinon, aussi coupable que semble être l’inculpé, l’irrégularité de la procédure peut être brandie pour contester le jugement. Sans oublier que cette procédure peut surtout nuire à un innocent… » C’est également l’avis de Me Raphaël Gahungu, pour qui la procédure de flagrance présente parfois des inconvénients, comme le manque de temps pour chercher le mobile du crime : « le prévenu peut souffrir d’un trouble mental et il y a risque de condamner un malade. » Pour lui, pour qu’il y ait infraction, il faut, notamment, qu’il y a ait l’élément intentionnel, ce qui semble manquer dans le cas d’espèce.
Appliquer la loi, rien que la loi …
Et le code de procédure pénale semble clair dans ce sens. En son article 209, il stipule que l’officier du ministère public informe l’inculpé qu’il a des droits de se choisir un avocat, formalité dont il est fait mention dans le PV d’audition contresigné avec l’inculpé. Cependant la même disposition précise que l’assistance d’un défenseur est obligatoire lorsque l’infraction pour laquelle le prévenu est poursuivi est punie d’au moins 20 ans de servitude pénale. Et, d’après un commentaire recueilli au tribunal où le policier a été jugé, c’est normal qu’il n’ait pas eu de défense, puisque il a été condamné à 15 ans de servitude pénale. Étonnement de Me Gahungu : « Si cette disposition est ainsi libellée, elle est opposée à la constitution et aux instruments internationaux ratifiés par le Burundi. Elle est contraire aux principes élémentaires de la défense, quelle que soit l’infraction. »