Dans des pays ayant connu des crises intercommunautaires, il y a la concurrence mémorielle. Pour Jean Bosco Harerimana, expert en justice transitionnelle et professeur d’université, cela bloque tout effort de réconciliation.
Toutes les sociétés ayant connu un passé douloureux dû aux crises intestines sont toujours confrontées à un discours de catégorisation des victimes. « Ce discours est défini comme une concurrence mémorielle. Au lieu d’avoir une même perspective sur le drame, ils entrent en compétition pour dire notre ethnie, notre race, notre communauté, notre région a plus souffert que les autres», analyse Jean Bosco Harerimana, expert en justice transitionnelle et professeur d’université.
D’après lui, cette concurrence mémorielle est motivée par la revendication des attentions particulières. La recherche de la reconnaissance officielle va de pair avec des intérêts politiques, économiques et symboliques. « On s’arroge le droit de faire ce qu’on veut car on est reconnu victime ».
Le Pr Harerimana fait savoir que cette catégorisation n’est pas le propre de nos sociétés. Elle émerge à la fin de la 2e guerre mondiale. Les membres du parti communiste, qui ont résisté à l’idéologie nazi, ont été déportés avec les Juifs. A la fin de la guerre, les résistants ont considéré que les Juifs ne méritaient pas de reconnaissance officielle. « En France et dans les pays d’Europe, les communistes disaient qu’ils sont la cible des nazis ou des fascistes car ils ont résisté. Donc les Juifs n’étaient considérés que comme des moutons menés à l’abattoir».
Risque de violence
Cet expert en justice transitionnelle et paix craint des conséquences désastreuses dues à cette concurrence mémorielle. Il parle notamment de la tendance à la globalisation. Certaines communautés sont blâmées et des personnes sont considérées comme des bourreaux. « Les drames qui ont secoué les communautés ont tendance à se répercuter sur les générations futures. Cela bloque la réconciliation, la paix et le vivre ensemble ».
La situation peut dégénérer, prévient M. Harerimana, si des générations sont confrontées à un tel discours de stigmatisation. C’est un endoctrinement qui renvoie à l’instrumentalisation politique. « Quand on est instrumentalisé, tout devient possible. Il y a risque de résurgence des violences de masse ».
Jean Bosco Harerimana prône la déconstruction de ce cercle vicieux. Pour y parvenir, les décideurs doivent adopter un discours rassembleur, unificateur. Un discours qui tranche avec cette concurrence de mémoire. « Toutes les communautés, races, ethnies ont beaucoup souffert. On ne peut pas dire que la nôtre a été plus affectée que les autres ».
Les ONG, les Eglises et les personnages influents doivent aussi intégrer la déconstruction de ces discours de stigmatisation dans leur agenda.