À l’IFB, les photos d’Objectifs : amnésie ont marqué tout le mois de février, et bien de visiteurs. La force de l’exposition : une invitation à la compléter… « J’ai vécu des situations incroyables, où un policier me demandait de lui donner immédiatement mon appareil… Et moi je lui disais de me céder sur le champ son fusil! » Nous sommes au soir du 16 février 2012, en plein milieu (au propre comme au figuré) de l’exposition de Teddy Mazina. L’IFB et le café-littéraire Samandari proposent un débat sur la photographie au Burundi. L’auteur d’Objectifs : amnésie raconte son expérience. Revenant sur la pratique même du métier, un participant s’est interrogé, à haute voix : « Cela fait 30 ans que je prends des photos à travers le monde, et au Burundi, c’est la première fois que je n’arrive pas à en prendre! Pourquoi ? » Alors on a tenté d’analyser, d’expliquer. Que les Burundais sont un peuple habité par des peurs que l’objectif d’un appareil réveille, que la culture burundaise sacralise l’introversion, le silence, le non-dit, et par extension, le non-vu… Et puis, la pauvreté et « une forme de mendicité rampante » aidant (dixit Teddy), on en arrive là : si on ne vous refuse pas carrément de prendre des photos, on vous l’accordera au prix d’un billet de quelques milliers de francs burundais.
Quand la mémoire a faim
Au fil de la discussion, les dizaines de photos accrochées aux murs ou pendant au bout des fils invitent encore et encore à aller au-delà de la pratique. A chercher du sens. C’est donc avec surprise que l’on entendra Teddy lancer : « Je n’écris pas de la politique ! » Comment le croire quand tout autour, justement, giclent des images laissées par le fait politique ? Élections, visages en extase, poussière, armes des démobilisés, manifestants, les morts, l’aigle, la vie, le fusil, le poing fermé, les pagnes autour des reins, les crevasses d’un inconnu couché sur le trottoir, … la « politique » est là. Vécue avec intensité, espoir, et des moments de flottement, puis un espèce d’engrenage dont la caméra de M. Mazina montre les dents! Tout devient plus fort, encore. Car, rappelle Annabelle, « l’exposition est un sujet construit. » Teddy lui-même l’admettra, en soulignant avoir « pris la décision de ne pas montrer de visage de mort, ni d’un politique, à une exception près, celui du Président Nkurunziza »… Oui, mais construit autour de quoi ? L’obsession de la mémoire, qui atteste qu’entre 2008 et 2011, tel peuple aura vécu tels faits. Objectifs : amnésie devient finalement la courbe qui dessine la température politique d’un moment de l’histoire du Burundi, avec comme mesure, l’œil, le coeur et la tête de Teddy Mazina. Ne dit-il pas, l’artiste du Studio Clan-Destin, que pour lui, « le calme est là, mais la paix non ? » Non seulement, « un photographe nous est né! », mais surtout « Teddy institue quelque chose : être témoin de son temps et le revendiquer », soulignera Adrien. Et si le témoignage de Teddy est précieux, c’est justement parce qu’il est « vrai », dans le sens où l’on ne peut « contredire » ses photos. Elles sont là, elles figent des instants, froides, sévères, fidèles à leur auteur et à leurs objets. Sauf… qu’il reste l’interprétation. A l’image de Francis, admiratif : « Je savais quelle sorte d’image tu allais exposer, je savais que ta colère serait là! », Agnès conclura : « Il y a un formidable travail de terrain devant nous, mais qu’on doit compléter avec d’autres. » Car finalement, comme dans toute construction d’une histoire, le plus important est la somme des témoignages. {Objectifs : amnésie} est si innovateur qu’elle fige en elle-même le temps de l’histoire de la photographie au Burundi, et au-delà, celle du pays lui-même. Or cette dernière a toujours été et restera, caméra ou pas ! D’où la nécessité de la compléter, avant et après, par des témoignages, des textes, des images, autres, des mots… Nicéphore Ndimurukundo, professeur de l’Université du Burundi, à la retraite : « Ce que vous voyez ici n’est pas nouveau. Dans le temps, c’était terrible. Il n’y avait ni radios ni caméras pour dénoncer. Et le soir, on chantait : Vive le Président. » Ou encore Jean-Marie : « Si nous souffrons aujourd’hui,… cela remonte de loin. » Pourquoi ne pas le redire ? « Peut-être ferrions-nous moins d’accidents si nous regardions de temps en temps par le rétroviseur de l’histoire… »