Répudiée manu militari, déclarée morte alors qu’elle est encore en vie, la non-exécution des décisions judiciaires et administratives, mauvais traitements sous le toit conjugal, telles sont quelques-unes des difficultés subies par Léocadie Bampendubwenge.
Mariée légalement à Barthélemy Bangirinama en 1987, sur la colline Kinyami, commune Nyabiraba, province de Bujumbura, Léocadie Bampendubwenge n’aura pas une vie rose dans son nouveau foyer.
Elle connaît des problèmes de progéniture. Sur cinq grossesses, elle a eu toujours des mort-nés. « Mon mari me disait toujours d’accoucher à la maison comme les autres », a-t-elle confié.
Des injures, des mauvais traitements, des menaces d’expulsion du toit conjugal sont le lot quotidien de la pauvre femme. « Tu es incapable d’élargir la famille. Il faut que tu retournes chez tes parents ». Des menaces quotidiennes proférées par M. Bangirinama à l’endroit de son épouse.
A la 6e grossesse, les amies et certains membres de sa famille décident d’amener Léocadie Bampendubwenge dans une structure de soins. Elle mettra au monde un enfant bien portant qui portera le nom d’Evangeline Nshimirimana.
Pas de changement
Malgré cette naissance, Mme Bampendubwenge continuera à subir des mauvais traitements. Elle est finalement répudiée en 1996.
Accompagnée de sa fille âgée à peine de deux ans, Léocadie Bampendubwenge retourne chez ses parents sur la colline Mbare-Gasarara dans la commune Nyabiraba. Sa vie ne sera pas facile.
Avec la crise déclenchée en 1993, elle passe des nuits dans la brousse et les marais sous le crépitement des armes. Bujumbura étant le théâtre des combats entre les mouvements rebelles et l’armée burundaise.
Nonobstant cette insécurité, elle parvient, tant bien que mal, à éduquer et scolariser son enfant jusqu’à ce qu’elle obtienne le diplôme de fin des études secondaires à l’école paramédicale Saint Luc de Ngagara.
Entretemps, raconte Mme Bampendubwenge, son époux contracte un second mariage légal avec Angèle Ndibwanabo, qui a été célébré en commune Kanyosha, en date du 5 juin 1996.
Le mensonge mis à découvert
« Depuis quelques temps, il y avait des rumeurs qui circulaient faisant état que maman aurait été déclarée morte à l’état-civil par mon père afin qu’il puisse contracter un second mariage. Cela a été découvert en 2014 au moment où je suis allée chercher mon extrait d’acte de naissance à la commune », a révélé Evangeline Nshimirimana. Un extrait exigé pour compléter son dossier scolaire d’autant qu’elle s’apprêtait à terminer ses études secondaires. Elle sera diplômée en 2015.
Elle s’est rendue à la commune Kanyosha où ses parents ont contracté le mariage. « J’ai décliné mon identité mais l’agent de l’état-civil n’a pas pu trouver le nom de ma mère dans le registre d’actes de mariage », raconte Evangéline Nshimirimana. A la place, ajoute-t-elle, se trouvait la dénommée Angèle Ndibwanabo, la seconde femme de mon père. Coup de tonnerre !
L’ inquiétude envahit la jeune fille. Elle se pose mille et une questions. Les agents de l’état-civil lui demandent si sa mère ne serait pas morte. Et de répondre qu’elle est bien vivante. Le doute gagne aussi les agents de l’état-civil.
Après, elle est retournée raconter ses déboires à sa mère. Le lendemain, elle et sa mère se sont rendues à la commune Kanyosha pour démontrer que sa mère vit encore.
En la voyant, les agents de l’état-civil se précipitent pour consulter le registre d’actes de décès. Mme Bampendubwenge a été déclarée morte.
Des sanglots du côté de Léocadie Bampendubwenge et sa fille ne tarissent pas. Cette dernière s’interroge comment elle va obtenir son extrait d’acte de naissance. Elle prend la situation à bras-le corps. « Je suis allée dire à mon père de chercher mon extrait d’acte de naissance », fait savoir Evangéline Nshimirimana. Heureusement, s’est-elle réjouie, son père s’est arrangé pour en trouver. « Enfin de compte, c’est la recherche de mon extrait de naissance qui a permis de savoir que ma mère a été déclarée morte », a-t-elle souligné.
Des défenseurs des droits et les leaders communautaires se sont interrogés sur cette situation. Comment M. Bangirinama a pu tromper la vigilance des agents de l’état-civil ? Y a-t-il eu publication des bans avant la célébration dudit mariage ? Si oui quel a été le rôle du voisinage ou de l’administration à la base ? « Il y a anguille sous roche », lance B.N., une leader communautaire de la colline Kinyami.
Du feuilleton judiciaire
En 2007, Léocadie Bampendubwenge porte plainte devant le tribunal de résidence de Nyabiraba. Elle réclame d’être rétablie dans ses droits. Dans sa décision, le tribunal déclare la plainte recevable sous le N°RCF 185/2007, mais sous certains aspects. Par après, le tribunal prononce le divorce entre Léocadie Bampendubwenge et Barthélemy Bangirimana.
En plus, le tribunal ordonne que la décision doit être enregistrée à côté de l’extrait d’acte de mariage.
En outre, il accorde des dommages-intérêts de 200 mille BIF à Léocadie Bampendubwenge payables par Barthélemy Bangirinama en guise de paquet retour. Mais ce jugement ne sera signifié à Mme Bampendubwenge qu’en mars 2016.
Mme Bampendubwenge interjette appel
Après la découverte du mensonge de son mari et avec l’appui des défenseurs des droits des femmes, Mme Bampendubwenge interjette appel contre le jugement RCA/185/2007 devant le tribunal de grande instance de Bujumbura. « Je me suis sentie lésée par le jugement rendu par le tribunal de résidence de Nyabiraba. Il fallait que je sois rétablie dans mes droits », a-t-elle fait savoir.
Même objectif du côté des leaders communautaires de la colline de Kinyami dans la commune de Nyabiraba. « Les droits de Mme Bampendubwenge ont été bafoués. Il fallait la réhabiliter », soutient N.M., une des leaders communautaires de la localité qui suit de près l’affaire.
Se saisissant du dossier, le tribunal de grande instance de Bujumbura, siégeant à Kabezi en matière civile et en audience publique en date du 26/01/2017, déclare le procès RCA 5982 recevable. Il rend son verdict en se basant sur les articles 158 et 159 du code des personnes et de la famille (CPF) du Burundi.
Ainsi, lit-on dans ledit jugement, le tribunal ne prononce pas le divorce entre Barthélémy Bangirinama et Léocadie Bampendubwenge.
Le juge d’appel ordonne que Léocadie Bampendubwenge regagne le toit conjugal. Et de demander à Barthélemy Bangirinama de chercher où établir sa seconde femme Angèle Ndibwanabo.
Le second mariage est dissous
En 2017, le procureur de la République de Bujumbura porte plainte contre Barthélemy Bangirinama devant le tribunal de résidence de Nyabiraba pour avoir contracté un second mariage illégal.
Ainsi, le tribunal de résidence de Nyabiraba, siégeant en matière pénale et en audience publique en date du 17 mai 2018, décide recevable le procès RP 05/2017, RMP/13327/B.R. comme lui soumis par le procureur de la République de Bujumbura et déclare aussi que la plainte est fondée.
Le tribunal conclut que Barthélemy Bangirinama est coupable d’avoir contracté un mariage illégal avec Angèle Ndibwanabo et il lui inflige une amende de 100.000 BIF.
Le jugement RCA 5982 exécuté
En date du 7 février 2018, le tribunal de résidence de Nyabiraba procède à l’exécution du jugement ci-haut mentionné. En présence des parties au conflit, des témoins et de l’administration collinaire, le tribunal décide l’expulsion de Mme Angèle Ndibwanabo, seconde épouse illégale de Barthélemy Bangirinama. Il demande à ce dernier de voir où établir sa seconde épouse. Du coup, il réinstalle Mme Léocadie Bampendubwenge dans son toit conjugal.
Par ailleurs, précise le procès-verbal d’exécution, le tribunal ordonne que pour ce qui est de la gestion et l’utilisation du patrimoine familial, Barthélemy Bangirinama devra avoir un accord préalable de son épouse légale Léocadie Bampendubwenge,
En outre, le tribunal constate qu’il y a deux vaches dans la famille et ordonne à Barthélemy Bangirinama de ne pas les vendre sans le consentement de son épouse légale Léocadie Bampendubwenge.
Satisfecit du côté de Mme Bampendubwenge et des leaders communautaires. Un moment pour Mme Bampendubwenge de lancer un ouf de soulagement. Mais une joie qui ne durera que le temps de la rosée.
L’autorité provinciale saisie
Léocadie Bampendubwenge s’est aussi confiée au gouverneur de province de Bujumbura. Celui-ci écoute le couple et trouve coupable M. Bangirinama. Selon des sources présentes au cabinet du gouverneur, M. Bangirinama a avoué la faute, celle d’avoir déclaré sa femme morte alors qu’elle est encore en vie.
Désiré Nsengiyumva, gouverneur de Bujumbura, prend alors la décision N°531.02/58 du 3 mai 2022 d’annuler le second mariage illégal ayant eu lieu entre Barthélemy et Angèle Ndibwanabo.
D’une part, constate-t-on dans ladite décision, cette autorité provinciale se base sur l’article 116 du CPF, alinéa h qui a été violé par Barthélemy Bangirinama. Celui-ci a contracté un second mariage légal avec Angèle Ndibwanabo, en date du 5 juin 1996, à Ruyaga, commune Kanyosha, inscrit dans le registre d’actes de mariage sous Acte 46, Volume 26 par l’officier d’état-civil Clément Ndereyabandi.
Au moment où la première épouse Léocadie Bampendubwenge, encore en vie, et avec laquelle il avait eu un mariage légal en date du 7 novembre 1987 à Ruyaga, commune Kanyosha, inscrit dans le registre d’actes de mariage sous le N° Acte 124, Volume 09.
Par ailleurs, il n’y a jamais eu de divorce et Barthélemy Bangirinama est allé déclarer morte sa première épouse pour contracter un second mariage.
D’autres part, M. Nsengiyumva se fonde sur différentes décisions judiciaires rendues publiques sur cette affaire.
Ainsi, déclare l’autorité provinciale, Léocadie Bampendubwenge est la femme légale de Barthélemy Bangirinama conformément aux dispositions régissant le mariage au Burundi.
En outre, ajoute le gouverneur, l’extrait de décès figurant dans le registre des actes de décès dans la commune de Kanyosha déclarant le décès de Léocadie Bampendubwenge alors qu’elle est encore en vie doit être annulé et Léocadie Bampendubwenge doit recouvrer ses droits matrimoniaux.
Il décide, enfin, que le second mariage entre Barthélemey et Angèle Ndibwanabo est annulé définitivement à partir du 28 mars 2022. Et de demander à l’administrateur de la commune Nyabiraba de mettre en application ces décisions.
Des décisions judiciaires et administratives non encore appliquées
« Les décisions prises par les autorités judiciaires et administratives restent lettre morte », s’indigne Léocadie Bampendubwenge, qui se sent toujours menacée
Selon les sources sur la colline Kinyami, la seconde femme reste encore visible dans la propriété et loge souvent dans la maisonnette construite par son concubin.
« Quand je cultive, ma concubine me chasse. Je me suis confiée à l’administration communale et collinaire mais jusqu’à présent personne n’est encore venue à ma rescousse. Je soupçonne que mon mari utilise des pots de vin », se lamente-t-elle.
Elle regrette qu’elle soit encore dans le registre d’actes de décès. Et de marteler : « Je demande aux autorités habilitées de me rétablir dans mes droits. Que la loi soit respectée et mise en application.»
Elle demande que la seconde femme quitte la propriété comme le tribunal et le gouverneur l’ont décidé et ordonné.
Même lamentations du côté d’Evangéline Nshimirimana. Elle déplore que l’affaire reste comme un méandre et qu’elle ne voit pas quand les choses rentreront dans l’ordre. Les paroles tenues par mon père devant le gouverneur, se désole-t-elle, ne sont pas encore honorées. Selon elle, même le partage de la propriété n’est pas au rendez-vous.
Et de réclamer : « Qu’il partage équitablement la propriété et d’autres biens et nous montre la part qui revient à chacun. »
Comme sa mère, elle dénonce l’inaction de l’administration à la base : « Au niveau de la famille, il y a un camp qui soutient mon père, mais même l’administration locale est de son côté.»
L’administration à la base se défend
« Après que le tribunal a décidé que la seconde femme quitte le toit conjugal pour s’établir ailleurs, la femme en question a momentanément déménagé et a élu domicile à Kanyosha », affirme Acapite Ngendahonankwa.
Quand elle monte cultiver ou sarcler les champs, précise cette autorité collinaire, elle loge dans la maison de ses enfants. Elle peut y passer une ou deux semaines et après elle part, ajoute-t-il.
M. Ngendahonankwa rejette en bloc les informations faisant état des menaces envers M. Bampendubwenge.
« Depuis qu’il y a eu partage de la propriété familiale, c’est-à-dire, une partie pour les enfants issus du second mariage, et celle qui revient à la première épouse et son enfant, le climat est sain. Qu’elle apprenne à dire la vérité », renchérit-il.
Concernant d’autres propriétés achetées par Barthélemy Bangirinama, le chef collinaire confie que le partage n’a pas encore eu lieu faute de la disponibilité du chef de ménage.
Interrogé sur le respect des décisions judiciaires et administratives, M. Bangirimana se défend. « Je pense que ce que j’ai promis a été réalisé. Concernant le partage des propriétés, les notables l’ont déjà fait, il me reste d’appeler les enfants pour leur montrer la part qui leur revient ».