Les cas de violences économiques dans la commune Bubanza vont crescendo. Dans certains foyers, les femmes grognent et dénoncent la dilapidation des biens familiaux tout en supportant la charge des enfants au moment où leurs maris se la coulent douce en entretenant des concubines. Les activistes dans le domaine des VBG en appellent à l’application de la loi pour protéger les victimes.
« Les témoignages des victimes sont accablants. Et les cas prennent une allure inquiétante. Je reçois au moins trois à cinq victimes par mois qui viennent me raconter le calvaire qu’elles endurent », déplore Antoine Icihagazeko, activiste dans le domaine des violences basées sur le genre, VBG, et responsable du Réseau burundais des personnes vivant avec le VIH-sida (RBP+), antenne de Bubanza.
Il fait savoir que les cas documentés ne montrent que la partie immergée de l’iceberg épinglant par là le silence de certaines victimes.
Les victimes rencontrées parlent de la dilapidation des biens familiaux. Tantôt, témoignent-elles, c’est la vente ou l’achat des propriétés foncières par leurs conjoints. Tantôt, c’est le non-accès aux revenus de leurs époux. Et parfois, la vente ou l’achat des propriétés foncières se fait à leur insu. Le pire est que cela se fait au profit des concubines.
Une vie misérable
Daphrose Nimbona approche la quarantaine. Elle habite la colline Ruhororo I, commune et province de Bubanza. Elle est mariée légalement à Salomon Gasimbo depuis 2014. Le couple a eu trois enfants.
« C’est en janvier 2024 que les choses commencent à se compliquer. Un bon matin, je rends visite à mes parents. De retour, je trouve la maison cadenassée, mes habits éparpillés dehors. Je n’en reviens pas. Je passe une nuit à la belle étoile », raconte-t-elle.
Le lendemain Mme Nimbona se confie aux médiateurs collinaires et à l’administration locale. Ces derniers décident qu’elle regagne le toit conjugal.
« Après, j’apprends de la part des proches de mon époux qu’il a une concubine et qu’il vit avec elle dans une maison louée », se désole-t-elle ajoutant que son époux en est, pour le moment, à une seconde concubine.
Pire encore, elle apprend que le véhicule de transport de type « Stechen A1906A » acheté après avoir vendu sa propriété foncière a été vendu à son insu par son mari pour entretenir ses concubines.
Malgré la décision prise par les notables collinaires, Mme Nimbona passera seulement deux mois dans la maison conjugale. Elle en sera chassée sans aucune autre forme de procès. « Mon mari commence à m’accuser de tous les maux : tantôt d’adultère, tantôt de sorcellerie. Je suis expulsée avec mes trois enfants que je supporte seule malgré mes maigres moyens », continue-t-elle son récit avec amertume.
Elle fait savoir que son mari ne s’en est pas arrêté là. Il enfonce le coup dans la plaie. Il introduit le dossier (RCF 339/2024) de divorce au tribunal de résidence de Bubanza. Le divorce est prononcé au mois de novembre 2024.
Elle dit avoir interjeté appel au tribunal de grande instance de Bubanza contre le jugement rendu au premier degré. « Il faut que je sois rétablie dans mes droits ! Que je regagne le toit conjugal et que mon mari m’aide à scolariser et surtout à nourrir nos trois enfants ! », réclame-t-elle.
Contacté à propos de toutes ces allégations, Salomon Gasimbo, époux Daphrose a rétorqué : « Je ne peux rien dire sur vos micros. Le dossier est déjà en justice. Laisse-le suivre son cours normal. Du reste, tout ce que je peux dire, je le dirai devant les instances judiciaires ».
Mettre au monde des filles est un péché
![](https://www.iwacu-burundi.org/wp-content/uploads/2025/02/Tribunal-de-grande-instance-de-Bubanza.jpg)
« Je suis mariée légalement à Jean Nocte Harerimana depuis 2011. Mon mari est un enseignant. Le début de notre union a été rose. Les choses virent au rouge quand je mets au monde une seconde fille. Il menace que si je ne mets pas au monde un garçon, je serai chassée manu militari », confie Emilienne Ndayegamiye, une quinquagénaire habitant sur la colline Ruhororo II-Migere, en commune et province de Bubanza.
Malgré la naissance d’un garçon, raconte-t-elle, la cohabitation avec son époux ne s’est pas améliorée. A la 5e naissance, M. Harerimana intime l’ordre à son épouse de ne plus mettre au monde aucun autre enfant sans pour autant justifier son injonction.
« Mon mari déserte le toit conjugal me laissant six enfants. J’apprends qu’il a une concubine et vit avec elle dans localité de Randa. Ses amis m’informent que la maison qu’il occupe a été achetée grâce à l’argent issu de la vente d’une propriété qu’il avait héritée de ses parents. Et tout ceci s’est fait dans la discrétion », s’indigne Mme Ndayegamiye.
Les relations continuent d’évoluer en dents de scie. Elle se confie elle aussi aux médiateurs collinaires mais sans succès. Par après, elle saisit les instances judiciaires en juillet 2024, non pas pour demander le divorce, mais pour obtenir le retour de son conjoint qu’elle accuse d’abandon de la famille. Son dossier sera déclaré recevable au tribunal de résidence de Bubanza et enregistré sous le numéro RCF/335/2024.
Dans son jugement du 30 juillet 2024, le tribunal donne raison à Mme Ndayegamiye et ordonne qu’une partie (2/3) du salaire de son conjoint lui revienne pour la survie des enfants et qu’elle va, en plus, continuer à exploiter les propriétés foncières acquises en commun.
Précisons que selon le jugement, le tribunal de résidence de Bubanza s’est basé sur les articles 174 et 178 du Code des personnes et de la famille.
Le premier stipule que : « Si l’un des époux n’a pas de ressources suffisantes, le juge peut, à sa demande, fixer les provisions alimentaires et celles nécessaires au déroulement du procès que l’autre époux est tenu de lui verser. »
Le second dispose que : « A la demande de l’un des époux, le tribunal peut ordonner toutes mesures conservatoires de ses droits. Il peut notamment ordonner que les scellés soient apposés sur les biens personnels de l’un d’eux. Les scellés peuvent être levés à la requête de la partie la plus diligente. Les objets et valeurs sont alors inventoriés, prisés et confiés à un gardien judiciaire désigné par le tribunal. Ce gardien peut être l’un des époux ».
Emilienne Ndayegamiye dit être menacée par son mari qui l’accuse de l’avoir traîné en justice. Pourtant, s’étonne-t-elle, son mari a interjeté appel. Elle demande qu’elle soit protégée.
Iwacu a essayé de joindre le nommé Jean Nocte Harerimana, mais son téléphone est resté éteint.
Des procès non exécutés
Par ailleurs, Mme Ndayegamiye s’insurge contre la non-exécution de la décision prise par le tribunal de résidence de Bubanza. Elle lance un cri d’alarme pour qu’elle ait les moyens de faire vivre sa progéniture.
Une source sous couvert d’anonymat proche de la justice à Bubanza indique que le manque de moyens de déplacement des magistrats ainsi que les recours répétitifs des justiciables entraînent souvent la non-exécution des jugements.
Du côté de l’administration, le prénommé Pascal, chef de secteur, dit être au courant du différend qui oppose les deux conjoints et avoir essayé d’y trouver une solution sans pour autant y parvenir.
Il informe que même si l’épouse parle de menaces lui proférées par son mari, ce dernier à son tour accuse son épouse des mêmes agissements. « Maintenant que le dossier se trouve en justice, que cette dernière fasse son travail », conclut-il.
Un cortège de violences
Selon Antoine Icihagazeko, toutes les formes de violence se font parler d’elles dans la province de Bubanza. Pour le cas d’espèce, précise-t-il, les violences économiques entraînent d’autres violences dans la plupart des ménages. « Quand il y a dilapidation du patrimoine familial et que la femme lève le doigt, l’époux s’adonne souvent à des menaces. La femme garde les blessures en elle. Elle est plongée dans le traumatisme. Les violences psychologiques s’installent », déplorent-t-il.
Selon cet activiste de la société civile, les choses ne s’arrêtent pas là. « Dans la plupart des cas, quand les épouses portent à la connaissance des proches ou de l’administration le calvaire qu’elles endurent ou lorsqu’elles saisissent la justice pour réclamer leurs droits, les violences physiques s’en suivent », ajoute-t-il.
De son côté, B.N., défenseuse des droits des femmes, déplore le silence des victimes des violences économiques. « Certaines femmes assistent impuissantes à la mauvaise gestion des biens familiaux et souvent au profit des concubines de leurs époux. Et quand elles réclament quoi que ce soit ce sont les coups et blessures qui s’en suivent »
Des doléances prises à la légère
M. Icihagazeko indexe l’administration locale qui prendrait à la légère les doléances des victimes se contenant souvent des arrangements à l’amiable.
Par ailleurs, il épingle la lenteur observée dans le traitement des dossiers des victimes au niveau des instances judiciaires. « Non seulement il y a cette lenteur mais aussi il y a le coût élevé des procédures. Démunis, les justiciables sont obligés d’abandonner les procédures », déplore-t-il.
Ce défenseur des droits humains recommande aux autres associations de concentrer leurs interventions dans les milieux ruraux pour une meilleure prise en charge holistique des victimes des VBG. Il plaide aussi pour un financement consistant dans ce domaine.
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