Pierre Hazan, expert en justice transitionnelle, estime que la CVR n’est pas une panacée en soi. Il soutient, en outre, que le projet de CVR actuel, au Burundi, ne concourt pas à créer un instrument de réconciliation.
<doc6515|right>Le Burundi s’apprête à se doter d’une Commission vérité et réconciliation (CVR). Dans tous les pays qui ont créé de telles Commissions pour faire la lumière sur des violations massives des droits de l’homme, il s’agit d’un moment important, riche de potentialité pour créer une société plus stable et plus démocratique, mais cette étape constitue aussi un moment riche de dangers.
Les enjeux sont de taille : une Commission vérité peut permettre l’émergence d’un récit inclusif sur les crimes commis par les différents belligérants et contribuer à dénoncer les tentatives révisionnistes. Une Commission peut aussi donner une juste place aux victimes qui seraient désormais pleinement reconnues dans l’espace public. Elle peut contribuer à normaliser les relations entre des groupes qui s’étaient affrontés dans le passé. Tout cela est capital pour apaiser les tensions, renforcer l’unité nationale et construire une société démocratique.
Mais les Commissions vérité ne sont pas des baguettes magiques. Elles peuvent être aussi perverties. Au lieu d’être des instruments de réconciliation, elles peuvent être manipulées politiquement pour écarter tel ou tel groupe ou opposants, ou pour amnistier certains « amis ». Au Népal, certains défenseurs des droits de l’homme préfèrent aujourd’hui qu’il n’y ait pas de CVR, plutôt que d’en voir une qui soit le jouet des autorités en place. En Serbie, la Commission Vérité – qui a été démantelée avant terme – visait à relativiser les crimes commis par des soldats ou des miliciens de ce pays. Hommage du vice à la vertu, ces institutions manipulées n’ont pas produit les résultats escomptés par leur créateur : ni les sociétés concernées, ni les Nations unies, ne furent dupes, mais ce fut de belles occasions qui ont été gâchées par des intérêts politiques à court terme des pouvoirs en place.
CVR : un moment décisif
De toute évidence, le processus de création d’une Commission vérité est un moment décisif. Car beaucoup de points essentiels qui se décident vont déterminer le résultat final. La question clef de l’indépendance de la Commission, le choix des commissaires (avec ou non, des membres de la société civile et des experts étrangers), le respect ou non des normes et des standards internationaux, le fait de nommer ou non les auteurs des crimes, la définition du mandat de la CVR, l’articulation entre la Commission et le Tribunal spécial, tous deux prévus par les accords d’Arusha ainsi que par la résolution 1606 du Conseil de sécurité de l’ONU, représentent autant d’éléments cruciaux.
L’expérience de beaucoup de pays démontre que plus le projet de CVR est discuté librement au sein de la société, au Parlement, avec les Nations unies et avec d’autres partenaires intéressés, plus celle-ci a le potentiel de jouer un rôle important dans le processus de reconstruction sociale. A l’inverse, si la société civile a l’impression d’être court-circuitée, si les Nations unies et autres potentiels donateurs sont mis devant le fait accompli et si les standards internationaux en matière d’indépendance ne sont pas respectés, alors l’exercice risque d’être vain, si ce n’est contre-productif.
Un projet de CVR bancal
Les développements récents au Burundi sont inquiétants. Il y a un risque réel que la Commission n’ait que peu d’indépendance. Le projet, tel qu’il circule officieusement aujourd’hui n’est pas conforme aux standards internationaux. La création d’un futur Tribunal spécial n’est pas mentionnée. Les Nations unies et les éventuels donateurs étrangers, qui devraient financer une institution qui pourrait coûter une quinzaine de millions de dollars, n’apprennent les derniers développements que par des fuites. Rien de cela n’est très sain.
Mais les autorités peuvent encore modifier le projet de CVR. Il n’est pas trop tard pour apporter des changements substantiels. Une large consultation serait sûrement le meilleur moyen pour qu’une Commission vérité digne de ce nom puisse naître et contribuer à ce que les cinquante prochaines années du Burundi soient plus pacifiques que les cinquante années qui ont suivi son indépendance.
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1 Pierre Hazan enseigne la justice transitionnelle à l’Université de Genève. Il est l’auteur notamment de {« Juger la guerre, juger l’histoire, du bon usage des Commissions vérité et de la justice internationale »} (PUF) et est l’un des membres du Groupe International de Contact sur le conflit basque.