Dimanche 24 novembre 2024

Politique

Commentaire – Silence, on décrète

11/06/2024 7
Commentaire – Silence, on décrète
«Tout roi est fait, édifié par des hommes », dixit la sagesse burundaise

Par Abbas Mbazumutima

Depuis la proclamation de la République et la chute de la monarchie burundaise multiséculaire, rarement une période n’a été aussi prolifique en décrets que ces derniers mois. L’objectif est clair : rectifier le tir, impulser un nouvel élan, une nouvelle dynamique. Mais cela n’est pas sans conséquences.

Si l’on devait parler d’une « moisson en termes de décrets », ces dernières semaines ont été particulièrement fécondes, marquées par une véritable « récolte ». Ces décrets sont tombés comme un couperet – pardon pour les grincheux – ou comme une manne salvatrice pour un sursaut national, un nouveau départ.

Quotidiennement, des « fatwas » ou des bulles présidentielles ont été émises, glaçant parfois le sang de cadres déboulonnés, tombés de leur piédestal. Ces hauts fonctionnaires se disent probablement, intérieurement, qu’ils n’ont pas démérité. Certains restent dignes, pensant peut-être qu’ils sont remerciés pour leurs bons et loyaux services.

D’autre part, il y a les heureux élus promus à de nouvelles fonctions. Et encore une fois, s’il vous plaît, grincheux, cessez de maugréer : ce n’est pas leur refiler la patate chaude. Ceux qui tombent en disgrâce ne rempliront pas nécessairement les rangs des mécontents ni des potentiels frondeurs. Ils peuvent se reconvertir, se ressaisir et changer de manière spectaculaire.

Ces nouveaux cadres, dignes fils et filles du pays, méritent par ailleurs nos félicitations et encouragements face aux défis à relever : des montagnes à soulever, des brèches à colmater, des torrents en furie à contenir, des garrots à poser pour arrêter l’hémorragie, notamment celle dans le trésor public.

Trêve de poésie

Soyons concrets comme ces décrets cosignés : courts, concis et circonscrits. Le pays peine à trouver de bons gestionnaires. Il manque cruellement de devises, de carburant et d’intrants agricoles. Les prix des produits de première nécessité échappent de plus en plus au pouvoir d’achat de nombreux Burundais. Il y a une inflation à maîtriser. Il faut produire et commercialiser le sucre, les minerais, le thé, le café, les avocats, l’eau, l’électricité, et bien d’autres encore.

Certaines institutions doivent redorer leur blason et certains secteurs clés doivent être boostés. Pour cela, il faut du sang neuf, sain, avec des cadres au caractère bien trempé, respectueux des valeurs de bonne gouvernance et du culte de l’excellence.

Quelques associations de la société civile, dont le cheval de bataille est l’intégrité, attendent au tournant le moindre écart. Elles se tiennent prêtes à s’indigner d’abord, puis à dénoncer et à condamner les abus. Autant de déceptions et de regrets à éviter. Personne ne souhaite voir cela se produire.

Avant de démériter, les cadres déchus étaient pourtant présentés comme les meilleurs, appelés à la rescousse pour sauver des situations désastreuses.

Une chose est sûre : un décret, loin d’être une simple promotion, est souvent le résultat d’un échec, d’une impasse, d’une détresse. C’est aussi un cri, un appel à l’aide, un acte d’espoir pour sortir de l’ornière, une relance, une lueur au bout du tunnel.

Question cruciale

Mais une question demeure : ces décrets suffisent-ils pour amorcer le changement voulu ou rêvé, pour inverser la tendance et redresser la barre d’un pays dont certains signaux sont au rouge ?

Il est souhaitable, voire recommandé, que ces décrets soient accompagnés de conseils, de directives bien pensées, de consignes claires, de recommandations formulées par des experts prestigieux lors de grands forums organisés périodiquement. Ces démarches visent à relever le pays, activer les leviers de croissance et sortir l’économie burundaise du marasme.

Autopsie des nominations et limogeages

Un décret de nomination peut parfois être utilisé comme un outil de pression ou une « arme » dans divers contextes. Souvent, cela relève d’une influence politique : les changements sont alors opérés pour renforcer le contrôle du parti au pouvoir sur les institutions de l’État. « En plaçant des alliés politiques sûrs à des postes clés, un gouvernement entend s’assurer que ses intérêts et ses perspectives sont bien représentés et exécutés », explique un observateur avisé.

Une nomination par décret peut aussi être une récompense pour le nouvel élu et une punition pour le cadre sortant : les postes de responsabilité servent à remercier les loyaux et à châtier ceux soupçonnés de déloyauté ou d’inefficacité. « Cela permet de maintenir la discipline et le soutien parmi les échelons politiques et administratifs », soutient un analyste.

Le limogeage peut aussi viser le contrôle des ressources : les ministères clés comme les Finances permettent de contrôler les ressources financières et économiques du pays. En changeant les personnes à ces postes, un gouvernement peut réorienter les ressources pour servir ses propres priorités politiques. Un expert en gouvernance mentionne un exemple : la valse emblématique à la Banque de la République du Burundi (BRB), où un gouverneur, pourtant adulé à sa nomination, s’est vu vite honni à son limogeage et remplacé par un autre.

Le nouveau doit s’adapter rapidement, colmater les brèches, trouver un juste milieu entre les contraintes des partenaires et les exigences de ses supérieurs, et regagner la confiance de toutes les parties. Pour ne pas se faire virer illico presto.

Souvent, ces nominations suite à des limogeages visent à protéger le « système » en éliminant des fusibles défectueux, usés ou corrompus. Dans le langage courant, un fusible est une personne placée dans une position intermédiaire, éjectable pour protéger son supérieur hiérarchique ou l’organisation.

Certaines pratiques ou décisions, comme les nominations ou limogeages, peuvent trouver des justifications dans des slogans ou chansons scandés lors de meetings. Apparemment anodins pour les non-initiés, ces mots d’ordre sont profonds et lourds de sens pour les idéologues et militants avertis, et décideurs. Tel est le cas de ce refrain répété en boucle lors meetings du CNDD-FDD : « Ntakugugumwa caratuvunye, ntitubaha ». Traduction : « On ne lâche pas, il n’y a pas à tergiverser, c’est dans la souffrance et à l’arraché que la victoire a été conquise et acquise, pas de partage ». L’ alternance ne fait pas partie du vocabulaire du parti au pouvoir.

 

Forum des lecteurs d'Iwacu

7 réactions
  1. Herve Gisumbambwa

    Bon article, sans aucun doute. Le raisonnement est approfondi et la plume habile. Vous démystifiez la réalité avec audace, vous osez hausser la voix pour ce peuple muselé. Vous nous représentez, pour ne pas dire que vous êtes notre porte-parole.

    Eux,

    Oui, ils lisent, mais ne comprennent pas. Un jour, ils diront tout sur vous, en vous désignant comme la source de tous les maux, simplement parce qu’ils refusent d’écouter ce que les êtres ont à dire.
    Simple observation,

    L’anarchie est créée, alimentée par ce pouvoir détenu par des généraux, cette morale militaire qui semble tout permettre, sauf rien. L’ironie de l’histoire est
    de cette série des injures, des rabaissements en public suivis de promotions. . Le fanatisme et le populisme sont promus au détriment de diplômes et de l’expérience.

    Bref cher Abbas,

    Vous avez su mettre en lumière de manière éloquente les travers d’un système oppressif et injuste, en donnant une voix à ceux qui en sont victimes. Votre style incisif et votre analyse lucide permettent de mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre.

  2. AKigeme

    Silence, on mange.
    Est ce que la corruption a diminué depuis que notre NEVA a été intronisé?
    QUE NENNI.
    Les même causes produiront les même effets.
    Changeons de cap pour que le paquebot qui tangue ne coule pas

  3. Philibert

    Bonjour Abbas
    D’abord bel article comme d’habitude ! Et si on prenait le tsunami de décrets par l’autre bout ! Prenez un sac mettez y un chat et fermez le et remettez au candidat dont on sait d’avance qu’il va se planter ! Ça peut fonctionner dans l’autre sens , du genre “ kubitsa Isake ku noel “ ! On sait d’avance que le poulet finira dans la marmitte! En langage filmographique tiré du film le parrain ca serait “ je vais t’offrir un cadeau que tu ne peux refuser “ ! Au bout c’est le chaos , que dis je ? La mort politique. Exemple : vous confiez une responsabilité de gestions des marchés publics à un ennemi politique, il va en bouffer un , à la deuxième tentative vous le coincez et c’est Mpimba . Mais il faut pour cela être un politicien vraiment tordu! Si vous pensez qu’il y en a pas au Burundi , je vous offre une bière et on en parle pas . Mais si vous pensez que ce type de gens fait légion alors je t’offre deux bières et on en parle .
    Mais le vrai problème est autre et je pense que le président dispose d’un arsenal de lois et de services pour comprendre ce qui se passe ! Que le mammouth bouge donc !!
    Fraternellement vôtre.
    Philibert

  4. Anonyme

    Dans le fond, Aucun changement ! Silence, on décrète.

  5. jereve

    Au début du règne du parti au pouvoir, les décrets sont sortis avec une cadence frénétique. Normal, car il fallait nommer et mettre en place les nouveaux gestionnaires du pays. Aujourd’hui on se rend compte que ces dits gestionnaires se sont trompés de mission, soit parce que certains n’en avaient pas les compétences suffisantes; soit au pire parce que certains ont compris que leur mission première était de s’enrichir personnellement en usant du pouvoir qu’on leur a confié.
    Inutile de vous décrire les résultats, vous les voyez vous-mêmes, nous en sommes victimes aujourd’hui.
    Et justement aujourd’hui… la machine à sortir les décrets (je devais dire le stylo dans la main) crépite à nouveau avec un rythme soutenu. Mais je sens que quelque chose a changé entretemps. Tempi passati! (le temps est passé), disent les italiens. Avec le temps, nous avons vu nos services publics et notre niveau de vie progressivement tomber en décrépitude, sera-t-il possible de tout réparer d’ici les prochaines élections? Les nouveaux gestionnaires seront-ils effectivement des gestionnaires ou des liquidateurs?

  6. hakizimana jean capistran

    J’ai une tres grande admiration pour ce genre d’articles dont le fond et la forme demontrent A suffisance la force des qualites professionnelles et redactionnelles de l’auteur. En les lisant, c’est comme si Nicolas Brousse rapellait A ses auditeurs que l »on tourne ensemble la premiere page » apres la presentation des grands titres. Un article bien articulE me rappelle aussi Feu Laurent Sadoux avec sa signature en fin du journal  » prenez soin de vous! chaque jour est une vie! »
    Vous faites un bon metier, continuer A l’honorer, rester debout et aller de l’avant.

  7. Kami

    Pourquoi cet article? Le président de la République va célébrer 4 ans à la tête d’un pays comme le Burundi!Certains postes ont un mandat de 4 ans! Y a t il un problème avec ces décrets? D autres vont aussi venir!

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