La weltanschauung (vision du monde) des peuples bantous fait prévaloir l’empathie sur l’égoïsme dans les relations humaines. L’Ubuntu, une vision du monde de l’interdépendance humaine, peut se résumer ainsi : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes.»
Cette vision du monde est antinomique avec l’idéologie ultralibérale qui sous-tend la mondialisation. La matrice de l’ultralibéralisme consiste, en effet, à affirmer que l’individu se suffit à lui-même. Pour le philosophe français Danny Robert Dufour, l’ultralibéralisme exalte le fonctionnement pulsionnel, dans les sociétés occidentales, qui peut se résumer sous la forme du « je veux, je prends ; j’ai envie, je consomme ». Ainsi dans un monde où les êtres humains sont incités au fonctionnement pulsionnel, le lien qu’ils tissent avec leurs semblables est relégué au second plan.
Or, trouver un frère et partager est un besoin fondamental de l’homme. Ce partage se traduit aussi bien dans l’expérience du banal que du spirituel. Il faut cultiver l’empathie pour maintenir et enrichir le lien que nous tissons avec les autres. En effet, la qualité d’une relation dépend de notre capacité à considérer autrui comme un « alter ego » avec lequel nous partageons les émotions, les besoins et les aspirations.
Dans un tel contexte marqué par l’esprit de consumérisme, que devons-nous faire pour préserver notre âme dans la mondialisation ? Autrement dit, que faire pour que nous continuions à répondre que c’est le « et » qui est le plus important entre toi et moi, du moment que cette conjonction de coordination symbolise le lien ?
Comme remède à cet état de choses, il est plus qu’urgent d’inculquer cette weltanschauung à la jeunesse, puisque « l’enfant est le père de l’homme », dixit Nietzche. Nous pourrions créer des clubs de dialogue dans les collèges et lycées pour contribuer à la pérennisation de cette vision du monde. Les élèves seraient encouragés à chercher les sujets de dialogue sur tous les supports (télévision, radio, internet, DVD, journaux, magazines, livres, cinéma). Il s’agirait d’exercer la vigilance critique en confrontant des regards sur différents sujets, voire ceux qui génèrent des passions : religion, tragédie du passé… Ceci non seulement pour faire naître une étincelle de la contradiction, mais aussi et surtout pour préserver le lien entre toi et moi si cher à nos aïeux. Dans cette optique, un aréopage de penseurs (politologues, sociologues, anthropologues et philosophes) définirait le corpus des valeurs à inculquer aux collégiens et lycéens. Et une commission de spécialistes de l’éducation aurait pour tâche de traduire ce corpus dans les programmes et les activités périscolaires.
Par ailleurs, il faudrait créer un centre de recherche qui constituerait un laboratoire de production d’une vision du monde alternative où artistes et scientifiques auraient les moyens de la matérialiser. Ensuite, les médias audiovisuels publics et privés vulgariseraient leurs productions. Par exemple, le 7ème art devrait aussi être mis à contribution par des films et des dessins animés, notamment pour les plus jeunes. Notons, cependant, que pour impulser ce projet sociétal, la volonté politique des gouvernements reste une condition sine qua non.
A l’instar des Chinois, avec l’implantation d’un Institut Confucius (sa mission est de faire rayonner la culture chinoise multiséculaire de par le monde), nous devons rendre compatible notre « être-au- monde » et la nécessité de vivre dans la modernité qui a le visage de la mondialisation. Sinon, les autres peuples diront de nous que plus nous désirons ce que les autres possèdent, moins nous sommes.