« La nature a horreur du vide », dit un adage cartésien. La COMIBU aussi. Et certains qui ne sont animés que par leurs intérêts personnels ; voudraient occuper le vide.
J’entends dans ce texte apporter un éclairage sur ce qui se passe actuellement au sein de la Communauté islamique du Burundi.
Le 26 août 2020, Sheikh Sadiki Abdallah KAJANDI démissionna à la tête de la COMIBU pour « des raisons indépendantes de sa volonté » précisa-t-il dans sa lettre. Il sera remplacé par le Représentant légal suppléant, Sheikh Jacques Ya’quub NAHAYO pour une durée de six mois, le temps d’élire un nouveau Mufti (Représentant légal), conformément à l’article 50 des statuts de l’organisation.
Ce changement brusque ; réveille une conscience collective latente des maux dont souffrent la communauté et plus particulièrement la direction de la COMIBU. Des réunions de crises sont organisées et voient la participation des anciens et nouveaux responsables. Des regrets, des révélations, des accusations, des opinions, des espoirs, … sont exprimés. Il en ressort de ces assises que la Représentation légale démissionnaire a divisé la Communauté musulmane, diriger d’une manière autoritaire et arbitraire la COMIBU : nommant et révoquant qui elle voulait, ‘’usufruitant’’ et ‘’abususant’’les biens de la communauté. L’assemblée générale dont les membres sont choisis, nommer ou proposer (dans la pratique ces mots signifiés tous nommer) par le Représentant légal a également failli à ses missions, elle aurait dû selon l’article 52 intenter une action en justice contre le Représentant légal coupable de malversations des biens de la communauté. Elle ne fit également rien pour éviter le sectarisme qui gangrène la communauté.
Le nouveau Représentant légal a.i fait preuve de pragmatisme et d’ouverture : Il fait appel aux Cheikhs (Savants, religieux) qui avaient été écarté par son prédécesseur, il nomme également les membres d’une commission charger d’élaborer des nouveaux textes qui légiféront la COMIBU. L’heure est à l’appel à l’unité et à l’urgente nécessité d’entreprendre des réformes. Mais en coulisses naissent déjà des ambitions, des luttes et immixtion exogènes sur qui succèdera celui qui venait de passer onze années à la tête de l’organe représentatif des musulmans du Burundi.
Quatre mois se sont écoulés, l’élaboration de la nouvelle législation piétine et pour cause les membres de la commission chargée d’élaborer les nouveaux statuts n’ont pas tenu leur engagement, ils se sont plutôt laissé convaincre par ceux qui exigent qu’il faille d’abord organiser des élections au lieu de réformer les lois tel qu’il était convenu. Les anciens responsables et les membres de l’assemblée générale veulent avant tout garder leur destin en main.
Le rapport de force étant favorable à ceux qui exigent qu’il y ait d’abord des élections, une commission électorale est mise en place et deux candidats émergent : Cheikh Hassan NYAMWERU, secrétaire général de l’union des Imams du Burundi et Cheikh Salum NAYABAGABO représentant de la COMIBU dans la province de Muyinga. Le Conseil supérieur des Cheikhs s’y résout et présente son candidat en la personne de Cheikh Yussuf GIHETE. Quelques jours plus tard, la Représentation légale a.i demande au Conseil supérieur des Cheikhs de retirer son candidat sans aucune autre forme d’explication, la formule consacrée est ‘’Bivuye hejuru ’’. Le Conseil Supérieur des Cheikhs adresse une correspondance le 3 février 2020 au ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique où il dénonce le processus électoral en cours. Le 6 février 2020 se tiennent malgré tout les élections. Sur 140 membres de l’assemblée générale attendus, 124 sont présents ou ont été représentés. En revanche aucun membre du Conseil Supérieur des Cheikhs n’est présent. Cheikh Hassan NYAMWERU est élu avec 84 voix contre 32 pour son adversaire et 3 abstentions. Le lendemain, le candidat malheureux adresse une correspondance au ministre de l’intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique dans laquelle il dénonce ‘’le désordre total’’ et ‘’les irrégularités’’ qui ont caractérisé ces élections. Le 15 février, le ministre refuse de prendre acte les résultats de ces élections puisque, celles-ci ont été ‘’organisé en excluant certains, alors qu’ils avaient le droit de participer, d’élire et de se faire élire selon les statuts de la Communauté islamique du Burundi ’’, il invite par la suite la Représentation légale a.i à organiser dans l’urgence de nouvelles élections, la période intérimaire prenant fin le 25 février.
Le 21 février, la Représentation légale a.i écrit au ministre et propose la mise en place d’une commission de gestion transitoire de la COMIBU pour une période d’une année non renouvelable qui sera dirigée par le Conseil Supérieur des Cheikhs. Le ministre marque son accord.
Trois grands chantiers attendent le Conseil Supérieur de Cheikhs : unir les musulmans, rédiger des nouveaux textes qui régissent la COMIBU et organiser de nouvelles élections. La tâche s’annonce rude, d’autant plus qu’une farouche opposition de certains membres de l’assemblée générale s’annonce dès le départ.
A partir du mois d’août 2021, le Conseil Supérieur des Cheikhs rencontre à tour de rôle les différents membres des organes (existants) qui constituent l’assemblée générale, pour présenter les nouveaux statuts et éventuellement y apporter des modifications. Très vite, il apparait que certains membres de l’Assemblée générale sont plus soucieux de garder leurs fauteuils que de préserver les intérêts de la Communauté ! En effet dans les nouveaux textes, il n’est plus question pour les représentants de la COMIBU dans les régions d’être nommé par le Représentant légal (ce qui portait atteinte au bon fonctionnement de l’institution), mais d’être élu. De la base au sommet (zone, commune, province, région), les musulmans choisissent leurs représentants. Les représentants dans les régions devront également être des musulmans disposant des connaissances sur l’Islam. Ceci peut prêter à sourire lorsque l’on dit qu’un dirigeant musulman doit avoir des connaissances sur l’Islam, cette précision n’aurait pas été nécessaire pour un évêque ou un prêtre dans la respectueuse Église catholique par exemple. Mais aussi invraisemblable que cela puisse paraître, des cas des dirigeants musulmans qui ne peuvent pas diriger une prière ou délivrer la Khutba (prêche) du vendredi au sein des représentations de la COMIBU existent hélas ! Ceux-ci ont été choisi, proposer … nommer, non pas sur la base de leur probité ou érudition avérée en matière islamique, mais par affinités ou parce qu’ils étaient des membres du parti au pouvoir. Le Mufti devra dorénavant être un Sheikh titulaire d’un diplôme universitaire, il sera élu par un collège électoral constitué par 21 Cheikhs tous titulaires d’un diplôme universitaire et représentants toutes les régions du pays, pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois. Une nouvelle structure qui est une émanation de la volonté des musulmans, de nature à apaiser les crispations et à la hauteur des enjeux de notre temps.
L’assemblée générale étant l’organe habiliter pour modifier les statuts, certains de ses membres s’y étant toujours opposé pour des raisons évoquer ci-haut, une énième situation de blocage s’installe.
Le Président du Conseil Supérieur des Cheikhs qui assure l’intérim de la Représentation légale outrepasse ses prérogatives et démet de leurs fonctions certains secrétaires provinciaux. Ces derniers s’y opposent, le Ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique également.
Le 8 octobre, certains membres de l’assemblée générale adressent une correspondance au ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique pour lui demander d’organiser une assemblée générale extraordinaire en vue de mettre en place les organes dirigeants de la COMIBU.
Le 14 octobre 2021, le ministre demande au président de l’assemblée générale d’inviter tous les 11 organes de la COMIBU à une réunion qu’il tiendra à leur intention, en vue de ‘’trouver une solution consensuelle sur la manière dont l’assemblée générale extraordinaire sera organisée’’.
Le 16 octobre 2021 à 11h 43 minutes s’ouvre dans une salle de la Direction générale de la Protection civile et de la Gestion des catastrophes la réunion. Je tiens à préciser une information importante qui nous permettra aux uns et aux autres de tirer les conclusions. Dans sa correspondance le ministre a demandé au président de l’assemblée générale de convoquer les 11 organes de la COMIBU, je les cite pour les besoins de l’analyse :
L’assemblée générale, le Conseil supérieur des Cheikhs, le Comité exécutif national, les Bureaux régionaux, le Conseil national des mosquées, le Conseil national des ASBL musulmanes agrées et engagées dans le partenariat avec la COMIBU, le Conseil national des Femmes musulmanes, le Conseil national de surveillance et de contrôle, le Conseil de la jeunesse islamique, le Conseil national des Imams, le Conseil national des écoles de la COMIBU.
Le président de l’Assemblée générale invita cinquante une personne : deux membres du Comité exécutif, 37 Secrétaires provinciaux, deux membres du Conseil Supérieur des Cheikhs, deux délégués du Conseil national des ASBL*, deux représentants spirituel*, deux délégués des femmes*, deux membres du comité exécutif du Conseil national des mosquées, deux délégués des mouvements des jeunes* et deux délégués des écoles de la COMIBU*. Il ne s’agit donc pas des 11 organes de la COMIBU mais des membres de l’assemblée générale ! La raison n’est pas à chercher très loin, certains organes n’existent que dans les textes, ils n’ont jamais été mis en place. Voilà un système que certains voudraient perpétuer. Une organisation fantoche, agonisante, clivante, décriée, sans vision et opposée à l’intérêt général et aux valeurs de l’Islam. Les musulmans, nous méritons mieux, le Burundi, notre patrie mérite mieux.
* : Ces personnes ont été désignées par le président de l’assemblée générale.
Revenons-en à la réunion proprement dite, Monsieur le Ministre dans son mot liminaire déclare : « Nimba mwarumvise inyigisho Nyenicubahiro Umukuru w’Igihugu cacu yakoze, avuga ati ibisata vya reta abantu bari babigize ibisata vy’iwabo (..) umuntu nimba ari uwuserukira Reta mu gisata iki canke kiriya, vy’ukuri aserukire Reta, hanyuma yuzurize abenegihugu, tuvuga duti rero no mu mashengero n’aho, uwuje aserukiye ishengero nariserukire vy’ukuri kandi ibiba vyose bije ku gahanga kiwe, kandi abe ari umuntu yiyumvamwo n’ishengero apana aboguhomekerako abanyeshengero, abo n’ibo bashobora kutuzanira akarambaraye. (…) Turengere inyungu zacu ».
Monsieur le ministre, cette volonté de réformes, de responsabilisation et de redevabilité de la part du gouvernement n’est pas partagée par ceux qui prennent aujourd’hui en otage la COMIBU. Votre vœu à un sens élevé de l’intérêt général dans de telles conditions est pieux.
À la fin de la réunion, après avoir écouté toutes les parties, le Ministre trancha en faveur des élections pour élire un nouveau Mufti. Monsieur le Ministre, enjoindre que les auteurs responsables des maux de la Communauté islamique, élisent de nouveau le Représentant légal de la COMIBU, n’est sans doute pas la meilleure solution. Cette élection sera le fruit de compromis et de petits arrangements. Les mêmes causes produisant les mêmes effets : dans deux, cinq, sept ans, … nous revivrons la même crise à une échelle bien plus large.
Et pourtant des alternatives existent, je souhaiterais apporter ma modeste contribution. Musulman, burundais, engagé auprès de ma communauté, j’écoute la pluralité des voix, je suis convaincu que l’Islam au Burundi a besoin de tous ces fils et toutes ces filles. La COMIBU représente une confession, ce n’est pas un conglomérat de commerçants, par conséquent sa structure doit tirer sa source du Qur’an et de la Sunnah du Prophète Muhammad (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui). La structure actuelle est la raison des échecs successifs. La COMIBU est gérée comme une banale association, il n’y a guère de prérequis sur qui doit élire, doit se faire élire ou être nommé. Dans la religion musulmane, l’électeur et le candidat doivent tous les deux être dotés de compétences et de clairvoyance. Ils sont conditionnés à l’obéissance aux commandements d’Allah (Gloire à Lui qu’Il soit Exalté) et aux commandements de Son Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui). Avoir des connaissances solides, la crainte d’Allah sont les qualités requises pour être un bon chef.
Les conséquences du fourre-tout (lois, personnes) de l’actuelle structure sont désastreuses et au vu de leurs gravités, les reformes ne sont plus qu’une nécessité, mais elles sont impérieuses. Elles nous permettront d’avoir des fondamentaux, des dirigeants rassembleurs, reconnus, respectés et soutenus. Des interlocuteurs solides et crédibles auprès des pouvoirs publics.
Je me permets d’apporter deux petites précisions:
« […] des luttes et immixtion exogènes sur qui succèdera celui qui venait de passer onze années à la tête de l’organe représentatif des musulmans du Burundi. »
La COMIBU ne représente pas tous les musulmans du Burundi; la Communauté shiite n’en fait pas partie et cela date de l’époque du ministre de l’intérieur Kadoyi Aloys (sous Bagaza).
Je partage votre analyse sur les immixtions exogène; la communauté shiite a connu cela depuis les années 1990 et quoique cela ait fait peu de bruit, Ascension Twagiramungu, alors ministre de l’intérieur est allé jusqu’à faire emprisonner brièvement le représentant légal élu de la CISIABU (Communauté Islamique Shia Ithna Ashara du Burundi) (à la prison centrale de Mpimba) en 1999 et a approuvé la désignation d’un sunnite (ou Wahabite selon) à la tête de ladite communauté.
L’autre commentaire concerne ce passage:
« Mais aussi invraisemblable que cela puisse paraître, des cas des dirigeants musulmans qui ne peuvent pas diriger une prière … »
Il y a des conditions que doit remplir un imam et toutes ne sont pas liées aux connaissances sur l’islam.
Je suis d’avis avec l’auteur de l’article que beaucoup de musulmans (au Burundi) n’ont pas de connaissances en Islam et il y a une raison à ça. La religion musulmane a longtemps été enseignée en Swahili alors que peu de Burundais parlent (ou maîtrise) cette langue. Alors qu’il n’y a pas (encore) de traduction du coran en langue nationale et que la quasi totalité des musulmans ne parle pas l’arabe, il est clair que la connaissance de l’islam reste à un piètre niveau au sein de la communauté. Combien de musulmans au Burundi possèdent ou ont déjà eu accès aux deux principaux livres de références (je veux dire les deux plus importants pour les Sunnites à savoir Sahih al Bukhari et Sahih Muslim)? C’est pourtant la principale source de tradition (sunnah) et d’enseignement.
Il faut être correct aussi avec les faits. Aloys Kadoyi n’a jamais été ministre sous Bagaza.
Désolé, c’est un lapsus calami, Kadoyi aloys était ministre de l’intérieur sous Buyoya. Je parlais des années 1990 (Buyoya ayant renversé Bagaza en 1987). Merci pour le clin d’oeil.
Merci beaucoup de votre collecte d-information
Eh oui ! Que voulez-vous ! C’est encore une fois la classe yabarongoye abandi qui est gangrenée par ce mal qui ronge malheureusement toutes les classes dirigeantes de notre pays : se servir avant de servir les autres ! Que faire pour qu’il y ait un changement réel lors des prochaines échéances électorales nationales ?
On compte sur toi-même