Mardi 05 novembre 2024

Société

Code de procédure civile : Des innovations saluées mais…

06/06/2023 3
Code de procédure civile : Des innovations saluées mais…
Domine Banyankimbona : « Le projet de loi propose la réduction des délais de procédure dans les juridictions »

Mise en place d’un juge de mise en état, réduction des délais de procédure, autorisation de la vente à l’amiable avant la vente forcée, procédure d’expulsion des locataires défaillants, instauration de la décision dissidente, etc., quelques modifications apportées au code de procédure civile. Un projet de loi adopté dernièrement par le Parlement.

« Les procès interminables, la longueur des procédures, la difficulté liée à l’exécution des décisions judiciaires, l’éloignement des juridictions et les manœuvres dilatoires, tels sont les quelques défis qui sont à la base de la révision du code de procédure civile du Burundi », a indiqué Domine Banyankimbona, ministre de la Justice, dans son exposé des motifs devant les deux chambres du Parlement.

Pour Domine Banyankimbona, les innovations contenues dans ledit projet de loi visent à apporter des solutions à certains défis.

D’emblée, entre autres innovations, la Garde des sceaux a évoqué la mise en place d’un juge de mise en état. Ce dernier, tient-elle à clarifier, aura pour mission de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement, à la ponctualité de l’échange des conclusions et de la communication des pièces.

En outre, précise-t-elle, il pourra adresser des injonctions aux parties ou à leurs avocats, de procéder à des communications, à des échanges de conclusions. Ce qui fait sa force, insiste-t-elle, c’est que c’est à lui de fixer le rythme de l’instruction, de la rapidité de l’instruction au vu de la complexité de l’affaire. Et d’ajouter que le juge de mise en état va pouvoir obtenir et imposer un élargissement subjectif de l’instance dans le souci d’une bonne justice.

Par ailleurs, ajoute Mme Banyankimbona, le projet de loi propose la réduction des délais de procédure dans le but de promouvoir la célérité lors de traitement des dossiers et dans le but de réduire des arriérés judiciaires incessamment croissants.

« Ce projet de loi introduit des délais plus courts devant toutes les juridictions et dans toutes les phases de la procédure », a-t-elle précisé.

Ce projet de loi, a fait savoir le ministre de la Justice, va permettre au débiteur poursuivi par une mesure d’exécution forcée de vendre lui-même les biens saisis pour en affecter le prix au paiement des créanciers. Le même projet clarifie les procédures d’exécution des décisions judiciaires ordonnant l’expulsion des locataires défaillants de quitter les lieux.

De la décision dissidente

M. Banyankimbona a évoqué aussi l’instauration de la position dissidente de la part d’un juge qui n’est pas d’accord avec le jugement rendu dans un procès auquel il a pris part.

« L’avantage principal de cette pratique est de permettre d’exposer les différents points de vue possibles sur le même problème juridique, ce qui a beaucoup d’intérêts non seulement pour les juristes mais aussi pour les justiciables et leurs avocats », a-t-elle expliqué.

Du côté des justiciables, les avis sont partagés. Satisfecit du côté de certains locateurs qui se disent être en perpétuel conflit avec les locataires. « Les choses vont rentrer dans l’ordre. Nous pensons que nos locataires ne vont plus user de manœuvres dolosives pour s’éterniser dans nos maisons », espère Damas, un habitant de la zone Gihosha, en mairie de Bujumbura.

De l’autre, d’autres justiciables fustigent le comportement de certains juges qui ne respectent pas la loi. Et de les interpeller : « Nous demandons aux juges de respecter les procédures et d’exécuter les jugements dans les délais fixés par la loi. »


Eclairage/ « Il faut que les juges s’en approprient »

Me Fabien Segatwa, avocat au barreau de Bujumbura, salue les innovations mais il invite les juges à respecter et à faire respecter la loi. Selon lui, il faut couper court avec les dossiers judiciaires qui traînent en longueur.

Me Fabien Segatwa : « Il faut que les jugements soient rendus dans les meilleurs délais »

Quid du juge de mise en état ?

En principe, lorsqu’on parle de juge de mise en état cela veut dire que le dossier n’est fixé devant le juge de fond que lorsqu’il est en état de recevoir une décision. Cela veut dire que l’échange des pièces et des conclusions s’est déjà faite devant le juge de mise en état et que l’on va au tribunal à la première audience uniquement pour plaider devant ces juges-là.

Et à cette première audience, le dossier est pris en délibéré et on rend un jugement.

En pratique, que se passe-t-il ?

Nous avons déjà fait des expériences des juges de mise en état. C’est le cas, par exemple en matière commerciale où, il y a un juge de mise en état. Mais cela n’empêche qu’il y ait des dossiers qui traînent en longueur.

En effet, nous constatons aujourd’hui, en se référant sur ce qui se fait au tribunal de commerce, que les mêmes procédures de renvoi de l’affaire, de communication de pièces, de ce qu’on aurait dû faire devant le juge de mise en état, revient encore une fois devant le juge de fond, ce qui n’est pas normal.

Malheureusement, nous constatons qu’après la mise en état lorsque le dossier va devant le juge de fond, on commence encore une fois à faire des remises sur des procédures dilatoires.

A ce moment, on fait un double emploi et au lieu que ça soit pour la rapidité de la procédure, ça revient encore une fois pour faire traîner la procédure.

En d’autres mots, c’est une bonne initiative, mais il faut que maintenant les juges s’en approprient et fassent respecter la loi.

Le législateur propose la réduction des délais de procédure. Votre commentaire ?

Je n’ai pas encore vu les délais qu’on propose. Mais j’aurais bien voulu qu’on ne propose pas dix jours comme on le propose en matière du travail. Faire un appel demande du temps, une recherche de la jurisprudence, de la doctrine, de la loi et il ne faut pas qu’on fasse des appels bâclés.

Si on donne dix jours comme en matière du travail, quelqu’un peut le faire précipitamment comptant dire le reste devant le tribunal. Or, les motifs d’appel doivent être indiqués dans les conclusions d’appel et on ne devrait pas revenir à d’autres motifs que ceux-là qui sont indiqués.

Or, pour pouvoir faire de bonnes conclusions, il faut avoir le temps. Je veux bien un mois c’est trop mais dix jours sont également trop peu.
Il faut savoir que les avocats n’ont pas qu’un seul dossier. Ils ont d’autres dossiers, d’autres occupations. Il faut aussi en tenir compte.

Il faudrait faire en sorte que l’avocat ne soit pas un figurant et que lorsqu’il prend des conclusions, ça soit de bonnes conclusions pour la bonne défense de son client.

Que dire de l’instauration de l’opinion dissidente ?

Actuellement, le jugement est rendu par un collège de juges en attendant qu’il y ait un juge unique. Et avec ce collège de juges, le jugement est valable lorsque deux juges se rencontrent sur une même décision. Le troisième, même s’il est contre, il doit se rallier aux deux autres.

Mais il y a évidemment des fois où le juge est très malheureux de voir qu’il ne s’exprime pas, qu’on ne sache pas sa position sur une question de droit donné. Et maintenant, le souci du législateur est qu’on lui donne l’occasion de bien exprimer sa position dissidente.

Cela veut dire que le jugement n’est pas valable lorsqu’il y a une position dissidente ?

Non. Le jugement reste valable. Mais au moins, il se désolidarise de la position des deux juges, parce que s’il y a eu corruption entre les deux, par exemple, au moins il ne sera pas impliqué dans cette affaire.

D’aucuns que la décision dissidente émane du système du « Common Law » …

Effectivement, le principe de la décision dissidente est du « Common Law », ce n’est pas du « Civil Law ». En d’autres termes, nous sommes en train de basculer vers le Common Law. C’est une très bonne chose mais les Burundais ne sont pas encore instruits dans le système du Common Law.

Mais, il nous faudra encore du temps pour intégrer cela dans notre système. Et il ne faudra pas non plus que la décision dissidente puisse faire traîner le jugement rendu.

Comment ?

J’ai connu des décisions dissidentes à la Cour Pénale Internationale pour le Rwanda. Mais là c’est tout à fait différent. Les juges ont des conseillers juridiques. Un juge ne donne que des instructions et le conseiller lui propose un texte. Il a le temps de le faire parce que ce sont les autres qui le font et lui, il ne va que signer.

Mais au Burundi, c’est le même juge qui va lui-même rédiger sa position dissidente. Cela lui prend du temps. Ça va encore faire traîner un peu le rendu du jugement. Mais bref, je comprends le souci du législateur. C’est que le juge qui n’est pas d’accord avec une décision prise par les deux juges, puisse se désolidarise avec eux.

En pratique, quel sera l’avantage de cette notion pour vous praticiens du droit et pour les justiciables ?

L’avantage n’est pas très évident pour les justiciables. L’avantage est évident pour les juges eux-mêmes. Un juge peut avoir une position de droit différente des deux autres juges. Il ne faut pas que le juge s’oppose pour s’opposer. Il faut qu’il ait des raisons valables, une raison surtout juridique et pas des raisons de faits qu’il fait valoir. Ces raisons juridiques qu’il fait valoir peuvent aider les justiciables en appel de pouvoir invoquer cela et soumettre cette question au juge d’appel.

Votre appréciation de l’innovation qui parle de la vente à l’amiable avant la vente forcée pour les biens saisis ?

J’estime que c’est une très bonne chose. Dans le passé, on a déjà vu des cas de ventes par voie parée où on s’arrangeait pour qu’il y ait quelqu’un qui veuille acheter une parcelle à un vil prix. Par exemple, une parcelle qui vaut 100 millions, on s’arrangeait pour qu’il y ait une personne qui l’achète à 29 millions et le propriétaire n’avait pas l’occasion de s’y opposer. S’il s’y opposait, le conservateur pouvait s’y opposer.
Maintenant, on donne au moins l’occasion à une partie qui a une dette de pouvoir vendre de gré à gré, de pouvoir vendre au vrai prix mais sous la surveillance du tribunal. Si le tribunal ne surveille pas cela, le débiteur peut vendre et s’en aller en laissant le créancier dans le pétrin.

Une avancée donc…

Si on donne l’occasion à la partie qui doit payer la dette de vendre son bien à un juste prix, cela serait une très bonne chose pourvu qu’on lui donne des délais raisonnables pour trouver un acheteur avant de soumettre le bien à la vente publique parce qu’à la vente publique on a toujours un vil prix.
C’est bon finalement pour le débiteur que pour le créancier parce que les deux vont se chercher les clients.

Quid de la problématique de l’expulsion des locataires défaillants ?

Je pense que l’on doit attacher une attention particulière à cette question de locataires défaillants. Il y a beaucoup de locataires qui ne payent pas, qui payent juste la garantie de deux ou de trois mois et après ils font une année sans payer. Ils oublient tout de même que le locateur a dû dépenser son argent pour construire sa maison et qu’il doit récupérer ses frais.

Y a-t-il des manœuvres dolosives ?

Si on vient exécuter la décision, le locataire défaillant fait des manœuvres pour qu’il y reste le plus longtemps possible. Je me souviens d’un locataire qui venait faire des années sans payer et qui est allé jusqu’à la Cour suprême pour qu’on puisse le garder dans la maison.
Un jugement qui expulse un locataire mais qui n’arrive pas à le faire quitter des lieux, c’est un jugement nul. Lorsqu’un locataire est au tribunal, il ne payera plus.

Il faut que ces jugements soient rendus dans les meilleurs délais. Et une fois les jugements rendus, il faut qu’ils soient exécutés pour que le locataire soit mis dehors.

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Janot

    C’est une bonne inovation pour les locataires defaillants, mais il faut attirer l’ attention sur les bailleurs qui speculent sur les lieux quand le business du locataire devient rentable en ouvrant des procès en referé pour expulser le locataires vites et exploiter son fond de commerce. Dans un role en referé il y a un seul juge au tribunal du commerce ce qui n’est pas pas normal.

  2. Kazungu

    Une personne perd un proces au tribunal de residence,elle va en appel TGI de Ntahangwa, elle perd de nouveau,elle en cassation et perd. Elle ercris au ministre de la justice pour une revision,le ministre repond defavaorablement,elle ecris de nouveau pour une deuxieme revision.Maneouvre dilatoire. Je crois q’une decision de cassation est sans appel?

  3. hakizimana

    Opinion dissidente!! c’est une très bonne idée et c’est une innovation louable au Burundi. J’applaudis beaucoup mais il ya trois préalables pour réussir ce pari.
    D’abord, pour que le système de l’opinion dissidente puisse fonctionne et produire ses effets, il faut recruter les meilleurs juristes et le seul chemin possible pour y parvenir c’est le recrutement sur concours et non pas ce que nous vivons au Burundi. Dans une opinion dissidente , le juge dissident évoque le droit et rien que le droit pour démontre que si le droit était dit correctement le décision aurait été autre. Dans un passée ressent, le ministère de la justice a eu le courage de recruter 2 promotions sur concours mais depuis 2015, les juges sont recrutés comme tout le monde le sait….
    Ensuite pour que les juges puissent avoir le courage d’émettre une opinion dissidente il faut que le corps judiciaire burundais soit un corps réellement indépendant . Sur ce point je crois que je ne suis pas le seul qui pense qu’il ya encore un chemin à parcourir.
    Enfin, les juges Burundais devront à leur tours avoir à l’esprit qu’ils seront lu par les chercheurs universitaires , les grands juristes nationaux et internationaux. C,est pourquoi ils devront améliorer chaque fois l’état de leur recherches en se familiarisant souvent avec le chemin qui mène vers la bibliothèque pour faire évoluer le droit burundais. je fais mieux les propos d’un invité au journal au journal IWACU qui disait qu’on ne peut pas écrire sans avoir lu. Je dois ajouter que le système de l’opinion dissidente peut être une arme de dissuasion contre la corruption. Vraiment, les chercheurs en droit auront des bonnes matières à exploiter.
    Mais en attendant de découvrir les opinions dissidentes des juges burundais, permettez-moi de rendre un grand hommage au juge FATSAH OUGUERGOUZ pour ses opinions dissidentes à la cour africaine des droits de l’homme.
    Si par hasard , il y aurait un législateur qui me lit en copie, je proposerai de remplacer le mot » opinion dissidente’ par le mot  » opinion individuelle ».

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