La Commission nationale des Terres et autres Biens (CNTB) a restitué à l’Etat, mardi 23 octobre, la propriété exploitée par la Société d’élevage et d’agriculture (SODEA). Celle-ci est accusée d’avoir détourné l’usage de l’emphytéose. Argument rejeté par maître Déo Nzeyimana, avocat de la SODEA.
Lundi 5 novembre. Tout semble normal au siège de la société SODEA sise sur la colline Musenyi en commune Mpanda de la province Bubanza. Des hangars qui servent de stockage de riz, des maisons de bureaux, des étables de vaches sont visibles dès l’entrée de la ferme.
A l’intérieur, une dizaine de tracteurs de repiquage de riz sont stationnés. Non loin des bâtiments, des champs de maïs et de riz s’étendent sur une bonne partie de la ferme. Une autre partie est réservée aux prairies Des centaines de personnes y travaillent.
Cette propriété a une superficie de 390, 40 hectares. La société d’élevage et d’agriculture (SODEA) l’exploite depuis 1991 suivant un contrat d’emphytéose (droit d’avoir pour une durée déterminée, la pleine jouissance d’un immeuble appartenant à autrui, à la charge de le mettre en valeur, de l’entretenir et de payer au propriétaire une redevance en nature ou en argent comme convenu) signé avec l’Etat pour y exercer des activités agro-pastorales. Ce droit d’exploitation est d’une période de 30 ans renouvelable.
Trois ans avant l’expiration de ce contrat, la CNTB l’a restitué, mardi 23 octobre dernier, à l’Etat. Elle reproche à la société SODEA d’avoir détournée l’usage de l’emphytéose.
Me Déo Nzeyimana qui représente la société SODEA balaie du revers de la main cette accusation. «La restitution de la propriété de la société SODEA à l’Etat est tout simplement une mise en scène orchestrée par la CNTB.»
D’après lui, l’accusation portée contre la SODEA est un mensonge. Les clauses du contrat entre le gouvernement et la SODEA donnaient à cette société le droit d’y pratiquer l’agriculture et l’élevage.
Aujourd’hui, assure-t-il, aucune activité contraire aux termes du contrat ne s’exerce dans cette propriété. Le ministère en charge des terres domaniales signataire du dudit contrat n’a émis aucune plainte et encore moins n’a jamais mis en demeure la société SODEA pour lui signifier le non-respect du contrat.
La CNTB reproche à la SODEA d’avoir utilisé cette propriété pour la culture du riz en sous-location. Pour maître Nzeyimana cet argument ne tient pas, car le contrat de l’emphytéose permet l’exploitation indirecte de la propriété.
«La CNTB n’est pas compétente »
Me Nzeyimana fustige, par ailleurs, l’immixtion de la CNTB dans le contrat signé entre la SODEA et le gouvernement. «Elle n’est pas compétente pour juger un différend entre l’Etat et un particulier. Seule la Cour administrative en a la latitude.»
Cet avocat s’étonne par ailleurs de la manière dont la CNTB s’est autosaisie alors qu’il n’y avait pas un différend entre les deux parties contractantes.
Maître Nzeyimana s’offusque de l’irrégularité de l’occupation de cette propriété évoquée par la CNTB. « Cette irrégularité n’existe nulle part. Le 20 févier 2013, le ministère de la Bonne Gouvernance et de la Privatisation a confirmé la régularité de la transaction intervenue entre le gouvernement et la société SODEA.» Suite à l’appel d’offres lancé par le gouvernement en vue de la liquidation de la société d’élevage de Gifugwe (SOCEGI), précise-t-il, la SODEA a gagné le marché et a acquis en un seul lot après le paiement du prix offert, l’ensemble du patrimoine de la SOCEGI dont une partie en pleine propriété et une autre sous forme de bail emphytéotique.
M. Nzeyimana précise que les investissements déjà réalisés par la société SODEA ou en cours de réalisation s’élèvent à plus de 8 millions de dollars américains. Ce montant pourra représenter le manque à gagner imputable à l’Etat dans le cas de la rupture unilatérale du contrat avant son expiration.
Il invoque l’article 56 du code foncier. A l’expiration de son droit, pour quelque cause que ce soit, l’emphytéote ne peut pas enlever les plantations et autres améliorations qu’il a faites, et il ne peut réclamer à cet égard aucune indemnité compensatoire. Quant aux constructions qu’il a déjà faites, il ne peut non plus les enlever, mais le propriétaire lui donne une indemnité égale à la valeur actuelle et intrinsèque.
Me Nzeyimana dénonce également l’interprétation erronée des textes juridiques par la CNTB. En cas d’autosaisie, cette commission a un rôle consultatif et non décisionnel.
La SODEA espère que le ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage va faire respecter le contrat. Au cas contraire, prévient-il, la société SODEA va porter plainte auprès de la Cour administrative.
La CNTB s’explique
Félicien Nduwuburundi, président de la CNTB, explique que la loi régissant cette commission lui donne le droit d’inventorier les terres domaniales. Comme la SODEA a détourné l’usage de l’emphytéose qu’elle avait signé avec le gouvernement, la CNTB a jugé bon de restituer cette propriété à l’Etat.
Par ailleurs, la société SODEA avait demandé le terrain pour y pratiquer de l’élevage. Mais, elle s’en servit pour la culture du riz en sous-location.
Le ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’élevage Déo Guide Rurema dit ne pas être inquiet par les plaintes de la SODEA. La CNTB a effectué des enquêtes qui prouvent à suffisance que la restitution de cette propriété à l’Etat était nécessaire.
Selon lui, son ministère va mettre sur pied une commission élargie. Son rôle sera d’analyser les documents au sujet de la propriété et les bornages actualisés. Elle sera également chargée d’écouter la population qui exploitait le terrain avant que le gouvernement n’initie un projet de grande envergure à mener dans cette propriété.
Le ministre Rurema rassure les petits exploitants de cette propriété moyennant de l’argent pour la location. « Ils ne vont plus le faire.» Il leur demande de travailler en associations ou en coopératives pour être plus productifs.
D’après lui, le gouvernement compte exécuter dans cette propriété un projet gigantesque qui sera très bénéfique à la population de Mpanda. Mais avant la mise en place de ce projet, la population continuera à l’exploiter.
Le ministre ne convainc pas les agriculteurs qui exploitaient la propriété de la SODEA. Ils ont peur de perdre leurs lopins de terre.