Malgré les voix qui s’élèvent pour dénoncer le caractère anticonstitutionnel des décisions de la CNTB, celle-ci ne désarme pas. A Nyakabiga, Rosalie Mukandori est expulsée de chez elle tandis qu’à Ngagara, c’est un dénommé Justin Nyakabeto qui doit rendre les clés. Tous demandent que justice soit rendue. Mais l’espoir s’amenuise de jour en jour.
<doc7651|left>Lundi 25 mars, à la 10ème avenue du quartier Nyakabiga 2. Il est 9 heures du matin quand des agents de la CNTB et un arsenal de policiers se présentent au domicile de Rosalie Mukandori, 63 ans, veuve de nationalité rwandaise. Ils annoncent qu’ils sont là pour mettre en application la décision de la CNTB restituant la parcelle de Mme Mukandori à son ancienne occupante, Bernadette Bavugamenshi. La surprise est grande chez la sexagénaire qui dit avoir acheté cette parcelle en bonne et due forme à Mme Bavugamenshi en 1974, avant qu’elle ne parte pour le Rwanda. Rosalie Mukandori brandit des documents attestant l’achat de cette parcelle à Bernadette Bavugamenshi.
Finalement, la restitution n’aura pas lieu, du moins pas ce lundi. Le voisinage ainsi que certains membres de la famille ont opposé une résistance tenace d’autant que les agents de la CNTB et de la police n’ont présenté aucun document motivant leur présence. La tension monte, des affrontements ont lieu et quatre jeunes gens seront embarqués au cachot du Bureau Spécial de Recherche (BSR).
<doc7653|right>Le pari n’est toutefois pas gagné pour la famille Rosalie Mukandori car le lendemain (mardi 26 mars) aux alentours de 5 heures, la police se présente à nouveau en force au domicile dans le voisinage de Mme Mukandori. D’après des sources à Nyakabiga, trois rues à savoir la 9ème, 10ème et 11ème avenue du même quartier feront l’objet d’une fouille-perquisition. Le portail de clôture Mme Mukandori est défoncé. Elle est contrainte d’ouvrir et cette fois-ci elle ne pourra résister. Tous ses biens sont jetés dehors et partent pour une destination inconnue. Les quatre jeunes gens incarcérés la veille seront relâchés vers 17 heures.
L’entourage crie à l’injustice. Certains avancent que la fille de Bernadette Bavugamenshi, qui représente sa mère dans ce conflit, bénéficierait du soutien du pouvoir dans cette affaire : « C’est une militante du Cndd-Fdd de la diaspora. » Et une ancienne voisine de Mme Mukandori de demander : « Des gens qui s’étaient réfugiés au Rwanda lors de la crise de 1972 ont eu des occasions de retourner au pays pour vendre leurs biens. Qu’adviendra-t-il, si les milliers de réfugiés hutu revendiquaient des biens qu’ils ne possédaient même pas à l’époque ? » Selon elle, la CNTB devrait agir au cas par cas : « Sinon, elle risque de compromettre la réconciliation nationale et la justice. »
A Ngagara, la tension monte devant un scénario identique
Mercredi 27 mars, au quartier 5 de la commune urbaine de Ngagara. Des agents de la CNTB en compagnie de policiers, du secrétaire général de la mairie et de l’administrateur de cette commune débarquent chez Justin Nyakabeto. Un seul point à l’ordre du jour : remettre les clés de la maison qu’il détient « illégalement ».
L’histoire remonte à 1971 quand Immaculée Ntakatarusha s’endette auprès de la Banque National de Développement Economique (BNDE) pour acheter cette maison.
<doc7652|left>En avril 1972, son mari est assassiné lors des évènements sanglants qui ont endeuillé le Burundi. D’après des sources concordantes, la veuve Ntakatarusha se trouve alors dans l’incapacité de subvenir aux besoins de la famille. Le 24 octobre 1972, elle vend la maison à un certain Pierre Bizimana. Mais, celui-ci meurt quelques mois plus tard. D’après nos sources, il était encore célibataire et n’avait pas de succession. Le père du défunt donne la procuration à Bernard Kayibigi, grand-frère du défunt Bizimana pour assurer et gérer sa succession. En 1981, la BNDE rachète cette maison à Justin Nyakabeto, se réclamant propriétaire à part entière de cette maison sise au quartier 5, aujourd’hui en conflit.
Des correspondances de la CNTB à M. Nyakabeto indiquent que celui-ci avait reconnu que la maison ne lui appartenait pas. Cependant, il revient sur ses propos et nie en avançant des intimidations et des pressions faites envers lui par la CNTB et l’administration. Il persiste et signe que la maison lui appartient et qu’il ne sera pas expulsé. Autour de sa parcelle, des jeunes sont aux aguets pour qu’il ne subisse pas le sort de Rosalie Mukandori : « Je vais me défendre si la CNTB agit en dehors des heures prévues par la loi. » L’entourage a organisé une marche-manifestation pour soutenir M. Nyakabeto. Le bras de fer s’engage donc entre la CNTB et les habitants du quartier.
<doc7654|right>« Pas de CIA au Burundi pour savoir qui a exproprié qui »
Voilà donc deux cas qui mettent en difficulté la CNTB. Pourtant lors de l’émission Inturire de la Radio Isanganiro, le président de ladite commission s’est montré catégorique et a fait savoir que sa commission avait mené des enquêtes sur ces deux cas: « Il ne faut pas avoir les services de la CIA au Burundi pour connaître la vérité. » Il ne supporte pas d’entendre que les deux familles crient à la catastrophe alors que les propriétaires de ces parcelles ont vécu une situation difficile pendant plus de 40 ans. Il avertit que le même travail va se poursuivre dans d’autres quartiers de la capitale comme Kiriri, Kamenge, Rohero, etc. Et au président de la CNTB d’avertir: « Aucun jugement n’est possible sans procès verbal provenant de la CNTB. »